Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, Jacques Mézard et moi-même avons lancé, il y a un peu plus d’un an maintenant, un grand chantier pour réformer en profondeur la politique du logement. J’ai souvent eu, auprès de vous, le privilège d’exposer ma vision du logement et de cette réforme. Je ne vais pas y revenir au moment de conclure ce long chemin, mais je veux tout de même rappeler quelques-uns des objectifs qui ont guidé notre action.
Le premier était de libérer la construction. Vous l’avez dit, madame la rapporteur, cela était rendu nécessaire par la situation à laquelle nos citoyens sont confrontés.
Le deuxième objectif était de lutter contre les fractures territoriales, d’adapter les solutions aux réalités du terrain et d’accompagner les plus démunis, ceux qui ont le plus besoin d’être protégés.
Cette vision à double jambe a été notre boussole et a reposé sur plusieurs piliers.
Le premier est que le logement constitue trop souvent un fardeau pour nos concitoyens. Plus de 6 millions d’entre eux ont actuellement des difficultés, alors que le logement est le lieu où l’on passe le plus de temps.
Le deuxième pilier est la nécessité d’une politique du logement la plus territorialisée possible. Aujourd’hui – nous avons souvent eu ce débat –, il est très compliqué de mener une politique du logement dans une France découpée en un certain nombre de zones qui ne se ressemblent pas et que l’on identifie à l’aide de simples lettres comme A, A bis, B1 ou B2.
Il nous fallait également renforcer le rôle du maire. Comme vous l’avez souligné, madame la rapporteur, il n’est pas possible de construire la ville sans le maire, qui est l’architecte de l’aménagement du territoire. Le Sénat a profondément renforcé son rôle dans le texte.
Il nous fallait enfin alléger les normes. Qu’est-ce que cela fait du bien d’avoir une loi Logement qui, pour une fois, simplifie les normes tout en préservant la qualité des constructions !
Cette vision a aussi fait l’objet d’une méthode. Permettez-moi de revenir rapidement sur quelques étapes qui nous ont menés jusqu’à cet après-midi et à ce vote, qui, je l’espère, sera conclusif.
D’abord, nous avons réalisé une très large consultation, non seulement auprès des professionnels, qui ont formulé plus de 2 500 propositions, mais aussi auprès des Français, puisque près de 25 000 Français ont participé à la consultation que nous avons lancée en septembre dernier.
Ensuite, il y a eu la conférence de consensus, qui s’est déroulée ici, au Sénat. Je tiens à remercier très sincèrement le président Larcher de cette initiative, lancée en coopération avec Jacques Mézard. Cette conférence de consensus, qui était en tous points inédite, a montré qu’il était possible d’avancer sur un certain nombre de sujets, d’inscrire dans le dur de la loi des dispositions prises auparavant par ordonnance et, au final, de parvenir à des accords.
Enfin, il y a eu le temps du Parlement. Ce temps a été dense, très dense. Nous avons passé des heures à discuter du fond dans un climat véritablement constructif. Permettez-moi d’en remercier très sincèrement et chaleureusement la présidente de la commission, Mme Sophie Primas, MM. les rapporteurs pour avis et, particulièrement, Mme la rapporteur Estrosi Sassone.
Le présent texte est donc le fruit d’un travail d’écoute et de dialogue quasi permanent mené pendant de longs mois jusqu’à aujourd’hui.
Au-delà de cette vision et de cette méthode, le présent projet de loi sur le logement est aussi une politique – je dis bien une politique – du logement qui repose sur quelques grands chantiers.
Le premier est la réforme du logement social. Il y a quelques jours de cela, j’ai assisté avec un certain nombre d’entre vous à Marseille au congrès de l’USH. J’y ai été accueilli dans un esprit de collaboration, d’échange et de discussion. À cette occasion, j’ai pu redire à quel point je suis viscéralement attaché au modèle français du logement social.
Lorsque l’on regarde de près les politiques menées dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, cela nous conforte profondément dans la nécessité de soutenir ce modèle de logement aidé qui peut constituer un tremplin pour nos concitoyens tout au long leur vie si cela est nécessaire.
