Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 16 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 45

Nicole Belloubet :

Je voudrais réexposer ici la politique générale que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre en matière de peines ; cela expliquera pourquoi nous voulons rétablir l’article 45 dans sa rédaction initiale.

Nous sommes partis d’un triple constat d’insatisfaction.

Premièrement, on constate une perte d’efficacité du système actuel. Il y a en effet aujourd’hui, madame Benbassa, trop de courtes peines d’emprisonnement : plus de 90 000 peines de moins de six mois sont prononcées chaque année. Elles sont exécutées dans des établissements surpeuplés, donc dans de très mauvaises conditions. Contrairement à ce que vous affirmez, madame la sénatrice, le Gouvernement s’interroge sur l’utilité de ces courtes peines, dont nous savons qu’elles favorisent la récidive.

Deuxièmement, nous constatons une perte de lisibilité de notre système, car il y a un écart trop grand entre les peines prononcées et celles qui sont réellement exécutées. Même si je ne suis pas d’accord avec le chiffre cité par MM. Laménie et Reichardt, il est vrai que trop de peines ne sont pas exécutées. Lorsqu’une peine de dix-huit mois d’emprisonnement ferme est prononcée et que la personne ne va pas du tout en détention, cela pose une vraie question en termes de lisibilité, tant pour les justiciables que pour les magistrats et les victimes.

Troisièmement, nous constatons une perte de crédibilité. Les modalités d’exécution des peines sont souvent opaques, complexes, ce qui amoindrit l’efficacité recherchée. En particulier, l’incarcération résulte souvent de la mise à exécution de plusieurs courtes peines avec un décalage dans le temps, ce qui entraîne une perte de sens à la fois pour le justiciable et pour la société.

Devant ce triple constat de perte d’efficacité, de lisibilité et de crédibilité, nous proposons deux solutions : redonner du sens à la peine, d’une part, renforcer l’efficacité des peines, d’autre part.

Redonner du sens à la peine repose sur trois éléments essentiels.

D’abord, nous souhaitons sortir du systématisme de la peine d’emprisonnement – peut-être avons-nous une petite divergence sur ce point avec la commission des lois –, en développant d’autres types de peines, autonomes ou alternatives, qui seront effectives. Je le redis ici, toute infraction mérite une peine : ce n’est pas discutable ! Nous souhaitons également faciliter les conditions du prononcé des peines. Ainsi, nous proposons d’établir la détention domiciliaire sous surveillance électronique, qui deviendra une vraie peine autonome. Nous souhaitons en outre élargir le champ d’application du travail d’intérêt général, simplifier le régime des stages, etc.

Ensuite, nous souhaitons éviter les courtes peines en prohibant le prononcé de peines inférieures ou égales à un mois d’emprisonnement ferme. Nous prévoyons que, sauf exception, les peines de moins de six mois s’exécuteront hors des établissements pénitentiaires, soit en semi-liberté, soit en placement à l’extérieur, soit en détention domiciliaire sous surveillance électronique, soit selon d’autres modalités.

Enfin, nous proposons de fusionner la contrainte pénale avec le sursis avec mise à l’épreuve, en conservant le meilleur de chacun des deux régimes : c’est la création du sursis probatoire. Je sais que nous sommes en désaccord sur ce point avec la commission des lois.

Renforcer l’efficacité des peines passe, là encore, par trois évolutions.

En premier lieu, il est impératif de redonner toute sa place au débat sur la peine en permettant au tribunal de faire un choix éclairé. Cela passe par le renforcement des enquêtes de personnalité, donc par le réinvestissement du champ présentenciel par les SPIP, que j’ai évoqué tout à l’heure.

Nous souhaitons, j’y insiste, permettre au tribunal de faire un choix éclairé et de se prononcer lui-même sur les conditions d’aménagement ou de non-aménagement de la peine. C’est donc le tribunal qui décidera, pour les peines de six mois à un an d’emprisonnement, s’il faut aménager la peine ab initio, si c’est au juge de l’application des peines, le JAP, de le faire ou si la peine doit être effectuée directement en prison, le cas échéant en délivrant un mandat de dépôt différé.

Mon idée, comme je l’ai déjà dit précédemment, est bien de redonner au tribunal tout son rôle dans le prononcé des peines, un rôle dont il était quelque peu dépossédé dans le système actuel. Le tribunal sera ainsi davantage responsabilisé, et ses décisions seront mieux respectées.

En deuxième lieu, pour renforcer l’efficacité des peines, il faut supprimer l’écart entre la peine qui est prononcée et celle qui est réellement exécutée : c’est le sens du dispositif de l’article 723-15 du code de procédure pénale tel que modifié comme le propose le Gouvernement. Aux termes de la rédaction actuelle de cet article, le JAP aménage toutes les peines fermes de moins de deux ans ; nous proposons de ramener ce seuil à un an. Cette modification permettra de diminuer l’écart entre le prononcé de la peine et son exécution.

En troisième lieu, nous souhaitons éviter les sorties sèches de prison, qui sont l’un des vecteurs clé de la récidive, en rendant systématique la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine, sauf décision contraire du JAP, pour les peines de moins de cinq ans d’emprisonnement. C’est le système que je souhaite construire pour éviter la récidive.

En conclusion, je vous propose un dispositif très cohérent, dans lequel l’emprisonnement ne sera plus la seule référence. Toute peine mérite sanction, mais il existe d’autres peines que l’emprisonnement, et elles sont souvent plus efficaces que celui-ci.

Je souhaite, compte tenu de cette vision globale, que vous acceptiez de rétablir la rédaction initiale de l’article 45, afin de mettre en place le système cohérent, progressif et équilibré que je vous propose.

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