Bien évidemment, nous répondrons à toutes les questions que vous nous adresserez postérieurement à cette audition.
La direction générale dresse systématiquement un retour d'expérience (RETEX), une analyse de tous les phénomènes nationaux que nous avons à gérer. Cette tâche incombe à une cellule du service de la planification et de la gestion des crises, dirigé par M. Jean-Bernard Bobin. Cependant, je n'ai pas souhaité que le RETEX de l'épisode cyclonique Irma soit mené par la direction générale car nous étions pilote et on ne peut être juge et partie. Nous disposons à ce jour de deux RETEX. Le premier a été engagé par le Secrétariat de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) assez rapidement après la crise et clôturé début novembre ; il s'est penché sur le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, et a donné lieu à un certain nombre de modifications. J'ai demandé un deuxième retour d'expérience qui a été confié par M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, au chef de corps de l'Inspection générale de l'administration. Il est en cours et se concentre davantage sur le fonctionnement du commandement central et les liens avec le terrain. M. Jean-Bernard Bobin conduira en février un troisième retour d'expérience avec les trois préfets locaux sur le fonctionnement du dispositif aux Antilles.
Les retours d'expérience sont faits systématiquement, parfois à plusieurs voix, au sein de l'administration et donnent lieu à des rapports écrits qui ciblent les dysfonctionnements. J'ai le sentiment que cette crise cyclonique est riche d'enseignements, avec des réalisations remarquables et des dysfonctionnements à corriger. Ceci étant dit, et compte tenu des circonstances exceptionnelles que nous avons vécues, je considère que l'action du service public a été particulièrement efficace.
Vous m'avez interrogé sur la pertinence du pré-positionnement des forces et les moyens de la direction générale. Le système français est un système original : à la fois « dur » et « mou ». « Dur » parce que c'est un système de commandement extrêmement hiérarchisé qui permet depuis deux siècles en France de faire face sur la base d'une répartition claire des responsabilités : le maire est responsable de la sécurité au premier degré et lorsque le sujet dépasse le territoire de sa commune, le préfet a alors tous les moyens pour coordonner l'action de l'ensemble des acteurs. En matière de protection et de sécurité civile, ce système nous est relativement jalousé. En cas de crise, il nous permet de prendre des décisions rapides et de mobiliser et déployer des moyens. S'il n'est pas parfait, c'est un système extrêmement pertinent, même si les élus locaux n'ont manifestement pas été suffisamment associés localement. Au niveau parisien, si la crise dépasse le périmètre d'un ministère, une cellule interministérielle de crise (CIC) se réunit à la demande du Premier ministre. Ceci a été fait dès les premières heures d'Irma. Cette CIC est à la fois un organe de décision et d'analyse mais aussi un organe de commandement pyramidé qui combine les forces des collectivités et de l'État et permet de faire face à la crise, qu'il s'agisse de terrorisme ou de sécurité civile. Le format de la CIC est variable et, lors d'Irma, nous étions en interministérialité quasi totale.
Les moyens de la direction générale sont d'abord des moyens nationaux propres. Notre administration centrale, relativement légère, est constituée de 280 personnes avec 38 statuts différents : des préfets, des administrateurs civils, des administrateurs territoriaux, des agents administratifs, des experts en tout genre - tsunamis, tremblements de terre, feux de forêt, végétation, vulcanologie, nucléaire, tunnels, inondations -, des sapeurs-pompiers civils et militaires, des pilotes, des médecins, des pharmaciens, des informaticiens, des démineurs, des cartographes ... Nous avons développé une palette d'expertise assez vaste.
Notre direction est partagée en 3 pôles : un pôle classique de cabinet dédié au soutien logistique et aux aspects financiers ; un pôle opérationnel dirigé par Jean-Bernard Bobin et un pôle métier des sapeurs-pompiers.
