Ce terme est employé par les deux villes que j'ai visitées. Rebaptiser les péages urbains « contribution anti-congestion » ou « contribution qualité de l'air » permettrait de beaucoup mieux faire comprendre et accepter ce type d'outils.
L'idée de remettre l'ouvrage sur le métier a émergé à l'occasion des Assises de la mobilité qui se sont tenues à l'automne 2017. Elle a été reprise par la ministre des transports, qui a annoncé qu'une réécriture de l'article du code général des impôts consacré aux péages urbains serait proposée dans le projet de loi d'orientation des mobilités qui devrait être présenté en conseil des ministres au mois de novembre, pour un examen par le Parlement au premier semestre de 2019.
Pour préparer l'examen de ce nouveau dispositif, j'ai souhaité, en tant que rapporteure spéciale chargée du budget des transports terrestres, étudier des exemples de tarifs de congestion en vigueur à l'étranger.
Mon objectif est de tirer un certain nombre de leçons de ces expériences afin que le Parlement puisse cette fois-ci bâtir un cadre législatif efficace dont les collectivités territoriales françaises pourront s'emparer, si elles le souhaitent, pour lutter plus efficacement contre la congestion automobile et la pollution de l'air.
Dans cette perspective, j'ai effectué deux déplacements à Londres, puis à Stockholm au cours du premier semestre de 2018 pour examiner sur le terrain à la fois l'ensemble des caractéristiques, mais surtout les résultats concrets de ces dispositifs.
J'ai pu également m'appuyer pour la réalisation de ce contrôle sur des travaux récents conduits par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), mais aussi par la direction générale du Trésor.
Les déplacements dans les grandes agglomérations françaises sont actuellement réalisés à 65 % en voiture. Or l'utilisation de ce mode de transport provoque de nombreuses nuisances pour l'économie et pour la société : pertes de temps dues aux embouteillages, émissions de dioxyde de carbone qui participent au réchauffement climatique, pollution de l'air - question étudiée en détail par notre collègue Jean-François Husson - et responsable de 48 000 décès prématurés en France, accidents de la route, etc.
Les économistes qualifient ces nuisances d'externalités négatives, pour montrer que les automobilistes créent des dommages dont le coût pèse non pas sur eux, mais sur la collectivité dans son ensemble. Je rappelle que le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la pollution de l'air publié en 2015 et qui fait toujours référence aujourd'hui avait évalué le coût de cette seule nuisance à quelque 100 milliards d'euros par an pour notre pays.
La direction générale du Trésor a cherché à comparer le coût pour la société de l'utilisation d'une voiture individuelle avec les prélèvements obligatoires dont s'acquittent les automobilistes, selon qu'ils roulent en milieu urbain ou en milieu rural. Ses conclusions sont très éclairantes. Elle relève, comme notre commission l'avait à juste titre fait remarquer lors de l'examen du projet de loi de finances de l'an dernier, que les ménages ruraux paient aujourd'hui plus d'impôts qu'ils n'engendrent d'externalités négatives, en raison de l'alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les carburants. Elle constate en revanche que c'est le contraire en milieu urbain dense, puisque, selon ses calculs, les coûts provoqués par un véhicule roulant à l'essence ne sont couverts qu'à hauteur de 13 % par des prélèvements et ceux d'un véhicule roulant au diesel ne le sont qu'à 7 %, ce qui est très faible.
Ce décalage entre les dommages causés et la contribution individuelle de celui qui les cause légitime la mise en place de tarifs de congestion fondés sur le principe du pollueur-payeur. Il s'agit à la fois d'internaliser les externalités négatives, comme le disent les économistes, en faisant payer chacun à proportion des coûts qu'il engendre pour la collectivité, mais également d'orienter les usagers vers les transports en commun ou les mobilités actives.
J'ajoute qu'un tel outil financier est tout à fait compatible avec l'utilisation de zones à faibles émissions (ZFE), dont on a beaucoup parlé la semaine dernière après que quinze grandes agglomérations souffrant d'un air trop pollué ont annoncé qu'elles allaient étudier leur mise en place d'ici à la fin 2020. Nous ne le faisons que le couteau sous la gorge, sous la contrainte de contentieux qui prospèrent à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Les zones à faibles émissions (ZFE), qui reposent sur le principe de l'interdiction d'accès de certaines parties des agglomérations pour les poids lourds et/ou les véhicules les plus anciens peuvent être intelligemment combinées avec un tarif de congestion, comme c'est le cas à Londres et à Stockholm, les deux exemples étrangers dont je vais à présent vous parler.
Au début des années 2000, les dommages causés par la circulation automobile tant dans le centre de Londres que dans celui de Stockholm étaient considérables. Le plus visible était la congestion, même si la pollution de l'air était déjà un important sujet de préoccupation.
Pour prendre l'exemple de Londres, 185 000 voitures entraient quotidiennement dans le centre-ville au début des années 2000, ce qui provoquait des embouteillages tout au long de la journée, les voitures ne pouvant circuler qu'à une vitesse moyenne de 15 kilomètres par heure. Selon les experts, le coût pour l'économie et pour la société de cette congestion s'élevait à quelque 4 milliards de livres sterling, soit 4,4 milliards d'euros.
