La dernière fois que je suis venu au Sénat pour parler de gestion de crise, de réseaux sociaux et de mobilisation citoyenne, le 11 janvier 2012, dans le contexte des séismes qui avaient touché Haïti et le Japon, on parlait déjà des médias sociaux en gestion d'urgence.
J'ai servi l'État pendant six ans, au sein du réseau scientifique et technique du ministère de l'écologie. Dans ce cadre, j'ai pris conscience des capacités que donne internet pour projeter des compétences scientifiques et techniques.
Au moment du séisme en Haïti, nous nous sommes rendu compte que les ONG et les gouvernements ne disposaient pas de carte de Port-au-Prince, une donnée de base. Avec la communauté OpenStreetMap et des centaines de personnes, nous avons commencé à cartographier Haïti. Nous avons poursuivi ce travail lors de toutes les crises qui ont touché le monde, jusqu'à des épidémies comme Ebola, le chikungunya, le zika et la dengue.
Comme M. Loison, je parlerai franc : nous en avons eu un peu assez d'être les gentils technophiles que l'on appelle à la rescousse quand tout va mal, sur des territoires dont on sait qu'ils sont touchés par des crises de manière récurrente.
En 2011, quand l'UNESCO a proposé que nous participions, en tant que citoyens, à l'exercice Caribe Wave, nous avons pris conscience de l'importance de se préparer en amont des crises. Ces autorités supranationales étaient conscientes que des crises localisées, avec les moyens de transport et le numérique, peuvent très vite devenir mondiales- songeons à Ebola et à l'hystérie des capitales européennes chaque fois qu'une infirmière ou un médecin revenait malade.
Parce que, sans énergie ni télécommunications, tout cela ne fonctionne pas, nous avons créé Hackers against natural disasters, ou HAND. Un hacker est une personne bienveillante, curieuse et qui doute : il remet en cause les systèmes tels qu'ils fonctionnent et les détourne de leur usage premier, pour les rendre plus sûrs.
HAND est une fédération de citoyens, professionnels, militaires ou sapeurs-pompiers, qui mettent en commun leurs compétences scientifiques et techniques en amont des crises. De 2011 à 2014, nous avons fait l'exercice Caribe Wave depuis Paris, mais la mobilisation en Guadeloupe ne suivait pas parmi la population. Imaginez que, aujourd'hui encore, des personnes aux Antilles ignorent qu'elles sont exposées au risque de tsunami... Elles ne sont pas informées, encore moins formées aux attitudes à adopter.
Elles ne seront pas non plus alertées parce que notre pays ne dispose pas aujourd'hui de systèmes d'alerte des populations. Votre collègue Jean-Pierre Vogel a publié l'année dernière un excellent rapport sur cette question. Une application mobile a bien été développée, mais nous ne disposons pas d'une infrastructure permettant aux autorités de contacter massivement les populations menacées sur leur téléphone mobile, qui est le récepteur radio le plus utilisé aujourd'hui. Cette infrastructure a été inventée à Sophia Antipolis, puis déployée à Paris en 1997. Pourtant, la France reste l'un des rares pays à ne pas avoir déployé les réseaux d'alerte cellulaire.
L'île de Saint-Martin paraît lointaine, mais je travaille en ce moment sur les feux de forêt : il y en a eu 2 230 dans le sud de la France l'année dernière, et plus de 22 000 personnes ont dû être déplacées, dont 12 000 en une nuit dans le Var. Or, les technologies que je vais déployer dans le sud de la France sont les mêmes que je déploie en Guadeloupe.
Depuis que je suis enfant, on me dit que mon île, la Guadeloupe, est un laboratoire, une sentinelle du changement climatique. Pourtant, nous sommes à chaque fois les derniers à disposer des technologies les plus récentes ! Nous sommes les derniers à avoir la 4G et nous serons les derniers à expérimenter la 5G...
Tous les ans, nous projetons une équipe - 6 personnes en 2015, 12 en 2016, 16 en 2017, 26 cette année - de community managers, radioamateurs et journalistes pour des exercices, non pas à Pointe-à-Pitre ou à Jarry, où l'on sait que les forces se concentreront, parce qu'il y a des touristes et les institutions, mais à Marie-Galante ou à La Désirade, en situation de précarité énergétique et numérique. Alors que Maria a seulement égratigné Marie-Galante, les élus sont restés trois jours sans avoir de nouvelles de la préfecture, qui est à trente kilomètres ! Ce n'est pas un problème technologique, mais un problème de conduite des politiques publiques industrielles.
L'exercice Caribe Wave est l'un des plus importants dans le monde : 850 000 personnes évacuées. Vous, sénateurs, élus, devez être sur le terrain, au côté des populations pendant l'exercice !
Enfant, j'ai été marqué par la tristesse des gens après le cyclone Hugo. C'est pour ne plus la revoir que j'ai suivi une formation de météorologue. Aujourd'hui, c'est un peu un rêve que je réalise en déployant nos drones marins ou en affrétant des avions sur Marie-Galante pour la reconnaissance aérienne. Nous devons être capables de faire des catastrophes naturelles un terreau d'innovations ! Permettez-moi de vous montrer une brève vidéo que nous avons réalisée pour l'illustrer.
On peut citer également des exemples intéressants à l'étranger, comme la plateforme Familia Preparada au Chili qui permet d'identifier très rapidement les points de regroupement.
Les territoires insulaires doivent impérativement promouvoir le radioamateurisme. Nous ne pouvons plus rester coupés du monde pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours avec les technologies radio actuelles. Les industriels du web français doivent également se mobiliser, à l'image de Qwant, le moteur de recherche français, qui a fourni du matériel et formé des étudiants en informatique à Marie-Galante. Ils assurent la supervision du trafic aérien et maritime dans la zone.
Nous travaillons aussi avec des sociétés de cartographie et de nombreux partenaires locaux, notamment le FabLab Tilt à Saint-Martin, qui sont légitimes pour porter des stratégies de résilience.
Les exercices annuels de Caribe Wave ont permis d'affréter des bateaux pour Saint-Martin, d'envoyer du matériel à la Dominique ou de superviser les secours à Marie-Galante, dont nous étions sans nouvelle. Grâce aux panneaux solaires, nous avons pu aussi avoir de l'énergie pour déployer les réseaux de communication, première demande des habitants de Saint-Martin avec l'eau et l'alimentation.