Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion générale

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Concernant le passage de l'analogique hertzien à la télévision numérique terrestre, je souhaite rappeler les principes fondamentaux qui ont guidé son lancement par la gauche sous la précédente législature, ce qui a donné naissance à la loi du 1er août 2000.

Ce texte posait quatre objectifs essentiels : élargir le nombre des acteurs pour assurer plus de pluralisme et plus de diversité, en laissant un rôle majeur au service public, qui devait être le « fer de lance » de cette mutation ; renouveler les formats, en favorisant notamment le développement des télévisions locales et des télévisions associatives ; permettre l'accès du plus grand nombre à ces nouvelles télévisions, notamment grâce à la gratuité, ce qui légitimait l'utilisation de la technologie numérique sur le réseau hertzien ; enfin, favoriser la création, sur la base de règles aménagées qui ont fait leurs preuves en France, pour soutenir la production audiovisuelle.

Malheureusement, les atermoiements dont votre majorité a fait preuve depuis 2002 n'ont pas permis d'atteindre ces objectifs, comme la mise en place de la TNT pouvait pourtant le laisser espérer. À ce jour, la couverture n'est pas satisfaisante et la diversification du paysage audiovisuel n'est qu'apparente : seule 58 % de la population métropolitaine est potentiellement couverte par la TNT et, surtout, seuls 13 % des foyers sont réellement équipés. Sur les 29 chaînes nationales, dont 18 sont gratuites et 11 payantes, 5 seulement ont été réservées à de nouveaux entrants.

S'agissant de la couverture du territoire, donc de l'égal accès de tous aux programmes, j'aimerais savoir, monsieur le ministre, si vous comptez garantir dans le nouveau paysage numérique, et à quelles conditions, la reprise des programmes régionaux de France 3, qui sont une composante essentielle de la diversité sur le service public télévisuel.

Mon propos concernera essentiellement l'objectif de diversité et rejoindra celui de nos collègues Serge Lagauche, Jack Ralite et Marie-Christine Blandin, car nous partageons la même conviction : la diversité est un enjeu majeur dans le contexte de la mondialisation, où les expressions culturelles originales sont de plus en plus confrontées à la pression de modèles dominants, aujourd'hui nord-américains, demain peut-être asiatiques.

Notre pays s'est bien battu pour faire aboutir à l'UNESCO, voilà tout juste deux ans, la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle. La France a donc une responsabilité particulière en ce domaine et doit mener une politique nationale exemplaire. Dans ce combat, le champ des programmes audiovisuels est évidemment crucial.

Malheureusement, malgré un consensus apparent portant sur l'objectif à atteindre, nous divergeons sur la question des voies et moyens à mettre en oeuvre.

Le passage au numérique en 2011 doit constituer une nouvelle chance de diversification. Or, là aussi, je crains que nous ne déchantions : avec ce projet de loi, c'est à une nouvelle concentration du paysage que nous risquons d'assister, à moins que vous n'acceptiez d'entendre nos arguments, monsieur le ministre.

En effet, en guise de « compensation » pour le passage au numérique, modestement accéléré, votre projet de loi offre aux opérateurs historiques - TF1, Canal Plus, M6 - de nombreux avantages à effets anti-concurrentiels : prorogation conséquente des autorisations ; attribution d'une chaîne bonus supplémentaire lors de l'extinction de la diffusion en mode analogique, avantage disproportionné par rapport au préjudice supposé de cette substitution progressive ; priorité accordée pour l'obtention d'une autorisation en télévision haute définition ou en télévision mobile personnelle, avec, pour cette dernière, un seuil déraisonnable de 20 % d'audience cumulée.

Ces avantages sont proposés alors que la place faite aux « nouveaux entrants » - les distributeurs dont les services ne font pas l'objet d'une diffusion par voie hertzienne terrestre - est extrêmement restreinte. Et je ne parle pas de l'absence des éditeurs de services non présents sur la TNT.