Nous nous appuyons sur une flotte de 26 avions, essentiellement des bombardiers d'eau et multifonctions et de 35 hélicoptères multi-missions, les EC145. Trois sont déployés dans les outre-mer (Guadeloupe, Guyane et Martinique). Nous en avons utilisé 2 pour Irma. Nous avons également des démineurs, 3 régiments du génie de l'armée de terre qui interviennent en matière de sécurité civile. Ce sont des militaires, employés et rémunérés par le ministère de l'intérieur, et qui sont sapeurs-sauveteurs. Nous avons enfin 4 établissements logistiques très importants.
Nous nous appuyons de manière opérante sur le réseau des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), regroupant 240 000 sapeurs-pompiers volontaires, professionnels et militaires dont nous assurons la doctrine et le commandement opérationnel. Aux Antilles, nous avons déployé à la fois des militaires de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers des SDIS antillais et métropolitains. Ce réseau opérationnel est donc « dur » parce que c'est un réseau d'État - nous avons la main sur le budget, les ressources humaines et la gestion - et « mou » parce que nous nous appuyons aussi sur le réseau des SDIS des collectivités. C'est un réseau très résilient, très solide, très organisé et qui fonctionne remarquablement bien. À titre d'exemple, l'été dernier, pendant 3 mois, nous avons employé au minimum tous les jours 28 000 hommes pour les feux de forêts.
Pour la gestion opérationnelle, je dispose du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) qui est le réceptacle de suivi de tout ce qui se passe en France et à l'extérieur, via l'Union européenne mais pas seulement, et qui pourrait nous impacter. Le COGIC peut se transformer de manière immédiate en état-major de commandement, ce que nous faisons en ce moment pour les inondations. Son format peut évoluer d'un niveau 1 à un niveau 3 d'une quarantaine de personnes. C'est un état-major militaire de direction et d'opération, situé à deux étages de mon bureau. Il fonctionne en réseau et s'appuie sur les cellules de crise des préfectures. Je regrette que tous les élus n'aient pas été suffisamment associés à l'échelon local puisqu'à Paris nous avons associé nos amis néerlandais - l'ambassadeur a été présent plusieurs fois à nos côtés - et un élu local présent à Paris. Lors du prochain RETEX local, dans un mois, nous en ferons état aux trois préfets.
Vous savez tous que nous avons demandé depuis une dizaine d'années aux mairies - cellules administratives essentielles au fonctionnement de notre pays au plan administratif et de citoyenneté - de travailler à l'élaboration de plans communaux de sauvegarde (PCS), documents de réflexion et d'action particulièrement importants. Les collectivités antillaises peuvent être louées dans ce domaine en termes de réalisations. Il y a une prise de conscience par la population et les responsables publics et politiques des risques réitérés et de la nécessaire gestion de ces risques qui concernent l'habitat, les évacuations, l'entretien du territoire...
Faut-il ou non pré-déployer des moyens en outre-mer ? En Martinique, depuis près d'une vingtaine d'années, nous avons déployé une partie des moyens fixes de la réserve nationale, utilisés souvent en coopération décentralisée. Nous avons quelques moyens pré-positionnés à La Réunion. Il ne serait pas très utile de pré-positionner davantage de moyens humains car ces personnes ont besoin de beaucoup d'entraînement. Elles sont aujourd'hui regroupées dans trois régiments, à Brignoles, à Nogent-le-Rotrou et à Corte - à peine 300 personnes. Le pré-positionnement nous priverait de moyens de projection depuis Paris et de capacités d'entraînement. Nous avons une force de frappe de près de 400 hommes en 24 heures. Aujourd'hui, sans aucune difficulté, nous sommes en capacité de prendre en compte simultanément une crise de très grande ampleur et une crise d'intensité moyenne sur le territoire national sans provoquer de désorganisation substantielle des SDIS.