La réforme du secteur du logement social est en cours. Comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, elle passe notamment par le regroupement des organismes de logement social. Je crois pouvoir dire que nos débats ont permis de nous assurer que l’ancrage territorial et la place des élus seront pleinement préservés dans le cadre des regroupements définis par la loi.
Les débats au Sénat ont également permis de prendre en compte certaines dimensions territoriales que nous avions identifiées en amont. Si elles n’avaient pas été prises en compte, la loi n’aurait pas pu s’appliquer. Je pense notamment aux amendements qui ont été adoptés visant à laisser plus de temps à certaines collectivités dont les organismes doivent à la fois fusionner dans le cadre d’un EPCI et se regrouper, l’échéance étant décalée de 2021 à 2023.
Je pense aussi au seuil de regroupement que le Sénat avait abaissé. Un compromis a été trouvé en commission mixte paritaire, fixant ce seuil à 12 000 logements ou à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il résulte clairement des débats que nous avons eus dans cette enceinte.
Au-delà des questions d’organisation, cette loi simplifiera profondément le cadre juridique applicable aux bailleurs sociaux, en particulier en prenant de nouvelles mesures pour rendre leur maîtrise d’ouvrage plus souple, moins contrainte et faire en sorte qu’elle soit vraiment dans leurs mains.
Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, il ne s’agit absolument pas de se passer des architectes – j’y insiste. Ils resteront au cœur des projets. Le code de l’urbanisme, qui définit le rôle des architectes, n’est d’ailleurs modifié en aucun point par ce projet de loi en la matière. Les bailleurs pourront toujours avoir recours au concours d’architecture, mais ils pourront organiser la maîtrise d’ouvrage, leur relation avec le maître d’œuvre et avec l’entreprise comme bon leur semble et en fonction des projets.
Cette liberté, qui était demandée par les bailleurs sociaux depuis fort longtemps, a également fait l’objet de longues discussions dans cette enceinte, puis d’un consensus en commission mixte paritaire.
Une autre disposition de la loi ÉLAN qui a fait couler beaucoup d’encre porte sur les ventes de logements sociaux. S’il me semble pertinent de donner la liberté aux bailleurs sociaux de vendre plus facilement, je suis convaincu que cela doit se faire au cas par cas, car certains territoires sont propices à la vente et d’autres ne le sont pas. C’est pourquoi le projet de loi n’impose aucun objectif de vente, mais donne simplement la possibilité aux bailleurs sociaux qui le souhaitent de procéder à ces ventes.
Des débats, il est également ressorti qu’il fallait mieux encadrer ces ventes. Vous l’avez dit, madame la rapporteur, à l’issue de longues discussions, le Sénat a adopté deux avancées significatives.
La première est que l’avis du maire, qui était jusqu’à présent un avis simple, devient un avis conforme en cas de vente dans l’une des 1 200 communes dites SRU ; la seconde est l’obligation de fléchage des produits de la vente sur le territoire concerné – il n’existait auparavant aucune obligation de réinvestissement.
D’autres compromis ont été trouvés, vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, et je n’y reviens pas de manière exhaustive. Je pense notamment aux dispositions concernant les locataires du parc social. Une revue périodique permettra dorénavant de proposer – je dis bien « proposer » – aux locataires des logements plus adaptés à leur situation familiale. Je pense aussi à la transparence des attributions. Sur ce point, je voudrais dire que, si le projet de loi permet la généralisation de la cotation dans les grandes agglomérations, le Gouvernement a bien entendu votre message, et – j’en prends l’engagement – il laissera aux collectivités le temps de construire localement ces dispositifs.
La commission mixte paritaire a également décidé de conserver les mesures renforcées en faveur de la mixité sociale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Lorsqu’une attribution n’était pas faite, notamment par un réservataire comme Action Logement, il appartenait au préfet d’attribuer le logement. L’une des nouveautés introduites grâce au débat que nous avons eu sur ce sujet est qu’il appartiendra désormais au maire, qui est le premier acteur œuvrant en faveur de la mixité sociale, d’attribuer ce logement.
