Intervention de Alain Rissetto

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 12 avril 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs — Audition des acteurs humanitaires

Alain Rissetto, directeur de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge française :

Merci de nous permettre de partager avec vous nos réflexions. Nous sommes entendus aujourd'hui au titre d'une association agréée de sécurité civile, mais j'aimerais aller au-delà.

La Croix-Rouge a une double particularité : elle appartient à un mouvement international réunissant 190 sociétés nationales ; elle a le statut particulier d'auxiliaire des pouvoirs publics. Elle compte 60 000 bénévoles, répartis sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones ultramarines, 18 000 salariés et plus de 650 établissements, essentiellement dans le domaine sanitaire et médico-social.

Contrairement à nos amis de la protection civile, nous sommes non pas une fédération mais une association à responsabilité unique : il existe dans chaque département une délégation territoriale dont le président est désigné après des élections internes. Nous ne sommes pas une multitude d'associations départementales. Les délégations territoriales sont organisées selon deux modèles, celui des unités locales ou celui des antennes. Pour faire fonctionner cette mécanique, nous sommes 500 au siège, réunis dans un certain nombre de directions opérationnelles : une direction de coordination pour le milieu des bénévoles, une direction des relations et des opérations internationales - Ana Chapatte aura d'occasion d'en dire deux mots -, une direction outre-mer et une direction de l'urgence et des opérations créée voilà deux ans.

Pour pouvoir pratiquer en tant qu'association de sécurité civile, il est nécessaire d'avoir un agrément national délivré par le ministère de l'intérieur. Toutes les délégations territoriales, y compris les délégations ultramarines, ont un agrément pour les opérations de soutien aux populations sinistrées. Pour ce qui concerne les dispositifs prévisionnels de secours, il y a près de 85 délégations territoriales.

Nous avons signé une convention-cadre avec la direction générale de la sécurité civile, déclinable avec les préfectures, notamment pour le soutien aux populations. Sur le plan international, la Croix-Rouge française, dans la zone Caraïbes, a signé une convention avec la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

La préparation et la réponse à l'urgence font partie de nos coeurs de métiers. Une de nos priorités est d'apporter une réponse en cas de crise et pas uniquement de catastrophe, y compris en cas de crise sociale, comme à Mayotte récemment. Dans le cadre des objectifs prioritaires définis, toutes les délégations territoriales doivent élaborer un plan territorial de l'urgence. Ce travail consiste à définir le rôle de la Croix-Rouge à la suite d'une crise, en fonction de nos capacités, de nos savoir-faire et des attentes des pouvoirs publics ainsi que des secours publics, puisque nous travaillons conjointement avec eux.

Nous avons défini en interne un certain nombre d'outils : des statuts et trois règlements spécifiques, dont un spécialement destiné aux opérations menées par la Croix-Rouge française lors de situations d'exception. Nous avons aussi un certain nombre de schémas opérationnels, avec une catégorisation des opérations. Le fait d'avoir un agrément national nous oblige en effet à avoir une qualité de réponse égale sur tous les territoires, y compris dans les zones ultramarines. Or, nos moyens ne sont pas les mêmes qu'en métropole, cela fait partie de nos faiblesses.

Une opération d'envergure départementale est une opération de niveau 1. Elle est gérée par les acteurs départementaux de la Croix-Rouge, sous l'autorité du président départemental. Ils ont obligation de rendre compte à l'autorité nationale. La même opération peut être de niveau 2 - nous conviendrons alors d'un renfort de cadres opérationnels nationaux - ou de niveau 3 - elle sera alors pilotée directement par l'autorité nationale. Enfin, une opération de niveau 4 est une opération d'envergure nationale. Les trois ouragans dans les Antilles étaient-ils de niveau 4 ? Pas tout à fait. Compte tenu de notre spécificité à l'international, nous avons quatre niveaux de réponse à l'international, avec des niveaux 5, 6, 7 et 8 fondés sur le même concept, et un niveau 9, quand la direction internationale et la direction nationale sont concernées par le même événement. Pour Irma, nous avons donc déclenché une opération de niveau 9.

Nous disposons d'un pôle de 70 cadres opérationnels nationaux, capables de se projeter en métropole ou sur toutes les zones ultramarines. Puis nous avons intégré dans le système international des équipes de réponse aux urgences humanitaires (ERU).

La Croix-Rouge française travaille sur quatre thématiques : le WASH, c'est-à-dire le rétablissement de l'eau, le problème des abris, la logistique, le médical.

Pour Irma, la particularité était double : nous étions sur un territoire français avec une organisation des secours française, qui est une organisation très particulière ; mais nous avons mêlé à cette action, dans la réponse au soutien aux populations, toutes nos équipes spécialisées dans les grands événements à l'international.

Sur la question de la préparation, nous avons enfin un prépositionnement des moyens, avec des bases logistiques dans tous les départements métropolitains. Dans les zones ultramarines, nous avons deux plateformes d'intervention régionales : la plateforme d'intervention régionale Amériques Caraïbes (PIRAC) et la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI). Par ailleurs, nous avons une base logistique installée dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie.

