Intervention de Ivan Renar

Réunion du 20 novembre 2006 à 22h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Question préalable

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

À l'heure où l'image occupe une place toujours grandissante dans notre quotidien, ce projet de loi se révèle déterminant, puisqu'il aura indiscutablement des effets sur la vie de tous les jours de nos concitoyens. Il va de soi que les aspects technologiques liés à la télévision numérique terrestre, à la haute définition, à la télévision mobile personnelle ont leur importance sur le plan scientifique. Toutefois cette technicité ne doit pas masquer les énormes conséquences culturelles, industrielles, éthiques, politiques, économiques dont le législateur doit impérativement tenir compte de façon privilégiée dans son approche du texte.

En ce sens, s'il est toujours positif de chercher à améliorer les performances des « tuyaux », la question de leurs contenus n'en reste pas moins première. La télévision a déjà bien évolué depuis son avènement et il est incontestable que ce média influe sur notre perception du réel comme sur la construction de notre mémoire collective.

Bref, en traitant de la télévision du futur, c'est aussi à la qualité et aux conditions de création du patrimoine audiovisuel de demain que nous devons veiller. C'est un enjeu de société, mais aussi un défi majeur, afin que l'exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois du marché, en sorte consolidée. C'est pourquoi il me paraît essentiel de ne pas légiférer vite, mais au contraire de prendre le temps d'élaborer une loi porteuse d'avenir, riche d'une réflexion approfondie et anticipatrice.

En déclarant l'urgence sur ce texte, le Gouvernement ne crée pas les conditions d'un travail parlementaire efficace et pertinent, d'autant que rien ne justifie cette procédure, pas même les préconisations de l'Union européenne, qui fixe à 2012 le passage complet au numérique de tous les réseaux de la Communauté. Ainsi la France n'accuse-t-elle aucun retard en la matière.

Face à l'importance du sujet traité, n'eût-il pas été préférable de s'appuyer sur un vaste débat public, que l'expertise citoyenne aurait contribué à éclairer ? Ce débat aurait par exemple pu prendre la forme d'assises réunissant tous les professionnels et acteurs concernés, ce qui aurait permis la création d'un observatoire national du multimédia et de l'audiovisuel du futur. Nous aurions alors pu être à la pointe du pluralisme et de la diversité, qui conditionnent les fondements même de notre démocratie et de notre rayonnement culturel. C'était l'une des propositions de notre collègue Jack Ralite.

Face à la complexité des multiples enjeux soulevés par la diffusion de l'audiovisuel et de la télévision de demain, les législateurs que nous sommes ne doivent-ils pas prendre le temps, sans se laisser enfermer dans des débats purement techniques, de procéder à une analyse exhaustive des réponses susceptibles d'être apportées, afin que la technique ne l'emporte pas sur la pensée, la quantité des contenus sur leur qualité et les intérêts, les puissances financières sur l'intérêt général ?

On dit parfois du petit écran - il l'est d'ailleurs de moins en moins ! - qu'il est une fenêtre ouverte sur le monde dans lequel nous vivons : ce monde ne va pas bien, mais « il n'y en a pas d'autre et c'est le nôtre », disait Jean-Paul Sartre. Combien de façons de l'observer, de le décrypter ? C'est cette pluralité, cette singularité non formatée dont nous avons le plus besoin pour continuer à construire une société plus humaine et émancipatrice.

Or nous assistons, de rachats en fusions, à un phénomène croissant et accéléré de concentrations dans le domaine des médias et des industries culturelles. Convoitée par de grands groupes financiers, la télévision est de plus en plus l'objet de manoeuvres visant à asseoir des positions hégémoniques. Ainsi la télévision est-elle destinée à générer toujours plus d'argent en engrangeant le maximum de recettes publicitaires et de profits liés à la vente de produits dérivés, lesquels prennent d'ailleurs une place prépondérante dans les stratégies commerciales des grands groupes audiovisuels.

Est-ce une fatalité que la télévision n'ait plus pour seule vocation que de vendre « du temps de cerveau humain disponible » ? Je ne le crois pas. Mais ce projet de loi n'est pas satisfaisant, puisqu'il favorise essentiellement les opérateurs privés les plus puissants, porteurs d'une conception marchande de la production culturelle et artistique.

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