Intervention de Ivan Renar

Réunion du 20 novembre 2006 à 22h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Question préalable

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

C'est la logique de l'audience qui influe sur le contenu, et les choix des programmes pourraient être assimilés à un « populisme industriel » : l'objectif est de soutirer une plus-value financière de pulsions que les médias permettent de provoquer et de manipuler.

Pis, mes chers collègues, l'État s'engage à accorder gratuitement une chaîne supplémentaire à TF1, Canal plus, et M6. On récompense ainsi les chaînes qui ont bataillé avec le plus d'acharnement contre le passage à la TNT, craignant pour leur position dominante dans le paysage audiovisuel. Ce cadeau n'est pas seulement incompréhensible, il est proprement scandaleux. Pourquoi leur offrir une telle prime ? En raison de leur docilité et de leur inféodation à l'idéologie marchande dominante ? La question mérite d'autant plus d'être posée qu'en accélérant les processus de passage à la TNT, loin de subir un préjudice, ces chaînes privées pourront réaliser de substantielles économies sur les coûts techniques grâce à ce nouveau mode de diffusion.

Je redoute que ce que l'on appelle aujourd'hui des canaux bonus ne devienne à terme les canaux malus du pluralisme et de la diversité. L'attribution de ces chaînes supplémentaires fragilisera en effet la situation économique tant des nouveaux entrants que du service public et provoquera des effets induits de concentration sur le marché de la télévision gratuite.

Cela étant, chacun sait que le monopole dans le domaine des médias constitue un réel danger pour la démocratie. Or les verrous anti-concentration sont quasiment absents du texte, alors que la vigilance démocratique devrait au contraire conduire à les renforcer.

Comme l'observe le philosophe Bernard Stiegler, il revient aux citoyens que nous sommes tous de court-circuiter le règne de la « télécratie », de ré-instaurer « la valeur esprit contre le populisme industriel » dont je viens de parler.

D'autant que la question, pourtant fondamentale, des contenus - leur qualité comme leur diversité - n'apparaît pas comme un enjeu central. Or elle est au coeur même de toute politique audiovisuelle digne de ce nom.

La logique du Gouvernement repose sur le fait que le passage de la télévision analogique à la télévision numérique offrira plus de chaînes gratuites aux téléspectateurs. Comme si la quantité suffisait en soi et garantissait à elle seule le pluralisme et la diversité !

L'ambition de ce texte - faire de la France « l'un des pays les plus avancés dans le domaine numérique » - n'a de sens que si des programmes exigeants en termes de diversité et de qualité peuvent être diffusés. Sinon, quel intérêt d'améliorer et de diversifier les modes de diffusion si c'est pour servir aux téléspectateurs de tristes produits de consommation sans originalité ?

Or la course effrénée à l'audience est synonyme de censure - censure de l'imaginaire, de l'innovation, de l'audace - et de formatage de la pensée. Pour cette nouvelle façon de marcher au pas, le cerveau est superflu, la moelle épinière suffit, pour reprendre une remarque d'Einstein.

D'autant que la multiplication des canaux va pousser les chaînes de la TNT à une guerre sans merci pour s'arracher des parts d'audience. Dans la course aux recettes publicitaires, la concurrence sera rude, et l'on sait que la dictature de l'audimat est de nature à appauvrir les contenus, à uniformiser les programmes, au détriment du pluralisme des formes et de la créativité.

Rien ne nous indique que les opérateurs privés auront la volonté d'investir dans de nouveaux programmes. Or, ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que le projet de loi n'institue aucune obligation de production, aucun cadre visant à promouvoir une création audiovisuelle féconde, audacieuse et plurielle.

Plus grave encore, le droit d'émettre sera prorogé pour les chaînes qui acceptent une abrogation anticipée de leur autorisation analogique. Cette condition de prorogation n'étant assortie d'aucune obligation quant aux contenus des programmes, ...

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