J'en viens maintenant au thème des relations intergénérationnelles dans le domaine du travail. On observe une reconfiguration du rapport des générations au travail qui s'opère aux deux extrémités de la vie professionnelle : chez les actifs les plus âgés (les 55-64 ans) et chez les jeunes qui entrent ou s'apprêtent à entrer dans la vie professionnelle.
Du côté des séniors, le fait marquant est le passage d'une logique de partage intergénérationnel du travail, qui a prévalu au cours de la période 1975-2010, à la logique actuelle de maintien des séniors sur ce marché. Cela résulte de la suppression des dispositifs de préretraite et de dispense de recherche d'emploi, ainsi que de l'allongement de la durée de cotisation retraite et du recul de l'âge de la retraite. Le taux d'emploi des 55-64 ans a fortement augmenté depuis 2010 et ce mouvement devrait se poursuivre, surtout sur la tranche d'âge 60-64 ans.
Le maintien des séniors sur le marché du travail se heurte pourtant à des difficultés. Selon les études du Conseil d'orientation de l'emploi, le choc de la digitalisation va transformer profondément environ 50 % des emplois dans les années à venir, entraînant en particulier la multiplication des emplois demandant de mobiliser des compétences qualifiées de « transversales ». Or, parmi les 55-64 ans, voire les 50-64 ans, la maîtrise de ces compétences est moins répandue que dans les autres catégories d'âges. Les plus de 50 ans rencontrent donc des difficultés spécifiques devant la transition numérique.
Cela s'ajoute à toute une série de handicaps, tels que des salaires en moyenne plus élevés qui ne reflètent pas forcément un surcroît de productivité, un niveau de formation initiale en moyenne plus faible que les actifs plus jeunes, un capital « expérience » menacé de déclassement dans un contexte de redéfinition profonde des métiers ou encore un défaut d'actualisation des qualifications lié à un accès insuffisant à la formation continue.
Ces éléments font redouter un « scénario noir » de l'emploi des 55-65 ans, avec un développement du chômage de longue durée ou des phénomènes de déclassement professionnel si les séniors, pour éviter le chômage, sont contraints de consentir une perte de salaire ou de qualification ou d'accepter des formes précaires d'emploi.
Pour éviter ce scénario, il apparaît indispensable d'activer les politiques de l'emploi en direction des séniors, en particulier en développant leur formation continue, clé du renforcement de leur employabilité. Il faut sans doute également adapter les conditions de travail à leurs spécificités, ce qui passe par des investissements pour améliorer l'ergonomie des postes, ou encore par une adaptation des rythmes de travail. La collectivité dans son ensemble subirait sans doute un effet « boomerang » en cas de scénario noir. On note par exemple déjà que la hausse du taux d'emploi des séniors s'est accompagnée d'une forte hausse des dépenses liées aux arrêts maladie depuis dix ans. Par ailleurs, les 55-65 ans jouent un rôle central dans l'entraide familiale et la vie associative, de sorte qu'une fragilisation de leur situation socio-économique conduirait à la fragilisation de ces mécanismes de solidarité intergénérationnelle.