Nos débats ont également permis de faire évoluer dans le bon sens la gouvernance d’Action Logement et de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
Je ne peux pas évoquer le logement social sans parler des discussions que nous avons eues sur la loi SRU. Si, comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, la future loi ÉLAN ne touche pas aux fondamentaux de la loi SRU, elle l’adapte de manière très mesurée, conformément au souhait du Sénat, pour répondre à des difficultés rencontrées sur le terrain et qui empêchent l’application de la loi SRU dans un certain nombre de territoires. Des avancées telles que « l’expérimentation Daubresse », comme il convient désormais de l’appeler, permettront des évolutions pragmatiques au regard des exigences territoriales dans l’application de la loi SRU. Je suis heureux que les débats en commission mixte paritaire aient permis de trouver un consensus sur ce sujet tant et tant débattu.
Le deuxième chantier est celui de la facilitation et de la simplification. Comme je le disais en introduction, nous avons profondément simplifié de nombreux éléments touchant à la construction et à l’urbanisme.
Nous avions proposé de nouveaux outils, tels que le projet partenarial d’aménagement, le PPA, ou les grandes opérations d’urbanisme. À l’issue des débats au Sénat, les GOU ont été significativement modifiées, puisque le rôle du maire a été profondément renforcé, notamment lors de la création de l’opération : pour la qualification de grande opération d’urbanisme, pour le transfert de compétences à l’EPCI en matière d’autorisations d’urbanisme ou pour la maîtrise d’ouvrage des équipements publics. Le rôle du maire dans l’aménagement du territoire est ainsi conforté, et c’est très bien ainsi.
Nous avons également longuement débattu de la loi Littoral et, en la matière, je crois que le point d’arrivée est à l’image de nos débats. Si, comme chacun a eu l’occasion de le redire, nous sommes tous viscéralement attachés à cette loi, nous avons réussi à trouver les aménagements nécessaires pour prendre en compte des difficultés de terrain et la réalité des territoires. Je pense notamment à la possibilité que la loi ÉLAN donnera de construire dans ce que l’on nomme les « dents creuses » dans certains hameaux, évitant ainsi le report de consommation foncière et une artificialisation de terres agricoles supplémentaires.
Ces mesures sont responsables et, bien que je n’aime pas trop ce terme, pragmatiques. Elles renvoient à l’intelligence territoriale et au rôle central des collectivités.
S’agissant de la simplification des normes de construction, vous avez également évoqué le développement des logements évolutifs, madame la rapporteur. Les discussions au Sénat avaient permis d’aboutir à un taux de 30 % de logements dits adaptés. Ce taux a été abaissé à 20 % par la commission mixte paritaire. C’est un équilibre responsable pour concilier l’accès au logement des personnes handicapées, la préparation au vieillissement de la population – la société inclusive que nous souhaitons tous – et le principe d’un logement qui s’adapte à l’individu et non l’inverse.
Enfin, s’agissant des recours abusifs, dont nous avons également longuement débattu, je rappelle que, au-delà du projet de loi, qui marque des avancées significatives, le décret paru au tout début de nos débats en première lecture permet lui aussi d’aller assez loin et, en tout état de cause, de répondre aux attentes des professionnels sur le sujet.
Le troisième chantier concerne les nouvelles possibilités pour protéger les plus fragiles.
Je pense à la mixité intergénérationnelle que permettront les résidences pour les jeunes, dispositif que votre chambre a adopté et qui mettra fin à la séparation entre résidences étudiantes et résidences de jeunes actifs, à laquelle nombre d’entre vous ont été confrontés sur leur territoire.
Je pense au bail mobilité, dont nous avons aussi longuement débattu. Le Gouvernement a entendu vos exigences à son sujet. Il s’est engagé à ce qu’il ne soit pas renouvelable, à ce qu’il soit limité à dix mois et à ce qu’il réponde aux besoins des personnes en mobilité professionnelle ou aux jeunes en année de césure. Ces engagements ont été tenus.
Je pense, bien sûr, à la lutte contre les marchands de sommeil, fléau insupportable contre lequel il faut mener une bataille sans relâche. La loi permettra de traiter les marchands de sommeil comme des trafiquants de drogue. Je m’en réjouis. Nous livrerons une bataille sans merci contre l’habitat indigne.
