Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 3 décembre 2007 à 10h00
Loi de finances pour 2008 — Immigration asile et intégration

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, depuis l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, l'architecture des différentes missions composant le budget de l'État a subi un certain nombre d'ajustements, jamais encore la création d'une mission nouvelle relevant d'un tout nouveau ministère n'était intervenue.

Tel est pourtant aujourd'hui le cas avec la création de la mission « Immigration, asile et intégration », qui est placée sous l'autorité du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.

À l'exception des fonds affectés au codéveloppement, qui sont inscrits au titre de la mission « Aide publique au développement », la nouvelle mission regroupe l'ensemble des crédits concourant à ces différentes politiques, qui relevaient jusqu'alors des missions « Solidarité et intégration », « Sécurité » ou « Action extérieure de l'État » et dépendaient de trois ministères, le ministère en charge du travail, des relations sociales et de la solidarité, le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et le ministère de la défense.

Certes, le nouveau ministère disposera d'un budget propre, mais l'examen de ses crédits n'est pas aisé, puisqu'il n'existe pas de nomenclature de référence dans les lois de finances initiales antérieures.

La mission comporte deux programmes, le programme 303 « Immigration et asile » et le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité ».

Le droit d'asile est gravement négligé.

Pour le programme « Immigration et asile », on doit tout d'abord regretter que l'asile soit une composante quelconque des crédits relatifs à l'immigration. Alors que l'asile relève du droit international et qu'il est protégé par la Convention de Genève de 1951, il n'apparaît dans votre budget que comme un instrument de régulation des flux migratoires.

L'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » voit ainsi ses crédits 2008 diminuer de 4, 1 % pour les autorisations d'engagement et de 3, 7 % pour les crédits de paiement par rapport à la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007.

Monsieur le ministre, vous expliquez cette diminution par la résorption des stocks de demandes d'asile en souffrance et par la baisse attendue des demandes d'asile.

Certes, et nous nous en réjouissons, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Commission des recours des réfugiés ont réussi à résorber en grande partie les stocks des dossiers pendants, mais elles n'ont pas réussi à tenir les objectifs fixés par la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 s'agissant de la durée moyenne de traitement des dossiers, celle-ci étant plus proche des 100 jours que de la cible des 60 jours.

Par ailleurs, le projet de budget pour 2008 a été fixé en tenant compte de la baisse des demandes d'asile constatée les années précédentes et en prévoyant une diminution supplémentaire de 10 % de ces demandes.

Une réduction de crédits nous paraît très imprudente compte tenu du constat précédemment évoqué et de la forte fluctuation des conflits internationaux. La situation en République démocratique du Congo, au Liban, en Tchétchénie ou en Irak - et je ne mentionne que ces pays-là - pourrait conduire à un afflux soudain et massif de demandeurs d'asile auquel l'OFPRA serait tout à fait incapable de faire face avec les moyens dont elle dispose.

La France, au titre de ses obligations liées à la convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole de New York du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés, doit assurer la prise en charge sociale des personnes qui demandent à accéder à ce statut, et ce tout au long de l'instruction de leur dossier par l'OFPRA et la CNDR.

Une telle prise en charge intervient sous la forme d'un hébergement accompagné en centre d'accueil pour demandeurs d'asile ou, à défaut de places disponibles dans ces centres, sous la forme du versement d'une allocation temporaire d'attente.

Alors que le projet initial pour 2007 prévoyait la création de 1 000 places, aucune création de place nouvelle n'est prévue pour 2008. Cette absence de création nouvelle est tout à fait regrettable quand on sait qu'un demandeur d'asile hébergé en centre d'accueil de demandeurs d'asile, ou CADA, a quatre fois plus de chances qu'un demandeur d'asile hébergé par ses propres moyens d'obtenir le statut de réfugié.

À ce sujet, je voudrais souligner que la création d'un CADA n'est toujours pas prévue à Paris, alors que c'est précisément dans la capitale qu'il y a le plus de réfugiés !

