Intervention de Jack Ralite

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion générale

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Il est frappé originellement d'un déficit démocratique. « Il y a déficit démocratique quand le cercle des gens qui décident ne correspond pas au cercle des gens qui subissent les conséquences de la décision », dirait Habermas. Il est vrai que Mme Parisot, présidente du MEDEF, c'est-à-dire des gens qui décident, considère que « la pensée s'arrête là où commence le code du travail ». Comme nous ne saurions abonder dans ce sens, pensons sur ce texte qui devrait en fin d'analyse avouer son code du travail, c'est-à-dire son code de la route, ou plutôt son absence.

La première caractéristique de ce projet de loi est qu'il confirme et élargit immensément le poids des puissants. Énumérons le total des cadeaux qu'il leur fait : cadeau aux trois opérateurs audiovisuels historiques privés - TF1, Canal+ et M6 - d'un canal supplémentaire qui pourra émettre sur tout le territoire gratuitement ou en étant payant ; cadeau d'un accès automatique au futur réseau de télévision mobile personnelle pour les « nouveaux entrants » de la TNT, dont les chaînes des groupes Bolloré, Bertelsmann-RTL, Lagardère-Hachette et Canal+-TPS ; cadeau du marché de la haute définition aux industries de l'électronique grand public et aux installateurs, un marché réservé de millions de personnes - et, comme vous pouvez le constater, cela « publicise » bougrement pour ce Noël 2006 ! - ; cadeau du marché de la télévision mobile personnelle aux trois grands opérateurs de télécommunications : Orange, filiale de France Télécom ; SFR, filiale de Vivendi donc liée à Canal+ ; Bouygues Télécom, filiale du groupe du même nom, intimement liée à TF1. On sait que ces trois grands avaient conclu une entente illégale, condamnée l'an dernier par le Conseil de la concurrence, à laquelle succède aujourd'hui le parachutage législatif d'une autre entente des mêmes concernant un marché potentiel gigantesque de 50 millions d'usagers actuellement.

La deuxième caractéristique est que ces cadeaux, plus que discutables, se font sans aucune contrepartie réelle quant au contenu de l'offre de programmes. Celle-ci va se transformer en profondeur, notamment dans le cadre de la télévision mobile personnelle. Quoi qu'il en soit, la multiplication même des canaux de diffusion pose à nouveau avec acuité la question des contenus.

Peu après le vote de la loi du 30 septembre 1986, les états généraux de la culture inscrivirent dans la déclaration des droits de la culture, traduite en quatorze langues : « quand un peuple abandonne son imaginaire aux grandes affaires, il se condamne à des libertés précaires ». Ils établirent la nécessité d'une responsabilité publique et sociale dont la première disposition est « l'audace de la création », l'artiste étant premier, les marchands venant ensuite, s'ils viennent.

Aujourd'hui, ce sont les marchands qui viennent d'abord et pilotent la création. Quand TF1 a été privatisée, on a parlé du « mieux-disant culturel ». Maintenant que TF1 avoue fabriquer des « cerveaux disponibles » pour le marché publicitaire, qu'en est-il ? Qu'en est-il quand un peuple est ainsi confronté aux grandes affaires prédatrices ? Je crois qu'il est temps d'établir une éthique du domaine numérique sous toutes ses formes.

La troisième caractéristique, c'est que ce projet de loi ignore superbement le service public, dont on sait pourtant la fragilité. On aurait pu imaginer, alors que se construit un nouveau paysage audiovisuel, que l'État y apporte une vraie contribution. Or, non seulement il ne donne rien, mais le projet va jusqu'à ne rien prévoir de public sur les futurs canaux de la télévision mobile personnelle.

Vous avez certes déclaré tout à l'heure, monsieur le ministre, que vous alliez décider la préemption de deux chaînes pour le service public, mais pourquoi, le disant, ne l'inscrivez-vous pas dans la loi ?

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