Je tiens également à remercier le président de la délégation, Michel Magras, ainsi que le Président du Sénat, de nous avoir donné les moyens de cette mission.
Je vais maintenant m'attacher aux aspects de gestion de l'urgence, en considérant toutes les phases de celle-ci : de l'anticipation des risques imminents - quand elle est possible - jusqu'à la gestion de l'immédiat après-crise. Deux enjeux forts ressortent de cette partie : la question de l'organisation et la question des moyens.
La vigilance est une étape cruciale, il faut qu'elle puisse être plus performante et, pour ce faire, conforter les moyens des opérateurs qui en ont la charge.
À ce titre, nous avons été frappés par la sous-dotation de certains territoires en moyens techniques de surveillance des phénomènes météorologiques. Radars, houlographes, marégraphes manquent souvent, je pense à la Polynésie française notamment, mais aussi à Mayotte. Les territoires ne peuvent assumer seuls ces investissements pourtant indispensables et leur maintenance (recommandation n° 25). Il est aussi question de moyens humains : la vigilance requiert chez les opérateurs comme le BRGM, les observatoires volcanologiques et Météo France, des personnels disponibles et des effectifs suffisants (recommandation n° 27).
J'évoque ici les moyens des opérateurs de la vigilance, mais il faut souligner que, de plus en plus, ceux-ci sont mobilisés en appui aux décideurs de gestion de crise durant les catastrophes naturelles. Je retiens notamment la collaboration entre le BRGM et Météo France lors d'Irma en septembre 2017 : il est pertinent d'officialiser ces partenariats en les formalisant (recommandation n° 26).
Après la vigilance vient l'alerte. Dans cette étape décisive, d'importantes marges de progression sont possibles et des avancées nécessaires.
Il faut tout d'abord assurer les moyens de l'alerte auprès des populations. Les territoires ultramarins sont historiquement peu pourvus en sirènes d'alerte, ce qui est une grave lacune. Le système d'alerte et d'information des populations (SAIP) devait permettre le déploiement sur l'ensemble du territoire national des sirènes de nouvelle génération, et dès 2016 dans les départements et régions d'outre-mer. Aucun réseau « de base » suffisant n'existe aujourd'hui et le réseau de « nouvelle génération » n'a pas encore vu le jour. Il y a urgence : un plan « sirènes » doit être engagé (recommandation n° 28). Les sirènes sont déterminantes dans l'alerte, alors même que certains risques - je pense aux tsunamis - nécessitent des réactions et évacuations immédiates. Les Antilles devraient voir dès 2019 une quinzaine de nouvelles sirènes installées. Aussi, alors que les alertes se font de plus en plus sur les téléphones mobiles, les territoires comprennent toujours des zones à la couverture numérique réduite voire inexistante : les alertes par diffusion cellulaire, ou cell broadcast, doivent être expérimentées (recommandation n° 29).
L'alerte est question de moyens, mais elle est aussi question de procédures efficaces et lisibles. Le cas de La Réunion l'a montré, il faut que l'articulation entre vigilance et alerte soit comprise par les populations et surtout que les codes couleurs et niveaux d'alerte soient intelligibles, identifiés, appropriés (recommandation n° 30) ; les alertes doivent également, dans la mesure du possible, être plus fines, à des échelles infra-territoriales.
Surtout, il faut garantir un meilleur respect des consignes en cas d'aléa majeur. La fréquence des cyclones peut donner parfois aux populations un sentiment « d'habitude » et de maîtrise du risque, avec le non-respect d'interdictions de baignade ou de consignes d'évacuation. Il faut faire mieux comprendre la gravité d'une catastrophe imminente ou en cours. Nous proposons à ce titre un « état d'urgence calamité naturelle » (recommandation n° 31). Celui-ci n'emporterait pas davantage de pouvoirs de police que ceux actuellement mobilisables mais aurait vocation à être un signal fort d'alerte maximale en cas d'aléa particulièrement grave.
J'en viens désormais à la gestion des crises.
Nous avons constaté qu'il était nécessaire de prévoir une meilleure capacité de repli et de sécuriser davantage les communications entre acteurs de gestion de crise, services de secours et préfets notamment. Cela passe par l'organisation de « COD de repli » pré-armés et immédiatement activables : Saint-Martin a montré que le coeur de la gestion de crise peut parfois être extrêmement vulnérable, avec la destruction des deux COD préfectoral et territorial durant Irma (recommandation n° 32). Cela passe aussi par des dotations renforcées en moyens de communication satellitaire et radio (recommandation n° 33), je pense ici aux situations de multi-insularité et au risque d'être « coupé du monde ».
Durant la crise, la répartition claire des rôles est une nécessité, un pilotage efficace un devoir. À ce titre, nos travaux nous conduisent à formuler différentes observations.
