Intervention de David Assouline

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion générale

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'appui de mon intervention, il me semble utile de citer les propos tenus par le président de la commission des affaires culturelles de notre assemblée, M. Valade, lors de son allocution d'ouverture du colloque du 9 juin 2005 intitulé « La concentration des médias en France, une réelle exception culturelle ? » : « La majorité des médias est devenue en France la propriété de puissants groupes industriels qui se diversifient dans le secteur stratégique de la communication. Les récents investissements dans la TNT confirment bien ces évolutions. Enfin, les mutations technologiques qui permettent le développement de la radio numérique ou la diffusion de la télévision sur les téléphones mobiles changent la donne. Le problème du maintien de la diversité culturelle face à ces mouvements de concentration liés à des exigences économiques est donc clairement posé ».

Ce constat et cette interrogation restent valables. Ainsi, dans un rapport du 22 juin 2005 pour le Commissariat général du Plan, intitulé Des médiattitudes - Prospective sur la stratégie de l'État dans les mutations des médias, Sylvie Benard et Bernard Benyamin dressent un tableau sans nuances du secteur audiovisuel en France, en particulier de celui de la télévision.

L'offre télévisuelle gratuite est structurée autour de deux chaînes privées, TF1 et M6, et d'un groupe public, France Télévisions. Quant à l'offre payante, elle est essentiellement contrôlée par quatre groupes privés : TF1, Lagardère, Canal Plus et M6. En somme, le marché de la télévision en France a pour caractéristique principale un degré de concentration oligopolistique croissant, essentiellement dû aux quatre groupes privés que je viens de citer.

Les auteurs n'hésitent pas à écrire que, sur le marché de la télévision, « on a assisté en France à la création d'une économie de rente ». Ainsi, la télévision gratuite diffusée par la voie analogique hertzienne, qui reste le principal, voire le seul accès à ce média pour de nombreux foyers français, est toujours dominée par deux chaînes privées, TF1 et M6, qui captent environ 45 % de l'audience et 75 % des recettes de l'ensemble du marché de la publicité à la télévision.

Ce constat sans équivoque est d'ailleurs partagé par la commission présidée par M. Alain Lancelot à la demande du Premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, et chargée d'examiner les problèmes de la concentration dans le domaine des médias en France.

Le rapport de cette commission, qui date de décembre 2005, souligne que « le marché de la télévision apparaît comme le plus concentré ». Mais, comme le note la commission Lancelot, si le marché de la télévision a été jusqu'à présent marqué par une forte inertie, les mutations technologiques qui affectent aujourd'hui la distribution des services audiovisuels sont rapides et de nature à apporter des changements profonds au fonctionnement du secteur.

Or, selon les experts du Commissariat général du Plan, « les évolutions technologiques et économiques de l'audiovisuel vont, en termes d'offre, plus dans le sens de la concentration du secteur et de la banalisation des contenus ». Laissé à lui-même, le marché de la télévision se concentre, se formate et s'adapte peu, ou mal, à une demande de plus en plus exigeante en termes de pluralisme de l'offre et de la qualité des contenus.

Les bouleversements technologiques en cours participent de la fameuse « révolution numérique », qualifiée de « révolution industrielle majeure » par le Président de la République dans son allocution de voeux aux Français du 31 décembre 2005, et ainsi érigée au rang de priorité de l'action gouvernementale pour la dernière année du quinquennat.

Ledit quinquennat prenant fin dans moins de six mois, le Gouvernement ne pouvait faire moins que de déclarer l'urgence pour permettre l'adoption du projet de loi soumis aujourd'hui à l'examen du Sénat, et dont l'objet, rien moins qu'ambitieux, est de « moderniser » la diffusion audiovisuelle et de « créer » la télévision du futur. D'ailleurs, depuis que je suis sénateur, je n'ai eu à délibérer que sur des projets de loi déclarés d'urgence : je suis en état d'urgence parlementaire depuis deux ans !

Au vu du constat de concentration élevée et figée du marché de la télévision que je viens de dresser, en m'appuyant sur des expertises approfondies et officielles, une question nous vient spontanément aux lèvres : votre projet de loi, monsieur le ministre, a-t-il effectivement pour objectif de moderniser le paysage audiovisuel français en permettant enfin, par la reconnaissance légale de nouveaux modes de distribution, une réelle diversification des acteurs du marché ? D'ailleurs, sans diversité, comment peut-on garantir le pluralisme des programmes ?

Le Chef de l'État s'étant déclaré particulièrement attaché à la défense et à la promotion de la diversité culturelle, j'attendais de ce texte qu'il fût un véritable acte de refondation du secteur de la télévision en France.

Or, comme mes collègues de l'opposition, je dois me rendre aujourd'hui à l'évidence : ce gouvernement a acquis la certitude de voir la diffusion analogique disparaître en France dès 2012, après l'avoir achetée à TF1 et à M6 en contrepartie de la réquisition d'office, à leur profit, d'une partie du « dividende numérique ».

Ainsi, avec l'objectif de « préserver les grands équilibres économiques du monde de l'audiovisuel », pour citer vos propres termes, monsieur le ministre, l'article 5 du projet de loi vise à introduire un nouvel article 104 dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, octroyant aux éditeurs d'un service national de télévision préalablement autorisé, lors de l'extinction complète de la diffusion en mode analogique, un droit d'usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d'un autre service à vocation nationale. Autrement dit, TF1, Canal Plus et M6 bénéficieront de jure d'une chaîne bonus lors de l'arrêt définitif de la diffusion en mode analogique.

Dès lors, on comprend mieux la réaction très vive des nouveaux acteurs de la télévision en France, entrés sur le marché avec le lancement de la TNT, qui ont, dès le 25 juillet dernier, dénoncé « la menace » que constituerait, pour leurs chaînes nouvelles, la concurrence des acteurs historiques, assurés de la reprise de leur chaîne premium et d'une chaîne bonus.

Mais les autorités de régulation du secteur de l'audiovisuel et de celui des télécommunications, qui sont respectivement le CSA et l'ARCEP, se sont également étonnées de l'attribution à chacun des opérateurs historiques d'une nouvelle chaîne bonus après l'arrêt de l'analogique. Cela aurait « pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit des seuls éditeurs de chaînes existantes », affirmait l'ARCEP dans son avis rendu le 10 juillet 2006, dont la presse a révélé la teneur.

Lorsque la loi devient l'instrument de confiscation d'une partie du domaine public - dont fait partie, en l'occurrence, la ressource radioélectrique - pour permettre à trois groupes privés de perpétuer la rente acquise sur le marché qu'ils dominent déjà, le législateur n'est plus que l'otage d'intérêts particuliers dont les liens, en l'espèce, avec certaine éminente personnalité du parti majoritaire sont bien connus.

Bien entendu, on ne peut pas imaginer que la majorité a cédé à la tentation d'offrir quelques juteux avantages à l'acteur dominant de l'information télévisuelle, ...

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