Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule à mon intervention dans cette discussion générale, je formulerai quelques remarques.

Tout d'abord, j'observerai que nous avons à examiner un projet de loi équilibré. Il est à la fois extrêmement précis et ambitieux, s'agissant en particulier du basculement vers le numérique. Il est en outre évolutif, souple et d'une certaine façon modeste lorsqu'il s'agit de défricher de nouvelles terres, en ce qui concerne notamment la télévision du futur.

Le Gouvernement a déclaré l'urgence pour ce texte. Je pense comme vous, monsieur le ministre, que la France n'a pas une minute à perdre, et, lors de nos auditions, tous les acteurs sans exception nous ont dit qu'il fallait absolument avancer et que l'on ne pouvait pas courir le risque d'un déclassement, notamment en matière de calendrier.

À cet instant, me vient à l'esprit une maxime d'un poète nantais, René-Guy Cadou, qui était un ami de Max Jacob : « Payez-vous le luxe d'être simple. » Alors que nous abordons l'examen d'un texte qui apparaît parfois d'une grande complexité technique, truffé d'anglicismes et d'acronymes, cela me semble être un sage conseil pour aller à l'essentiel, qui est finalement de savoir dans quelles conditions notre pays saura et pourra tirer le meilleur bénéfice, tant culturel qu'économique, de la formidable révolution numérique.

Bien sûr, la commission des affaires économiques, saisie pour avis, s'en est tenue à son champ de compétence. De ce point de vue, j'espère que chacun d'entre nous est convaincu que les nouvelles technologies offrent un potentiel de croissance, un gisement d'emplois absolument extraordinaires.

Pour autant, nous sommes aussi absolument convaincus que ce texte comporte une dimension éminemment culturelle. À quoi servirait-il, en effet, de disposer d'une profusion de matériels et de technologies si cette abondance devait s'accompagner d'un appauvrissement de la création d'oeuvres de l'esprit ?

Cela étant dit, dans une approche strictement axée sur l'économie et l'aménagement du territoire, la commission saisie pour avis a identifié trois grands enjeux.

Le premier enjeu est celui de la couverture du territoire, mais aussi du basculement vers le numérique, car c'est, à notre avis, pratiquement la même chose.

Le deuxième enjeu est celui du dividende numérique, ou plutôt du gain numérique.

Le troisième enjeu est celui de la mobilité, qui nous paraît constituer la vraie rupture en matière de télévision du futur.

En ce qui concerne tout d'abord la couverture du territoire, nous pensons que, à quelques mois de l'élection présidentielle de 2012, il sera difficile d'opérer un basculement définitif vers le numérique si le taux de couverture de notre territoire et de sa population ainsi que le taux d'équipement des foyers ne sont pas suffisants.

Cela signifie que le taux de couverture, notamment, doit être considéré non pas comme une simple modalité accessoire, mais pratiquement comme un objectif, dans la mesure où il va concourir très directement au succès du basculement. Il s'agit, en outre, d'éviter de placer les élus locaux en position difficile devant leurs concitoyens, qui leur adresseront des reproches si jamais la couverture n'est pas suffisamment large. On voit déjà ce qu'il en est en matière de haut débit : il nous revient donc d'anticiper, pour faire en sorte que nous ne connaissions pas les mêmes difficultés avec le passage au numérique.

Notre objectif, monsieur le ministre, mes chers collègues, est bien d'obtenir une couverture à 100 % du territoire et de la population. Cela doit être clair. Nous pensons nous aussi que cet objectif ne pourra être atteint sans recourir simultanément, à parts extrêmement précises, à deux technologies : la diffusion hertzienne terrestre et la diffusion satellitaire.

Or le texte, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas aux chaînes de prendre un engagement suffisant, celui-ci portant, pour l'heure, sur une couverture territoriale à hauteur de 85 %, un éventuel effort supplémentaire reposant sur leur bon vouloir et étant récompensé par une prorogation, dans la limite de cinq ans, de leur autorisation de diffusion.

Ce dispositif nous paraît insuffisant, en particulier parce que nous savons que le taux de couverture de 85 % ne sera pas atteint à la fin de 2007. À cette date, le taux de couverture s'établira sans doute entre 78 % et 80 % seulement.

Cela signifie que vingt départements métropolitains seront couverts à moins de 50 %. En outre, 228 villes de plus de 10 000 habitants, dont la liste figure en annexe au rapport que Pierre Hérisson et moi-même avons rédigé, seront très mal couvertes. Parmi elles, figurent de très grandes villes, comme Marseille, Nice, Toulon, Nancy, Metz, Saint-Étienne... Par conséquent, je le répète, le taux de 85 % de couverture ne sera pas atteint à la fin de 2007.

Pourtant, nous pensons que ce taux de couverture affiché de 85 % est très largement insuffisant. En effet, lorsque l'on regarde ce qui se passe chez nos voisins européens, on constate qu'ils se sont presque tous fixés des taux cibles de couverture beaucoup plus ambitieux : en Allemagne, 90 % pour les chaînes publiques ; au Royaume-Uni, plus de 98 % ; en Espagne, 98 %, là aussi pour les chaînes publiques.

