Intervention de Julien Bargeton

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 11 octobre 2018 à 8h30
Présentation du rapport sur l'avenir des relations entre les générations

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton, rapporteur :

La troisième mutation est l'accélération de l'obsolescence des savoirs et des compétences techniques dans un contexte de progrès technique et d'innovation économique perpétuels. La transformation incessante des métiers rend nécessaire le renforcement de la capacité des personnes à s'adapter à cet environnement professionnel changeant. Il s'en suit là-encore un déplacement des enjeux éducatifs : il ne s'agit plus de former un individu une fois pour toutes, de l'équiper d'un stock de compétences, mais de lui donner les moyens cognitifs de se former tout au long de sa vie. Ainsi, la maîtrise de compétences transverses et de savoirs fondamentaux structurants qui permettent de renouveler ses connaissances deviennent prioritaires.

Ces trois mutations favorisent l'émergence d'un nouveau modèle éducatif. Le premier trait caractéristique de ce modèle est la redéfinition de la relation entre l'enseignant et l'élève. Le professeur ex cathedra, qui transmet un contenu plus ou moins figé de connaissances, est incité à laisser la place au guide ou au mentor qui oriente et accompagne. Deuxième caractéristique : la diffusion de pratiques pédagogiques plus horizontales, plus participatives, plus coopératives et plus inductives. Enfin, ce modèle éducatif place l'expérimentation pédagogique au coeur du système. Il admet que différencier les méthodes et les rythmes d'apprentissage permet de faire réussir des élèves qui avaient échoué dans le cadre scolaire classique. L'École 42 et l'École « Cuisine mode d'emploi », que la délégation a visitées, en sont l'illustration. Mais au-delà des écoles expérimentales, le mouvement touche en réalité déjà l'ensemble de l'Éducation nationale.

Aller plus loin dans la différenciation de l'offre pédagogique et l'expérimentation suppose une évolution profonde de l'organisation administrative du système éducatif vers une moindre centralisation et une plus large autonomie des acteurs. Au-delà du corps enseignant, c'est l'ensemble des fonctions d'encadrement et de pilotage au niveau local et central qui seraient poussées à évoluer, impliquant une révolution culturelle dans la plupart des métiers du système éducatif, ainsi qu'une adaptation profonde des pratiques de recrutement, de formation et de promotion - qu'il s'agisse des chefs d'établissements, des personnels d'inspection ou des services centraux ou rectoraux.

Toutefois, une telle évolution demeure encore une simple éventualité car elle se heurte à des injonctions contradictoires. D'un côté en effet, le système éducatif est poussé à « bouger » par les demandes de personnalisation de l'éducation et les transformations liées à la révolution digitale. De l'autre, il est paralysé par une forme d'indécision collective : la Nation dans son ensemble n'est pas au clair sur l'école qu'elle souhaite mettre en place. Elle assigne à l'école de multiples finalités qui possèdent chacune sa légitimité mais qui ne forment plus aujourd'hui un ensemble cohérent. Il faut éduquer mieux en éduquant moins cher, personnaliser l'enseignement tout en continuant à forger la Nation, et surtout aider les élèves à s'épanouir tout en opérant un tri scolaire et social extrêmement sévère dès le plus jeune âge. On demande à l'école de respecter deux maximes contraires : « sois toi-même » et « passe ton bac d'abord » !

De fait, la compétition scolaire n'a jamais été aussi intense : très tôt dans le parcours éducatif, le travail d'apprentissage est placé sous le diktat de la performance et du benchmark. Ce phénomène est lié à la crise de l'emploi, mais aussi plus largement à la crainte du déclassement social. Il a des conséquences négatives en cascade admises par tous :

- un climat anxiogène, très dévalorisant pour les élèves les moins « performants » au regard des critères de l'excellence scolaire, mais aussi psychologiquement épuisant pour les élèves qui réussissent le mieux ;

- l'angoisse de l'orientation et la peur de faire les mauvais choix dès le plus jeune âge ;

- des stratégies familiales de recherche de l'environnement optimum qui se font au détriment de la mixité sociale et qui sapent la capacité de l'école à créer du lien et à « faire nation » ;

- le tout avec une performance moyenne du système très faible.

Faire en sorte que l'école cesse d'être une machine à trier les enfants dès le plus jeune âge constitue un enjeu majeur des relations intergénérationnelles. Il est urgent de trouver les moyens :

- d'immuniser beaucoup plus longtemps qu'aujourd'hui les parcours éducatifs et le travail de formation des esprits contre les angoisses liées aux choix de l'orientation et à la peur de l'échec. Il faut reconnaître aux jeunes le temps du choix ;

- de reconnaître aussi un droit à l'échec et au rebond. Il faut que les enfants, les familles et tous les acteurs du système éducatif échappent à la peur de l'échec initial. Développer les écoles de la seconde chance, instituer des possibilités de rebondir peuvent aider les acteurs à retrouver cette confiance ;

- de valoriser d'autres voies de réussite et d'autres modes de transmission, en particulier l'apprentissage et les métiers manuels.

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