L'échelon zonal doit être mieux articulé (recommandation n° 37), le préfet de zone se devant de pouvoir agir convenablement sur l'ensemble du bassin dont il a la charge, ce qui n'est pas garanti à La Réunion vis-à-vis de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie vis-à-vis de Wallis-et-Futuna. Il doit être aussi épaulé avec des nominations de préfets délégués auprès des préfets de zones, en charge de la défense et de la sécurité.
Le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, COGIC, cellule de gestion de crise du ministère de l'intérieur, doit voir sa connaissance des territoires ultramarins renforcée par des référents outre-mer pour mieux adapter sa réponse et son appui en cas d'urgence. Il est également nécessaire que le directeur général des outre-mer soit systématiquement associé à la veille des situations surveillées outre-mer.
La gestion de crise est cependant, elle aussi, question de moyens. Nous avons été particulièrement attentifs aux moyens de la sécurité civile outre-mer, ceux-ci étant particulièrement préoccupants à Mayotte et dans les îles Wallis et Futuna, et ce tant au niveau des effectifs de sapeurs-pompiers que des moyens matériels - camions, hélicoptères... Il est nécessaire d'engager un plan de rattrapage « sécurité civile outre-mer », particulièrement dans ces territoires. J'insiste une fois encore sur les situations de multi-insularités qui ne permettent parfois pas l'envoi de renforts et nécessitent des moyens constants de sécurité civile. En termes de sécurité civile, une amélioration de la capacité à faire remonter rapidement les informations paraît aussi nécessaire : il convient de constituer des centres d'appels d'urgence territoriaux (recommandation n° 39), à l'échelle de chaque archipel ou portion d'archipel par exemple en Polynésie française ; un projet est en cours en ce sens en Nouvelle-Calédonie.
Nous appelons également à être vigilants sur les moyens des forces armées outre-mer et particulièrement, dans ces territoires littoraux et insulaires, de la marine : l'ampleur des missions, l'éloignement de l'hexagone et l'étendue des zones appellent à des moyens consolidés (recommandation n° 42).
Aussi, dans chaque bassin, doivent être conclus des accords régionaux de coopération et d'intervention coordonnées sur le modèle de l'accord FRANZ dans le Pacifique : c'est le sens de la recommandation n° 43.
Que ce soit en matière de sécurité civile comme en matière de forces armées, il faut renforcer les schémas de pré-positionnements (recommandation n° 41). Cela existe pour certains risques comme les feux de forêts à La Réunion ; il faut consolider cela selon les saisons cycloniques dans les différents bassins océaniques. Attendre les renforts n'est pas une option, alors même que l'éloignement de l'hexagone produit des délais d'intervention longs et que des situations de déconnexion brutale peuvent compliquer leur arrivée.
J'en viens désormais à la sortie de crise. Deux axes se dégagent en la matière : la nécessité d'assurer la protection de la population et ses besoins vitaux, et le besoin d'un retour rapide à une situation normale, même dégradée.
À ce titre, il est nécessaire que des schémas de fonctionnement des ports et aéroports organisent l'accueil des secours et des renforts de manière sécurisée (recommandation n° 44) dans l'urgence. En cas d'aléa majeur et de dégâts importants sur les infrastructures, une reprise du trafic doit pouvoir s'opérer avec des dérogations aux standards commerciaux, tant que la sécurité est garantie (recommandation n° 45).
Une attention particulière a été portée aux infrastructures de réseaux d'électricité, d'eau et de télécommunications. Des schémas d'accès minimal à ces ressources doivent être établis (recommandation n° 49). Une bonne collaboration entre les services de l'État et les entreprises de réseaux est nécessaire (recommandation n° 46), la communication ayant été jugée insuffisante. L'intervention des entreprises de réseau doit être aussi facilitée dans l'après-crise. Il est nécessaire que dans les contrats de réseaux soient inscrits des plans d'intervention ainsi que la nécessité de prévoir des équipes, qui soient mobilisables et projetables rapidement (recommandation n° 47). Enfin, il convient de faciliter les interventions conjointes entre opérateurs (recommandation n° 48).
L'après-crise appelle également à la mobilisation d'acteurs souvent délaissés de la gestion des crises : les EPCI. La problématique des déchets est pourtant incontournable : déchets organiques et débris dangereux sont autant d'éléments à récolter et stocker rapidement, notamment à l'issue les cyclones. Une meilleure coordination et gestion des compétences déléguées aux EPCI doit être organisée en post-crise (recommandation n° 50).
L'après-crise, c'est aussi le temps des évacuations et hébergements d'urgence, parfois massives comme l'an dernier lors d'Irma. La situation, bien gérée, a cependant montré la nécessité d'être mieux anticipée (recommandation n° 53).
Le temps de sortie de crise n'est pas un temps sans contrainte financière pour autant. Des leviers financiers facilement mobilisables existent, le fonds de secours outre-mer en fait partie. Il convient d'en assurer les moyens qui sont souvent sous-évalués en loi de finances (recommandation n° 54).