Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion générale

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

De nouveau, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, cède aux pressions des grands groupes, au premier rang desquels TF1, qui a freiné des quatre fers face au lancement de la TNT. Aujourd'hui, ce groupe s'accommode tellement mal de la fin programmée de l'analogique qu'il opère un lobbying insistant, pour ne pas dire agressif, auprès des parlementaires. Or le canal bonus pour TF1, M6 et Canal+ n'est absolument pas justifié ! Il l'est d'autant moins, d'ailleurs, que ces trois chaînes bénéficieront déjà d'une prolongation de leurs autorisations de diffusion.

Cadeau injustifié, car le projet de loi dispose, dans son article 5, que le CSA devra à la fois tenir compte, pour l'élaboration du calendrier d'extinction de la diffusion analogique, de l'équipement des foyers pour la réception de la TNT et de la disponibilité effective en mode numérique des chaînes de télévision concernées. Ces grands groupes privés ne pâtiront donc pas commercialement du basculement en numérique. En revanche, les « nouveaux entrés » de la TNT pâtiront, eux, du déséquilibre ainsi engendré.

Même si TFI, M6 et Canal+ doivent participer au financement de la couverture numérique complémentaire et assurer de manière transitoire la double diffusion analogique et numérique, la diffusion numérique exclusive sera à terme une source d'économies importantes. D'ailleurs, les arguments développés par TFI et élaborés avec l'aide d'un cabinet de consultants dans un document intitulé « Le canal complémentaire : un enjeu pour l'audiovisuel français » sont particulièrement instructifs.

L'essentiel de l'argumentaire n'a rien à voir avec le dispositif du projet de loi, mais porte bien plus sur « le choc technologique », selon les termes du document, que constitue la concurrence d'Internet.

À cet égard, il est plutôt grotesque qu'un tel groupe, chantre du libéralisme, refuse la concurrence exclusivement quand celle-ci risque de s'opérer à ses propres dépens ! Faut-il rappeler que ces grands groupes se sont développés grâce à la mise à disposition gratuite d'une ressource publique et rare : le hertzien de terre ?

J'ajouterai que, après plus d'un an d'existence, l'offre élargie de la TNT n'a pas révolutionné la hiérarchie des audiences des chaînes gratuites en clair. Comme en diffusion analogique, TF1 se taille la part du lion et conserve sa position dominante. Viennent ensuite France 2, France 3 et M6.

Enfin, l'attribution du canal bonus préempte un « dividende numérique » qui restera limité. Elle constitue donc une accentuation forte du phénomène de concentration de nos médias audiovisuels et une atteinte supplémentaire au pluralisme !

Face au développement des nouvelles technologies et des normes concurrentes qui leurs sont liées, le consommateur est souvent pris en otage. Ce sera notamment le cas des foyers qui se sont récemment équipés en téléviseurs « HD ready » et qui pourtant ne recevront pas forcément la TVHD.

C'est non pas l'intérêt des industriels, mais celui de l'utilisateur qui doit primer. Or, cette année, 1, 5 million de téléviseurs « HD ready » seront vendus en France sur un marché probable de 5 millions d'unités.

Nous considérons qu'il est inadmissible que des récepteurs uniquement analogiques soient encore en vente ! Il incombe au Gouvernement de prendre ses responsabilités, car il est urgent pour le consommateur d'éclaircir certaines questions afin de pouvoir orienter au mieux ses achats en matériels de télévision.

À vous de convaincre, monsieur le ministre, de la nécessité d'imposer un basculement qui soit le plus rapide possible vers la norme MPEG 4 des démodulateurs TNT et des téléviseurs, ou, à tout le moins, de coordonner ce basculement avec l'effectivité du fonds d'aide à l'équipement. Ce fonds doit, en effet, contribuer à l'acquisition d'équipements compatibles MPEG 4, seuls à même de garantir la réception en haute définition puisque le Gouvernement a déjà, semble-t-il, arbitré que la TVHD se développerait suivant cette norme.

C'est pourquoi nous vous proposerons, au travers d'un amendement, que l'équipement pris en compte par le fonds d'aide aux téléspectateurs les plus démunis inclue tous les systèmes d'accès à la haute définition.