Les unités militaires sont soumises à un rythme de projection opérationnelle qui commence à soulever des inquiétudes. Début juin 2017 et pendant 3 mois, j'avais en permanence 800 personnes mobilisées jour et nuit sur les feux de forêts, engagées sur 410 feux, pour un effectif de 1400 militaires. Nous avons envoyé des renforts pour lutter contre les feux de forêt à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Nous avons déplacé 1 000 hommes pour Irma. Nous avons déployé un hôpital de campagne lors de l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre. 300 hommes sont engagés en ce moment sur les inondations. Ils partent également à l'étranger, en Jordanie et en Israël pour des entraînements à la maîtrise des feux de forêts. Le pré-positionnement d'une compagnie, soit 100 hommes, limiterait considérablement la capacité de réaction. Mais j'admets volontiers que la projection logistique reste un problème pour les territoires éloignés.
Les moyens sont-ils suffisants ? Le directeur général de la sécurité civile vous fera une réponse duale : comme tout responsable public, je dirai que je n'en ai jamais assez ; plus sérieusement, je dirai que les moyens sont globalement suffisants et nous permettent de prendre en compte des risques divers. Il est évident qu'un certain nombre de risques nécessitent un engagement européen mutualisé et nous y travaillons. Le Président de la République souhaite que nous puissions coopérer davantage avec nos voisins européens et nous avons engagé des initiatives dans ce sens depuis quelques mois. Si les Européens avaient à faire face à une très grave alerte chimique, il est évident que nous ne pourrions la résoudre qu'en unissant nos forces. Pour les Antilles, nos moyens nationaux étaient largement suffisants. S'il avait fallu faire appel à l'aide de nos amis européens, il n'y aurait eu aucune difficulté pour l'obtenir. Ce mécanisme très souple s'appelle le Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) : un simple appel téléphonique entre deux directeurs généraux suffit pour déclencher la procédure.
La question fondamentale de l'éloignement des collectivités ultramarines se pose pour la gestion des crises en termes de délai et de rapidité d'intervention. Le préavis de gestion de crise est déterminant. Nous ne sommes pas tributaires de l'analyse d'un seul opérateur mais entretenons des liens extrêmement étroits avec Météo France et le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). Nous avons également développé une capacité d'analyse propre qui nous permet de confronter les différentes données et scénarios avec, en interne à la direction générale, une véritable capacité d'expertise pour décrypter les caractéristiques d'un phénomène qui va se développer. En général, nous lisons les dépressions avec 5 à 6 jours d'antériorité et nous scrutons aussi les analyses des autres institutions, qu'elles soient américaines ou australiennes. Nous avons parfois recours à la consultation d'experts extérieurs. Le phénomène Irma est passé en 24 heures de la catégorie de dépression tropicale un peu marquée au cyclone de catégorie 5, évolution totalement inédite. Si nous avions attendu la confirmation, nous aurions été tenus en échec. Les incertitudes relatives au déplacement des dépressions à 24 heures sont considérables, de l'ordre de 200 kilomètres vers le nord ou vers le sud. La décision doit intervenir suffisamment tôt car, passé le délai de 48 heures avant l'événement, il n'est plus possible de projeter des moyens sur zone. Le processus de décision associe aussi les préfets. Deux exemples récents : pour Irma, nous avons décidé de projeter à la fois des missions d'appui au commandement dans les deux préfectures des Antilles puis une unité avancée directement à Saint-Martin. Au moment où la décision a été prise, on ne pensait pas que l'on atteindrait un stade de cyclone de niveau 5 et les hypothèses de trajectoire visaient davantage la Martinique que les îles du Nord. À l'inverse, lors de la dépression Berguitta, nous avons décidé, en accord avec le préfet, de ne pas projeter de renfort en amont, les moyens locaux paraissant suffisants La précision n'est pas une science exacte.
Sur les autres événements qui n'ont pas une origine météorologique, tels les tsunamis ou les mouvements telluriques, les sismologues se sont partagé la planète par zone. Chacun est responsable de son secteur. La France est responsable du secteur de l'océan Indien. Nous avons là de gros moyens. Le réseau d'alerte au tsunami fonctionne très bien. Mardi matin, il y a eu un gros tremblement de terre au large de l'Alaska avec un risque de tsunami, la diffusion mondiale s'est faite dans les 10 minutes.