Certes, on ne peut pas imaginer obtenir avec le seul réseau hertzien terrestre une couverture à 100 % du territoire. En effet, comme le disait à l'instant Louis de Broissia, un peu plus de un million de foyers français ont déjà dû s'équiper d'une antenne parabolique pour capter les programmes diffusés en mode analogique. Cela étant, nous pensons qu'il serait tout à fait excessif d'abandonner la desserte de 20 % du territoire à la seule voie satellitaire.

C'est la raison pour laquelle nous avons été conduits à évaluer l'apport de chacune des technologies pourrait prendre à la couverture intégrale du territoire. Je ne reviendrai pas ici sur le raisonnement qui nous a guidés, mais j'indiquerai que nous avons établi une comparaison au regard notamment de deux critères : la facilité d'installation et le coût économique.

Bien sûr, la voie satellitaire est plus pratique et plus rapide à mettre en oeuvre pour les chaînes et les diffuseurs de programmes que la voie hertzienne terrestre, mais l'installation d'une antenne parabolique se révèle compliquée pour les foyers disposant d'une antenne « râteau ». Si nous devions accepter que 20 % de notre population soit desservie par satellite, cela obligerait à installer plus de 2, 5 millions d'antennes paraboliques ! C'est beaucoup trop, et cela retarderait l'équipement des ménages en matériels de réception. C'est là un premier résultat.

Sur le plan économique, la solution hertzienne est sans doute moins chère pour les ménages et plus coûteuse pour les chaînes que la voie satellitaire, quoique nous ayons pu établir que les grandes chaînes, publiques ou non, feraient une énorme économie de diffusion après le passage au numérique, puisque quand une chaîne paie actuellement de 50 millions à 60 millions d'euros par an pour sa diffusion hertzienne analogique, elle paiera de 7 millions à 8 millions d'euros pour sa diffusion hertzienne numérique.

Quoi qu'il en soit, la diffusion par voie hertzienne terrestre est moins coûteuse pour les ménages que la voie satellitaire. Ainsi, en matière d'équipement, l'installation d'une parabole et l'achat d'un décodeur reviennent à environ 140 euros.

Par conséquent, en rassemblant l'ensemble des termes du raisonnement, il nous a paru intéressant de proposer de viser une couverture à 100 % de la population et du territoire, bien entendu, mais en fixant un objectif ambitieux de 95 % de couverture par la voie hertzienne terrestre pour les chaînes historiques, en contrepartie d'une prorogation de cinq ans de leur autorisation de diffusion.

En revanche, pour les nouveaux entrants, nous souhaitons que le dispositif prévu dans le texte, qui est très largement incitatif, puisse être maintenu. Bien sûr, la voie hertzienne terrestre est une solution. Cependant, elle doit être complétée, comme vous l'avez très bien dit, monsieur le ministre, par la voie satellitaire, et nous appelons de nos voeux, comme la commission des affaires culturelles, la création d'un service satellitaire qui ne soit pas restreint au minimum, c'est-à-dire à la diffusion des seules chaînes historiques, mais qui puisse accueillir sans frais le bouquet des dix-huit chaînes gratuites, afin que celles-ci soient ainsi accessibles aux foyers non desservis par le réseau hertzien. Il en va du respect du principe d'égalité des citoyens devant un service essentiel.

Par ailleurs, nous nous félicitons de l'institution du fonds prévu à l'article 103 du projet de loi. Nous proposerons de préciser le dispositif, afin de lui donner une meilleure neutralité technologique. En effet, les directives européennes s'appliquent, et nous ne voyons pas pourquoi un ménage ne pouvant être couvert que par la voie satellitaire ne serait pas aidé pour l'acquisition de la parabole, par exemple. C'est là aussi une question de justice.

Enfin, nous sommes profondément d'accord avec la commission des affaires culturelles pour estimer que l'équipement des ménages devra s'accompagner d'une très large opération de communication.

À cet égard, nous vous suggérerons, monsieur le ministre, de confier une mission à La Poste et à ses préposés, qui connaissent tous les foyers de France, notamment ceux qui comprennent des personnes âgées, lesquelles sont parfois quelque peu réfractaires aux nouvelles technologies. Les préposés pourraient ainsi jouer un rôle en matière de pédagogie à domicile, en particulier auprès des publics les plus fragiles, grâce peut-être à un contrat que le Gouvernement pourrait passer à cette fin avec La Poste. Nous formulerons cette proposition lors de la discussion des amendements.

J'en viens maintenant au deuxième enjeu : le dividende numérique ou, ainsi que vous l'avez appelé, monsieur le ministre, le gain numérique.

Que recouvre la notion de gain numérique ? Avec le numérique, nous pourrons mieux utiliser les fréquences : chacune pourra porter six chaînes contre une actuellement.

Nous avons des difficultés à quantifier ce que peut représenter le dividende. D'un côté, la conférence de Genève a fixé un nombre de réseaux qui représente un minimum : sept pour couvrir l'ensemble du territoire et un huitième pour 80 % du territoire. D'un autre côté, lors de nos auditions, un certain nombre d'acteurs, comme le CSA, estimaient que ce dividende autorisait le déploiement de quinze à vingt réseaux.

Il nous semble donc que, en matière de possibilités numériques, il n'existe pas de norme absolue en France. Le réseau varie dans l'espace : à Charleville-Mézières, nous sommes très contraints par la situation proche de la frontière alors que, à Poitiers, nous sommes en pleine « souveraineté hertzienne ».

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