Nous préciserons, en outre, les critères d'allocation : pour être bénéficiaire de l'aide, le critère de ressources et celui d'exonération de la redevance ne devront pas être cumulés.

Concernant le décret devant préciser les modalités de la mise en oeuvre du fonds, nous insistons pour que l'aide ne soit pas limitée à l'achat de décodeurs et qu'elle participe aussi au remplacement de téléviseurs adaptés.

De même, cette aide devra être versée pour l'équipement satellitaire de nos concitoyens les plus modestes en zones blanches, où s'appliquera le service « antenne TNT par satellite ».

Avec l'adaptation de notre cadre juridique à la TMP, nous assistons à un nouvel assaut libéral. En effet, ce nouveau support bénéficiera d'un régime dérogatoire qui permettra à seulement cinq grands groupes de se partager la manne de ce nouveau marché, manne cumulable derechef avec les sept autorisations TNT !

Votre logique est celle de la concentration libérale. Sous couvert de modernisation et d'adaptation, votre gouvernement, monsieur le ministre, tente au travers de ce projet de loi de dissimuler sa politique libérale de dérégulation du secteur audiovisuel dans notre pays.

Ce qui, foncièrement, nous oppose à votre vision de la télévision du futur dans notre pays, c'est votre focalisation sur les « tuyaux » et l'insuffisance d'intérêt que vous portez au contenu.

Pour notre part, nous sommes très attachés au principe selon lequel un contenu culturel est défini par sa spécificité et non par le mode de transmission utilisé pour le mettre à la disposition du public. C'est pourquoi nous vous proposerons une augmentation de la contribution des opérateurs de vidéo à la demande et un assujettissement des distributeurs de télévision par ADSL au COSIP.

Nous ne le répéterons jamais assez : le premier objectif de ces évolutions techniques est de servir l'intérêt du public et non celui des grands groupes industriels.

Derrière la révolution technique, vous oubliez trop volontiers l'enjeu du pluralisme, de la création artistique et de l'accès à la culture. Il revient à l'État de mener une politique des contenus facilitant l'accès des citoyens aux connaissances et à la culture, et garantissant le pluralisme de l'information.

Si nous sommes tant attachés à la régulation, c'est bien pour garantir aux concitoyens un fonctionnement des médias audiovisuels français concurrentiel, pluraliste et respectueux du téléspectateur, une régulation qui, face à la banalisation des contenus, assure une pluralité réelle d'approches de l'audiovisuel, un vrai pluralisme des idées et des expressions, pour l'accès à la connaissance et à la création.

Les contenus et les créations doivent être au centre de toutes technologies, quelles qu'elles soient. L'enjeu de civilisation, ce n'est pas le « tuyau » en lui-même, mais c'est le contenu.

Nous sommes bien conscients que le problème réside toujours dans la tension entre ces deux objectifs : adapter le secteur de la communication aux évolutions technologiques tout en pensant à l'avenir de nos industries de programmes.

Il faut à la fois assurer aux groupes français, publics et privés, les moyens de défendre leur place sur la scène internationale et garantir le libre choix au citoyen téléspectateur. Pour le dire autrement, il convient de préserver notre identité culturelle et d'assurer le pluralisme.

En tout état de cause, monsieur le ministre, le Gouvernement est véritablement bien trop éloigné du point d'équilibre ! Après lecture des propositions du rapporteur de la commission des affaires culturelles, il me semble que celle-ci partage ce point de vue.

Pour notre part, nous vous proposerons donc de supprimer le régime dérogatoire de la TMP aux dispositions anti-concentration, ainsi que la remise en cause de la possibilité de retrait d'autorisation par le CSA, en cas de modification substantielle des données sur la base desquelles cette autorisation a été accordée.

Enfin, pour renforcer notre industrie de programmes, vecteur de notre identité culturelle, nous vous inviterons, à l'instar de M. rapporteur, à revenir sur la définition de l'oeuvre audiovisuelle. En effet, comme beaucoup d'entre vous, je ne peux me résoudre à ce que la télé-réalité puisse être comptabilisée dans les obligations de diffusion et de production cinématographique et audiovisuelle d'expression originale française et européenne !

Pour conclure, je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue Louis de Broissia de l'esprit dans lequel il a travaillé en tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles.

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