Avec mes collègues du groupe socialiste, nous proposerons donc, dans la discussion des articles, la suppression de la chaîne bonus. En effet, il n'est pas opportun d'accorder une nouvelle chaîne aux opérateurs privés historiques qui se sont développés depuis plus de vingt ans en mode analogique hertzien terrestre, ressource rare, alors même qu'ils ont déjà bénéficié d'un bonus en 2004 pour accélérer le démarrage de la TNT.

À tout le moins, il nous semblerait normal, afin de limiter ses effets anti-concurrentiels, de conditionner l'octroi de cette chaîne bonus à des obligations complémentaires en matière de diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, en particulier aux heures de grande écoute. Nous connaissons l'importance de la contribution des opérateurs historiques au financement de la production française ; M. le ministre et M. le rapporteur en ont d'ailleurs fait état tout à l'heure. Mais n'oubliez pas que c'est aussi cette production française qui assure la réussite et le plus grand profit de ces chaînes.

Nous acceptons que ces opérateurs historiques soient les partenaires essentiels de la production, mais cela ne doit pas conduire à renforcer un oligopole au point d'interdire l'émergence de nouveaux acteurs et de rendre complètement illusoire l'apparition d'un secteur indépendant.

J'ajoute que le choix des futures attributions devrait aussi être éclairé par un sérieux travail d'évaluation des apports de la première vague de la TNT à une réelle diversification de l'offre de programmes et du respect de leurs engagements par les nouveaux entrants.

Par ailleurs, nous considérons que le CSA doit pouvoir apprécier, lors de l'octroi des autorisations en télévision mobile personnelle, les efforts que les candidats ont prévu de faire en matière de soutien à l'industrie de programmes et ceux qui permettent d'adapter ces programmes à la spécificité de la TMP, aujourd'hui encore largement inconnue. Nous proposerons donc de modifier l'article 9 du projet de loi, afin que l'appel d'offres lancé par le CSA soit fondé sur les contenus des programmes et pas seulement sur des obligations de couverture.

J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que la quasi-automaticité de certaines attributions prévue par votre projet de loi, hors appel à candidatures, relègue le CSA dans un rôle subalterne. C'est là un véritable recul de la régulation que l'on s'efforce depuis des années d'organiser dans ce pays.

Nous aborderons également la place accordée à la radio dans le futur paysage audiovisuel numérique. Faut-il rappeler l'apport indéniable de la radio à la diversité culturelle, en termes de diversité des formats, des thématiques et des ancrages territoriaux ? Nous déposerons donc, à l'article 13, un amendement tendant à ce que les services de télévision et de radio restent prioritaires dans l'attribution, par le CSA, des autorisations d'usage des fréquences pour la TMP.

Nous proposerons également de supprimer l'article 16, qui remet en cause la disposition prévoyant l'autorisation, en cas de modification substantielle des données sur la base desquelles leur autorisation d'usage de la ressource a été accordée par le CSA. Cette dérogation au droit commun n'est aucunement justifiée et accentue la dérive déjà à l'oeuvre pour la radio.

Le passage par le réexamen de l'autorisation est une garantie essentielle du pluralisme, de la qualité des contenus et de l'impartialité des attributions. Il est la condition permettant d'exercer, dans l'intérêt général, un réel contrôle et une véritable négociation avec les opérateurs.

Monsieur le ministre, je le répète, le calendrier que vous avez choisi pour la discussion de ces questions, qui nous engagent pour des années, n'est pas opportun, car il ne tient pas compte de la négociation européenne en cours. L'urgence technologique et démocratique que vous invoquez légitimement n'était pas incompatible avec le maintien de deux lectures au Parlement.

Surtout, en l'état, votre projet de loi referme les portes de la diversité que le passage au numérique permettait d'espérer pour le paysage audiovisuel. Cette diversité étant à nos yeux fondamentale pour la vitalité de la création et pour la démocratie, nous la défendrons fermement au cours de la discussion de ce texte.

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