Je pense aux procédures de prévention des expulsions, véritable avancée qui permettra de protéger les locataires, mais aussi les propriétaires, et de renforcer le lien de confiance. En matière de logement, la confiance entre propriétaires et locataires est essentielle. À cet égard, le projet de loi issu des travaux de la commission mixte paritaire ne les oppose pas. Il n’est ni anti-l’un ni anti-l’autre : il répond aux attentes de l’ensemble des Français.
Je pense également à la maîtrise de la location de meublés touristiques. Les plateformes existant dans ce domaine sont utiles à l’économie de notre pays et permettent à de nombreux foyers d’arrondir leurs fins de mois. Cependant, elles doivent être contrôlées, pour éviter que la loi de la jungle ne règne dans ce secteur. On sait que certains tendent aujourd’hui à devenir des professionnels de la location touristique. Ce faisant, ils soustraient les appartements au marché traditionnel, ce qui pose un véritable problème.
Le quatrième et dernier chantier vise à améliorer le cadre de vie de nos concitoyens. Je pense évidemment à l’opération de revitalisation de territoire, dispositif sous-tendu par un véritable projet politique de revitalisation de ce qu’on appelle « les villes moyennes » – à titre personnel, je n’aime pas non plus ce terme, auquel je préfère celui de « villes de moyenne taille ». De nombreuses dispositions du projet de loi sont issues des propositions de MM. les sénateurs Pointereau et Bourquin. Comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, les débats sur ce sujet ont eux aussi été très constructifs, permettant qu’un consensus se dégage en commission mixte paritaire.
Sur la question de l’aménagement commercial dans les villes moyennes en particulier, un accord équilibré a vu le jour.
Le projet de loi ouvre également un certain nombre de sujets dont l’aboutissement nécessitera un important travail du Gouvernement. Je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que je mènerai ce travail avec énormément de conviction et de détermination. Je pense au droit des copropriétés, à la réforme des loyers, aux différents domaines dans lesquels le Gouvernement a été habilité à légiférer par voie d’ordonnance. Je répète que je m’engage à associer la représentation nationale à l’ensemble de ces travaux.
Je pense également, s’agissant de l’aménagement du territoire, au volet numérique du projet de loi. Certains d’entre vous ont déclaré que le titre de ce projet de loi s’écrivait avec un petit « n » en arrivant ici et que c’était devenu un grand « N » à l’issue de l’examen du texte par le Sénat. Je suis aussi de cet avis, et je veux saluer tous les travaux accomplis en ce sens.
Vous l’aurez compris, je suis convaincu que le texte issu de la CMP est ambitieux. Traitant de nombreux sujets, il n’a éludé aucune discussion et il a essayé de répondre à l’ensemble des interrogations. D’ailleurs, la vingtaine d’amendements que je vous présenterai tout à l’heure sont, pour l’essentiel, des amendements rédactionnels, de coordination ou de cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte du projet de loi ÉLAN est sorti enrichi et renforcé des travaux du Sénat. L’examen par la Haute Assemblée a permis de remettre l’humain et le quotidien des Français au centre des préoccupations. Je veux de nouveau vous remercier pour les débats de qualité que nous avons eus, au-delà de nos visions politiques. Je renouvelle tout particulièrement mes remerciements à Mme la rapporteur et à Mme la présidente de la commission.
Permettez-moi, au moment de conclure, d’adresser un message plus personnel, à l’attention de Jacques Mézard. Je suis convaincu que sa contribution au contenu et à la qualité du projet de loi ainsi qu’au dialogue que nous avons pu nouer ensemble est fondamentale. Je veux lui exprimer à la fois mon immense respect, mon amitié sincère et ma profonde gratitude pour les quinze mois que j’ai passés à ses côtés. Comme vous pouvez l’imaginer, Jacques Mézard m’a énormément appris. Ensemble, nous avons véritablement essayé de faire avancer les choses, alors que nous n’étions pas tous d’accord. Dans cet exercice, il a toujours été mû par ce mélange de détermination, d’envie et d’esprit d’ouverture qui le caractérise, que vous lui connaissez et que j’ai appris à découvrir en travaillant auprès de lui.