Intervention de Nadia Sollogoub

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 11 octobre 2018 à 8h30
Présentation du rapport sur l'avenir des relations entre les générations

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub, rapporteur :

Devant la complexité du sujet, nous avons choisi de retenir deux angles d'attaque. Le premier est celui des transferts économiques entre générations, avec en particulier un questionnement sur l'opposition entre une génération parfois qualifiée de « dorée », celle des baby-boomers, et des générations postérieures, qui seraient « maltraitées ». Le second porte plutôt sur la dimension symbolique des relations intergénérationnelles. Nous avons voulu savoir quels rapports les différentes générations, et notamment les générations montantes, entretiennent avec la politique, le travail ou l'éducation et comment leurs relations s'organisent et se transforment dans ces différents champs.

Concernant la partie sur les transferts économiques entre les générations, je ne ferai que rappeler les principales conclusions, car cette partie a fait l'objet du rapport d'étape du 7 juillet dernier.

Le système de solidarités économiques entre les générations est assis sur le Pacte mis en place à la Libération. Ce Pacte a été, et sera encore, fortement affecté par le vieillissement de la population et par des mutations économiques telles que le ralentissement des gains de productivité, la persistance d'un chômage de masse et l'intensification de la concurrence en économie ouverte. Depuis 50 ans, le vieillissement est le principal moteur de la hausse des transferts intergénérationnels. Face à ces changements du contexte économique et démographique, le Pacte a déjà fait l'objet de réformes nombreuses et profondes, tant au niveau du financement, que de la nature et du montant des prestations versées.

Pour l'avenir, il faut souligner que nous ne nous trouvons pas face à un « mur de dépenses » infranchissable. Certes, la croissance des dépenses liées aux transferts entre générations va se poursuivre dans les décennies à venir, portée par les dépenses de santé et de dépendance. Cette dernière constitue sans doute le principal défi à relever : nous avons plus de 20 milliards d'euros à trouver d'ici à 2060 pour y faire face. Toutefois, globalement, l'augmentation considérable des transferts publics relativement au PIB constatée jusqu'à présent devrait s'interrompre. C'est un vrai changement par rapport aux tendances passées. Selon les projections du Haut conseil du financement de la protection sociale de juin 2017, même dans le scénario économique le plus pessimiste, on devrait avoir une stabilisation au niveau de 31 % du PIB des dépenses liées aux transferts intergénérationnels vers 2040. Dans les scénarios économiques plus optimistes, le poids de ces dépenses devrait même baisser sensiblement.

Plus qu'une impasse financière, ce qui met le Pacte sous tension, c'est en réalité le risque d'une répartition inéquitable de l'effort de solidarité entre les générations. Un tel déséquilibre pourrait, d'une part, nuire à l'efficacité économique. La contribution pesant sur les 26-59 ans a en effet fortement augmenté depuis 40 ans : + 8 points de PIB par tête. Alourdir encore la contribution des actifs crée un risque de blocage de leur consommation et de leur investissement. Sur le plan de la justice sociale, on doit aussi se demander s'il est juste d'imposer des prélèvements supplémentaires aux jeunes générations alors même qu'elles sont confrontées à un marché du travail peu favorable et vont connaître d'inextricables difficultés d'accès à un logement devenu inabordable. On peut imaginer qu'une gestion du Pacte inefficace ou injuste conduise à un scénario de l'exil : les jeunes bien formés et employables, issus des familles peu ou pas dotées en patrimoine, auraient tout intérêt à s'installer dans un autre pays pour éviter les prélèvements destinés à financer les transferts vers les séniors s'ils ne peuvent accéder au logement par le seul fruit de leur travail. Le second risque d'une gestion déséquilibrée du Pacte est politique. Les classes moyennes dépourvues de patrimoine économique, emportées dans la spirale du déclassement alors même qu'elles ont été lourdement mises à contribution pour financer la solidarité intergénérationnelle, pourraient être tentées par les votes extrêmes.

Pour dépasser les tensions du Pacte actuel, il est proposé en premier lieu de redéfinir les conditions du partage intergénérationnel en s'appuyant sur les « nouveaux âges » de la vie que sont la période d'entrée dans la vie adulte et la « séniorité active ». Repenser la solidarité intergénérationnelle entre cinq âges et non plus seulement trois permettrait d'envisager plusieurs « deals » intergénérationnels gagnants.