Dernier élément, il existe des formations spécifiques à la Croix-Rouge : une formation d'une journée pour tous les acteurs bénévoles ou salariés engagés sur une opération ; une formation de cadre opérationnel de deux jours ; une formation de cadre opérationnel national de cinq jours ; plus des formations complémentaires, à la fois pour les équipes internationales et pour les équipes nationales.

Si je reprends les derniers chiffres, 500 personnes sont engagées sur les territoires ultramarins.

Irma a été une très grande opération pour nous. Nous avons pu l'anticiper et organiser une téléréunion avec toute la direction du siège, les délégations d'outre-mer et la plateforme d'intervention. Nous avons réuni la première cellule de crise le 4 septembre, soit quarante-huit heures avant l'impact. Nous avons alors pris deux décisions importantes : faire partir sur la zone des cadres opérationnels nationaux et préparer un détachement de la Croix-Rouge française. L'ouragan est passé sur la zone dans la nuit de mardi à mercredi. Le mercredi matin, le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) nous a proposé d'embarquer du personnel à bord d'un avion. Dix-sept personnes sont donc parties le mercredi soir dans le premier détachement de sécurité civile. L'avion est arrivé le jeudi matin en Guadeloupe, puis une partie de l'effectif est passée avec les troupes de sécurité civile sur l'île de Saint-Martin, où nous avons installé un réseau de télécommunications propre à la Croix-Rouge.

Il y a eu trois niveaux de réponse. D'abord, la réponse immédiate, qui a été donnée par les acteurs locaux. Ensuite, la plateforme d'intervention est entrée en action. Enfin, nous avons déclenché les renforts de métropole. Dans la phase d'urgence, qui pour nous est allée jusqu'à fin octobre, 500 personnes sont parties de métropole pour venir renforcer les actions de la Croix-Rouge sur la zone Irma.

Nous avons mis en place des actions traditionnelles, notamment pour la gestion de l'eau. Nous avons des machines de traitement de l'eau au sein de la PIRAC, mais nous n'avons pas pu les utiliser, car il n'y a pas d'eau de surface sur Saint-Martin. De plus, la machine de désalinisation a été détruite. Nous avons donc dû distribuer des bouteilles d'eau, fournies par l'État. Grâce à notre partenariat avec Veolia, nous avons pu avoir 12 tankers, répartis équitablement sur six zones.

Nous nous sommes aussi rendus dans les 9 centres de mise à l'abri, qui très rapidement sont devenus des centres d'hébergement d'urgence, d'autant qu'il a été question très vite de la menace de Jose. Sans parler de Maria !

On a estimé que plus de 5 000 personnes avaient quitté le territoire de Saint-Martin. Elles sont arrivées à Pointe-à-Pitre, ce qui n'a pas été sans poser deux types de difficultés : l'organisation du départ de Saint-Martin et la gestion d'un afflux massif. Nous avons également un peu participé aux soins.

Je vous le disais tout à l'heure, l'organisation des secours en France est très particulière. Elle est fondée sur la notion de médicalisation en amont et de secours à personne. Il aura fallu attendre 1995 et l'attentat du RER B à Saint-Michel pour commencer à parler de soutien psychologique. Les plans de secours pour la prise en charge des impliqués ou des sinistrés ne sont pas bien formalisés. C'est seulement depuis la loi de modernisation de la sécurité civile que les associations agréées de sécurité civile sont chargées d'une mission spécifique dans le cadre de l'agrément B, à savoir l'agrément de soutien aux populations sinistrées.

J'ai eu l'occasion de dire devant la Société française de médecine de catastrophe que la réponse n'était pas avant tout médicale : il a fallu surtout s'occuper du soutien aux populations. Voilà pourquoi nous revendiquons d'être non seulement le troisième acteur des secours, mais surtout - et j'adresse un clin d'oeil à mon collègue de la FNPC -les principaux acteurs du soutien aux populations.

Nous avons eu l'occasion de faire un riche retour d'expérience de la phase d'urgence, qui a duré du 6 septembre au 31 octobre, à laquelle a succédé la phase de post-urgence immédiate et de reconstruction. Comment passer d'une phase à l'autre, continuer l'action tout en réduisant le calibre de l'intervention ? Il était important que nos activités traditionnelles à Saint-Martin puissent reprendre, qu'il s'agisse du bus santé ou des maraudes.

Le dernier champ est la préparation des citoyens. Nous sommes loin des résultats escomptés dans la loi de modernisation de la sécurité civile, qui date de 2004 ! La préparation de la population nécessite un changement d'état d'esprit du citoyen, mais aussi la prise en compte par les pouvoirs publics et les secours publics de la dimension du soutien à la population. Pour ce qui nous concerne, nous avons créé voilà quelques années une initiation à la réduction des risques, qui est un module de sensibilisation pour limiter les conséquences d'une catastrophe. Dans chacune des zones, nous avons développé des plans de préparation du citoyen adaptés à la réalité locale.

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