Le deuxième manque flagrant de votre budget réside dans l'absence d'efforts réels en faveur de l'intégration.

Le Président de la République, au cours de son allocution télévisée de jeudi dernier, s'exprimait ainsi à propos des violences récentes à Villiers-le-Bel : « Il y a le malaise social, il y a une immigration qui pendant des années n'a pas été maîtrisée, des ghettos qui ont été créés, des personnes qui ne se sont pas intégrées. »

La cohésion nationale dépend bien plus, vous le savez, des efforts d'intégration et de la capacité à vivre ensemble que d'une identité nationale à prouver. Qu'en est-il de l'intégration dans votre budget, monsieur le ministre ?

La mission d'accueil des étrangers et d'intégration échoit pour l'essentiel à l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAEM. Pour 2008, l'agence bénéficiera d'une subvention de 44, 6 millions d'euros, soit une baisse de 10, 08 %.

Ce budget devrait en principe permettre à l'ANAEM d'assurer la poursuite de l'accueil des étrangers et des formations prévues dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration actuel, la mise en place, dans le pays d'origine, de l'évaluation du niveau de connaissance de la langue française et des valeurs de la République et, enfin, la formation gratuite, d'une durée de 140 heures, des étrangers ne connaissant pas suffisamment le français ni les principes de la République, ainsi que la formation aux droits et devoirs parentaux induite par l'entrée en vigueur du contrat d'accueil et d'intégration familial.

Vous devez savoir, monsieur le ministre, qu'un étranger en séjour régulier en France, mais ne possédant pas notre langue doit actuellement attendre des semaines, voire des mois pour trouver une place auprès des associations qui assument ce travail d'initiation à la langue française. L'ANAEM est donc, à l'évidence, insuffisamment dotée.

Certes, la taxe sur les attestations d'accueil, payée par les étrangers concernés, passe de 30 euros à 45 euros, soit une augmentation de 50 %. Toutefois, on peut craindre que cette augmentation ne soit pas suffisante pour compenser la baisse des crédits accordés à l'ANAEM et, corrélativement, l'augmentation très importante de sa mission liée à la mise en oeuvre de votre dernière loi sur l'immigration.

Doit-on comprendre que ces baisses de moyens traduisent une approche purement économique et comptable de l'immigration que votre gouvernement, ainsi que la Commission européenne veulent désormais privilégier en instaurant des quotas de travailleurs selon le métier et la nationalité ?

Pour notre part, nous ne saurions accepter cette politique de l'immigration sélective, et j'insiste sur l'urgence de reconsidérer la politique de l'immigration en prenant réellement en compte les besoins d'intégration, d'emploi et de cohésion sociale. J'espère que la charte européenne de l'immigration que vous proposez de créer lors de la présidence française de l'Union européenne ira dans ce sens.

En revanche, les crédits accordés à la police des étrangers sont importants, mais je crains qu'ils ne soient consacrés plus à la traque des étrangers et aux reconduites à la frontière qu'à l'amélioration des conditions d'accueil dans les centres de rétention administrative, les CRA.

Je dois, comme le Comité intermouvement d'aide aux déportés et évacués, le CIMADE, vous faire part de mon indignation devant les effets dévastateurs de la multiplication du nombre de personnes mises en rétention. La logique du chiffre que vous mettez en oeuvre confine parfois à l'absurde et génère, chaque jour, des drames humains.

Je regrette, enfin, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », que les contrats de partenariat avec les pays d'origine visent essentiellement à freiner les flux d'immigration et non à éradiquer réellement la misère qui frappe de nombreux pays en voie de développement. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez nous apporter des informations complémentaires sur le contenu des accords récemment conclus, en particulier avec le Bénin.

Objectifs chiffrés arbitraires de reconduite à la frontière, insuffisance de la politique de coopération avec les pays d'origine, rupture avec la politique du droit d'asile de la France, restriction des crédits et, surtout, absence de politique réelle de l'intégration : c'est toute la politique de l'immigration du Gouvernement qui est à revoir.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe socialiste du Sénat, nous voterons contre votre projet de budget.

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