C'est le cas par exemple de la cohabitation intergénérationnelle. Les jeunes en phase d'entrée dans la vie adulte ont du temps mais pas de logement : ils pourraient échanger ce temps avec des séniors qui ont un logement surdimensionné et ont besoin de présence. Des expériences se développent déjà dans ce sens, mais pour changer d'échelle, il y a sans doute des adaptations juridiques importantes à réaliser, notamment sur la loi de 1989 sur les relations locataires-bailleurs.

On peut également envisager de valoriser et de mobiliser l'appétence des générations montantes pour les formes directes et concrètes d'engagement citoyen, afin d'en faire un outil de la solidarité intergénérationnelle. Nous proposons de donner un cadre clair et protecteur à ces formes d'engagement citoyen au service de la solidarité, de les valoriser pas seulement symboliquement. Récompenser la vertu civique pourrait se faire de diverses manières : par des unités de valeur dans les études, par la création de droits sociaux tels que des mécanismes de garantie publique pour faciliter l'accès au logement ou au crédit.

Enfin, il faut affirmer plus nettement la place de la « séniorité active » dans la chaîne de la solidarité intergénérationnelle. Nous proposons ainsi de réfléchir à la mobilisation des séniors dans le financement de la dépendance grâce à un système d'assurance obligatoire qui serait assis sur les revenus et le patrimoine et qui fonctionnerait selon le principe : « le 3e âge finance le 4e ». Nous appelons également à consolider le statut de fonction pivot des plus de 50 ans en travaillant encore sur le statut de l'aidant et sur l'organisation du temps de travail à l'échelle de la vie. Dans un contexte de hausse du taux d'emploi des séniors, il est indispensable de trouver les moyens de prolonger la vie active sans menacer en même temps l'entraide générationnelle et l'engagement bénévole.

Le second grand axe de nos propositions repose sur une meilleure prise en compte du patrimoine dans le jeu des solidarités intergénérationnelles. La question du patrimoine est en effet revenue au premier plan après une période d'éclipse. Les actifs possédés par les Français représentent aujourd'hui huit années de revenu disponible, contre seulement quatre en 1980. Or, ce patrimoine, dont la valeur a explosé, est dormant. Il est constitué de biens immobiliers et de placements financiers improductifs. Par ailleurs, les flux successoraux représentent une part croissante du revenu national : bientôt un tiers du revenu national, ce qui nous renvoie à la situation de la fin du XIXe siècle. Enfin, le patrimoine est fortement concentré entre les mains des séniors et se transmet désormais de séniors à séniors, car l'âge où on hérite va bientôt atteindre 60 ans. Un premier enjeu est de mobiliser le patrimoine des séniors au service des besoins des séniors eux-mêmes, notamment pour financer la dépendance. Un deuxième défi est d'accélérer la transmission vers les jeunes. Enfin, nous devons trouver des modalités de mobilisation et d'accélération de la transmission du patrimoine qui ne fassent pas exploser les inégalités intragénérationnelles et qui évitent l'apparition d'une société « héritocratique » contraire aux valeurs de mérite individuel.

Le rapport propose plusieurs pistes pour répondre à ces enjeux.

En premier lieu, il recommande, comme condition préalable à toute réforme du patrimoine, de rassurer les séniors sur la question de la dépendance. Il faut « décrisper » la question patrimoniale en apportant une réponse collective à l'enjeu de la dépendance. Cela renvoie à une proposition déjà évoquée : celle d'une prise en charge de la dépendance sur le principe « le 3e âge finance le 4e ».

Il recommande également de faciliter juridiquement et fiscalement les transmissions du vivant, via divers dispositifs. Pour renforcer le poids des incitations positives, on pourrait aussi compléter le dispositif incitatif par une sur-taxe des héritages familiaux en cas de conservation du patrimoine malgré les facilités nouvelles offertes pour le transmettre plus vite.

La troisième piste consiste, dans un souci de réduction des inégalités intragénérationnelles, à affecter les recettes de la taxation des transmissions à des programmes de soutien aux jeunes et à la solidarité intergénérationnelle, par exemple le financement des primo accédants, des écoles de la deuxième chance ou de la formation continue.

Enfin, il est indispensable de développer les formes de viager intermédié, en s'appuyant par exemple sur les expériences menées dans ce domaine par la Caisse des Dépôts et consignations ou sur les travaux de la Chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » en matière de vente anticipée occupée. Dans la même veine, on peut réfléchir à un viager hypothécaire « dépendance », c'est-à-dire un dispositif ouvert seulement aux personnes qui entrent en dépendance, ainsi qu'aux moyens de rendre le viager possible en-dehors des zones 1, peut-être grâce à un système de garantie de l'État.

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