Intervention de Jack Ralite

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion générale

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

La sixième caractéristique de ce texte est l'absence de démocratie qui préside à son débat et qui marque les dispositifs prévus. Notre commission a auditionné un certain nombre de personnes, mais pas tout l'arc-en-ciel de celles qui sont concernées. Notre rapporteur a bien sûr largement auditionné, son rapport fouillé et le travail précieux des administrateurs le prouvent, mais c'est en commission que tous les intéressés devraient venir et qu'une « dispute » devrait avoir lieu, avant la séance dans l'hémicycle.

On notera aussi la création d'un groupement d'intérêt public dont l'échéance n'est pas précisée, laissant planer la possibilité de sa pérennisation et, par là même, l'institutionnalisation d'une présence explicite des affaires dans la décision politique.

Le CSA est, par ailleurs, constamment minoré dans ses interventions, alors qu'il devrait être démocratisé pour gagner en pertinence, en considération et en pouvoir.

Enfin, nous siégeons en urgence. Cela simplifie peut-être la délibération, mais « compresse » la démocratie.

La septième caractéristique de ce projet, c'est l'absence de la radio, dont je veux croire qu'un texte spécifique précisera rapidement le passage au numérique. Pourtant, nous regrettons cette segmentation de l'ensemble radio-télévision, et disons la légitime inquiétude des radios libres, indépendantes et de proximité.

La huitième caractéristique, c'est que le texte soustrait les acteurs industriels de la télévision mobile personnelle aux obligations d'interopérabilité prévues à l'article 30-3 de la loi de 1986.

Avec cette soustraction, le coût de l'accessibilité à l'offre télévisuelle incombe indûment au téléspectateur. C'est scandaleux quand on se souvient des débats houleux à ce propos, lors de l'examen du projet de loi relatif au droit d'auteur, et quand on pense aux accords récents de Microsoft avec Linux via Novell. Microsoft se présente comme favorable à l'interopérabilité et à sa garantie pourvu qu'on soit dans l'espace qu'il protège, parce qu'il le domine. Ce qui se met en place aujourd'hui, c'est l'« interprofitabilité » au détriment de l'interopérabilité !

Dans ces conditions, comment ne pas convenir que ce texte offre à la télévision du futur de bien curieuses fondations où manquent l'esprit public, la considération pour les publics, la création et le pluralisme ? C'est une sous-traitance de nos imaginaires par les financiers, ratifiée par la loi. Ce n'est pas un projet de loi « gagnant-gagnant », c'est un projet de loi « gagnant-perdant » où les perdants sont la création, les publics et l'espace public.

Je veux encore insister sur deux aspects.

Ce projet de loi ne peut pas être voté sans une délibération sur les moyens dont l'audiovisuel et la création dans l'audiovisuel ont besoin. Je suis favorable à une taxation de tous ceux qui, à un titre ou un autre, sont branchés sur l'ensemble numérique, tels que les fournisseurs d'accès à Internet, les opérateurs de téléphonie mobile, les fournisseurs de vidéo à la demande, à laquelle s'ajoute une majoration de la contribution des éditeurs de services au compte de soutien à l'industrie des programmes, le COSIP. Une augmentation limitée de la redevance pourrait même être envisagée.

Par ailleurs, il n'est pas question pour nous que soit abordé, dans ce contexte, le problème de la redéfinition de l'oeuvre audiovisuelle, d'autant qu'elle est à l'ordre du jour à Bruxelles et au CSA, avec l'évidente intention du monde des affaires d'élargir l'application de la notion de création, donc leur part de rémunération.

À travers l'orientation de ces débats, c'est la mise en cause du droit d'auteur qui est en jeu. Il s'agit d'une question fondamentale. Je ne nous vois pas trancher ce jour cette question de civilisation que sont l'oeuvre et sa relation très étrange avec son regardeur.

Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, n'est pas un projet de loi de régulation, c'est un projet de loi de régularisation et d'intensification des droits d'affaires. Le contexte général du paysage de la communication internationale va dans ce sens. Ainsi, le rachat des entreprises du câble en France par des fonds de pensions américains -UPC-Noos repris récemment par Cinven - est un exemple de primauté de la rentabilité sur le service.

La conférence internationale de Tunis sur la société de l'information de novembre 2005 n'a, quant à elle, pas abouti à une régulation internationale d'Internet devant le lobbying des États-Unis en faveur d'une prorogation de la gestion privée du système d'adressage du net, pour leur propre sécurité stratégique et économique, et je cite là un courrier de Condoleezza Rice à Jack Straw, secrétaire d'État aux affaires étrangères de Tony Blair, alors président de l'Union européenne.

Enfin, Google s'empare peu à peu, à un rythme effréné, du fond documentaire de la mémoire du monde, et traite avec les États en direct et en puissance.

C'est sur le terrain bien évidemment mondial que sera malmenée la diversité culturelle. C'est sur un terrain mondial identique que, il y a quelques années, l'informatique européenne a été dépecée et rachetée. Le seul critère de la rivalité économique a laminé le Néerlandais Philips, le Français Bull, l'Italien Olivetti, l'Allemand Siemens. Pourquoi bégayer cette erreur ?

Ce contexte, dans lequel je ne veux pas oublier l'inadmissible offensive européenne contre la copie privée, qui serait un coup terrible porté contre la création en France - et je sais que vous êtes contre, monsieur le ministre -, l'augmentation des coupures publicitaires à la faveur du réexamen actuel de la directive Télévisions sans frontières, ...

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