Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux dire quelques mots au préalable pour expliquer la logique des textes, dans la mesure où la commission des lois et moi-même allons nous opposer projet contre projet, non pas que je sois en désaccord fondamental avec toutes les mesures proposées par la commission des lois, mais parce que je me suis inscrite dans une logique différente. C’est cette logique que je désire vous exposer dans un premier temps. Je serai ensuite plus rapide lors de l’examen de chacun des amendements.
J’ai déposé une série d’amendements qui visent à supprimer les modifications que la commission des lois du Sénat a souhaité apporter au projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions, donc à rétablir la rédaction initiale du texte, et ce pour trois raisons principales.
La première est une raison de cohérence : je suis en effet en désaccord avec certaines des dispositions adoptées par la commission des lois. Par exemple, mon projet de réforme de la justice n’a pas pour objet de créer des postes de magistrats assistant d’autres magistrats. Je considère que, lorsqu’un magistrat sort de l’École nationale de la magistrature, il doit exercer la plénitude de ses fonctions et qu’il ne saurait être magistrat assistant d’un autre magistrat.
Mon projet consiste, à l’inverse de ce que propose la commission, à recentrer le magistrat sur le cœur de son office, à l’employer à son juste niveau de compétence et de responsabilité. C’est la raison pour laquelle j’envisage de créer de l’assistance pour les magistrats. Il ne s’agit donc pas du même processus. Le projet de loi de programmation que je vous ai soumis il y a quelques jours crée à cette fin cinquante postes d’assistants de magistrats par an.
La deuxième raison pour laquelle je m’oppose au texte de la commission est une raison de fond. La réflexion sur l’ensemble de la problématique liée aux questions qui sont débattues est, me semble-t-il, insuffisamment aboutie.
J’ai ainsi été surprise de constater que la commission des lois proposait d’imposer des durées minimales de fonction pour les postes de chef de cour. Aucun turn-over n’est pourtant constaté sur ce type de poste. Je m’interroge par conséquent sur le sens d’une telle disposition.
La troisième raison de notre divergence tient à la méthode. La mobilité des magistrats, la durée minimale et maximale de maintien à un poste, la nomination et l’évaluation des chefs de juridiction et de cour sont des questions réellement importantes, que vous avez voulu soulever. Elles rejoignent d’ailleurs les questions relatives au déroulement de carrière et à l’accès aux postes de responsabilité.
Toutefois, légiférer immédiatement sur ces sujets-là, sans qu’une large concertation ait été engagée avec les magistrats et leurs représentants syndicaux, serait, selon moi, prématuré et contre-productif pour atteindre l’objectif d’amélioration du service public de la justice que nous partageons. Ces points méritent une concertation élargie et spécifique et, le cas échéant, une loi particulière. Je ne suis pas opposée à y travailler.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas en accord, tant sur le fond que sur la méthode, avec les dispositions proposées par votre commission des lois.
J’en viens maintenant à l’amendement n° 1. Il a pour objet de supprimer une disposition introduite par cette dernière qui fixe une durée minimale de trois ans et maximale de dix ans d’exercice des fonctions de magistrat dans une même juridiction.
Les objectifs que cherche à atteindre la commission des lois sont parfaitement louables : il s’agit de limiter un turn-over excessif qui nuirait au bon fonctionnement des juridictions et de garantir l’impartialité objective des juges en ne les laissant pas toute leur vie professionnelle durant sur un même poste.
Cependant, je souhaite retirer cette disposition pour les raisons que j’ai évoquées.
J’y ajoute une contrainte de gestion. Inscrire dans la loi une durée minimale de trois ans mérite une réflexion approfondie, car la gestion des ressources humaines demande – nous le savons – beaucoup de souplesse, laquelle est nécessaire pour répondre autant aux exigences de continuité du service public qu’aux impératifs des personnels.
Il ne s’agit pas non plus d’aggraver le déficit d’attractivité de certaines juridictions ou de certaines fonctions par des règles trop exigeantes, qui s’appliqueraient de manière uniforme.