Dans les deux capitales, les municipalités ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps. Elles ont commandé des études socio-économiques qui ont montré que l'instauration d'une congestion charge serait susceptible d'améliorer nettement la situation, en incitant les automobilistes à utiliser d'autres modes de transport. Elles ont également reçu l'appui du Gouvernement, qui a favorisé la définition d'un cadre législatif adapté et a apporté, dans le cas de Stockholm, une aide financière très significative pour contribuer au développement des alternatives à la voiture.
Après de vastes campagnes de concertation et de communication dont je reparlerai, la congestion charge de Londres, qui ceinture une zone de 21 kilomètres carrés, a commencé à fonctionner en février 2003 et celle de Stockholm, qui enserre une zone de 47 kilomètres carrés, en janvier 2006.
Les points communs entre Londres et Stockholm permettent de dresser un portrait-robot des agglomérations pour lesquelles la mise en place d'un tarif de congestion peut avoir du sens.
En premier lieu, les deux zones soumises à péage correspondent au centre-ville, voire à l'hypercentre d'une grande métropole. Elles sont, l'une comme l'autre, très denses en termes de population et riches en activités économiques.
Les comparaisons conduites par la direction générale du Trésor et l'Ademe montrent en effet que la mise en place d'un péage urbain ne constitue un outil pertinent de politique publique que s'il est utilisé dans de grandes agglomérations, dont la taille minimale est estimée à 300 000 habitants. Les échecs des expériences tentées dans des agglomérations de taille plus réduite viennent du reste confirmer ce constat - c'est le cas, par exemple, à Göteborg.
En deuxième lieu, ces zones souffraient toutes les deux d'une congestion automobile provoquant retards et pollution atmosphérique, entraînant des dommageables significatifs pour l'économie de la ville ainsi que pour la qualité de vie de ses habitants.
En troisième lieu, enfin, dans les deux cas, ces villes étaient pourvues avant même la mise en service de leur dispositif de péage de réseaux de transports publics très performants à même de fournir une véritable alternative à la voiture individuelle. Ils étaient en outre très utilisés, puisque 85 % des Londoniens fréquentaient les transports en commun.
Au total, il paraît nécessaire que ces trois éléments soient réunis pour que la mise en place d'un tarif de congestion soit opportune. Si l'un d'entre eux venait à manquer, il y a fort à parier que ce ne serait pas un outil efficace et qu'il serait rejeté par les populations.
L'instauration de la congestion charge, qui suscitait naturellement des craintes, a bénéficié, à Londres comme à Stockholm, d'un portage politique très fort de la part de la municipalité, mais également de l'État central. C'est indubitablement ce portage politique initial qui a permis à la congestion charge d'être expérimentée puis de s'imposer en surmontant les réticences initiales.
Les modalités pratiques des tarifs de congestion peuvent être ajustées de façon très fine pour s'adapter le mieux possible aux caractéristiques locales.
Les technologies utilisées à Londres et à Stockholm pour assurer leur fonctionnement opérationnel sont très proches, puisqu'il s'agit dans les deux cas de systèmes de reconnaissance optique automatique des plaques d'immatriculation par des caméras installées sur des bornes qui se trouvent aux différents points d'accès de la zone soumise à péage. Le coût total du système mis en place à Londres en 2003 a représenté environ 180 millions d'euros et celui de Stockholm quelque 200 millions d'euros, soit deux montants très élevés. Ces systèmes technologiques, désormais très bien maîtrisés, seraient beaucoup moins chers aujourd'hui, puisque les chiffres que je vous cite ont dans les deux cas une quinzaine d'années. En outre, des alternatives existent, comme le système technologique utilisé par Singapour depuis 1998, et d'autres, basés sur l'utilisation de la géolocalisation par GPS, devraient prochainement émerger.
Les investissements initiaux à consentir pour instaurer un tarif de congestion ne paraissent donc pas démesurés, même s'il est clair que plusieurs années sont nécessaires pour les amortir - environ huit ans selon les spécialistes. C'est la raison pour laquelle il nous faudra revenir sur la rédaction actuelle de l'article du code général des impôts relatif aux péages urbains qui dispose que ceux-ci ne peuvent être mis en place que pour une durée maximale de trois ans : cette limitation dans le temps tue dans l'oeuf toute possibilité d'instaurer un péage urbain en France, compte tenu du temps nécessaire pour rentabiliser l'investissement initial.
Deuxième modalité du tarif de congestion : ses horaires de perception. Ceux-ci sont similaires à Londres et à Stockholm - en journée, du lundi au vendredi. Il s'agit en effet de cibler uniquement les moments où la circulation automobile est spontanément trop importante, mais de garantir la gratuité la nuit, les week-ends et les jours fériés. Les deux villes se distinguent en revanche dans leurs politiques de tarification pour l'accès à la zone soumise à péage ainsi que dans l'étendue des exonérations accordées.
Londres a fait le choix d'un tarif relativement élevé - 11,50 livres -, mais forfaitaire : un automobiliste ne s'acquitte du péage qu'une seule fois par jour, qu'il n'entre dans la zone protégée qu'une fois dans la journée ou qu'il y pénètre à plusieurs reprises. Le tarif est fixe quelle que soit l'heure de la journée : aucune distinction n'est établie entre heures creuses et heures pleines.
Le tarif de Stockholm est nettement plus bas que celui de Londres et varie de 1,60 euro en heures creuses à 3,70 euros en heures pleines. Autre différence significative : les automobilistes doivent s'acquitter de la congestion charge à chaque fois qu'ils accèdent au centre-ville, même si cela se produit plusieurs fois dans la même journée. Il existe toutefois un plafond journalier qui s'élève à environ 11 euros par jour.
Il ressort de la confrontation entre ces deux modèles que l'exemple de Stockholm paraît nettement plus efficace, en ce qu'il permet de comptabiliser tous les trajets effectués. Surtout, il a le grand avantage d'inciter les automobilistes à décaler leurs déplacements lorsqu'ils le peuvent tout en prenant mieux en compte les coûts pour la société engendrés par la congestion aux heures de pointe.
Une collectivité désireuse de mettre en place un tel dispositif devrait donc prévoir une tarification simple, lisible et stable, modulée selon les horaires de la journée, avec un paiement à chaque entrée dans la zone, mais plafonné quotidiennement.
Quatrième point à prendre en compte : les exonérations. Les autorités londoniennes ont fait le choix de consentir de nombreuses exonérations, là où celles de Stockholm ont décidé d'adopter une attitude plus restrictive, tout en mettant en place un système très astucieux de déductions d'impôts pour les automobilistes qui gagnent plus de deux heures par jour en prenant leur voiture pour se rendre à leur travail au lieu de prendre les transports en commun, pour ceux qui roulent plus de 3 000 kilomètres par an dans le cadre de leur travail ainsi que pour les véhicules de société.
Je suis, pour ma part, convaincue qu'il peut être utile, voire indispensable, de prévoir des exonérations ou des systèmes de déduction des impôts ou de remboursements pour certaines catégories de la population pour lesquelles il ne serait pas juste de faire payer la congestion charge à son plein tarif alors qu'elles sont contraintes d'utiliser leur voiture et ne peuvent utiliser d'autres modes de transport.
Je plaide donc pour que des exonérations et des systèmes de déductibilité soient mis en place pour les populations les plus vulnérables, les automobilistes qui ne peuvent pas bénéficier d'alternatives efficaces à la voiture ainsi que pour les acteurs économiques qui pourraient voir leur compétitivité affectée de manière excessive par un tel dispositif.
J'en viens en conclusion aux trois conditions nécessaires pour que l'instauration d'un tarif de congestion soit acceptable dans la durée.
La première est qu'il obtienne des résultats, si possible rapidement, et en tout état de cause visibles par la population de la ville. Ce sont d'abord les résultats obtenus par les dispositifs de Londres et de Stockholm qui en ont fait des dispositifs aujourd'hui consensuels. Ils ont eu tout d'abord des effets très concrets sur la circulation automobile dans les deux centres villes. Le nombre total de véhicules accédant au centre-ville de Londres les jours de semaine est passé de 185 000 au début des années 2000 à 125 000 aujourd'hui, soit une diminution du trafic de 60 000 véhicules faisant baisser la densité du trafic de 15 % et les embouteillages de 30 %.
À Stockholm, le nombre de franchissements journaliers du cordon est passé de 450 000 en 2005 à 325 000 en 2015, soit une baisse de 28 % en 10 ans, alors même que la population de la ville avait augmenté de 22 % en dix ans - c'est donc une baisse de 40 % à périmètre constant. La durée des retards des automobilistes aux heures de pointe, c'est-à-dire entre 7h30 et 9 heures ainsi qu'entre 16 heures et 18 heures, a été réduite d'un tiers.
Mais les congestion charges ont également permis d'améliorer substantiellement la qualité de l'air, tant à Londres qu'à Stockholm : dans la zone soumise à péage de la capitale britannique, les émissions de CO2 ont diminué de 16 %, celles de dioxyde d'azote de 8 % et celles des particules fines PM10 - les plus grosses - de 7 % entre 2003 et 2018 ; à Stockholm, les différentes études disponibles montrent que les émissions de polluants auraient baissé de 14 % dans le centre-ville. Enfin, la congestion charge semble avoir eu un réel effet sur le nombre d'accidents de la route, puisque leur nombre aurait diminué de 40 % à Londres depuis 2003.
Deuxième facteur essentiel d'acceptabilité : le bon usage des recettes. Mettre en place un tarif de congestion n'a en effet de sens que si les autorités municipales déploient en parallèle une stratégie visant à offrir aux habitants de la ville de nombreuses alternatives à la voiture, transports en commun ou modes actifs.
Afin que les citoyens puissent modifier rapidement leurs comportements et comprennent que le tarif de congestion n'est pas une taxe de rendement, mais bien un outil incitatif, il est essentiel qu'ils puissent ressentir très rapidement une amélioration des services publics de transport dès l'entrée en vigueur du péage urbain.