Intervention de Georges Othily

Réunion du 3 décembre 2007 à 10h00
Loi de finances pour 2008 — Immigration asile et intégration

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une mutation de nos politiques d'accueil et d'immigration est en cours ; l'immigration zéro n'existe pas. Et je loue les trois axes désormais promus : développement d'une immigration choisie et concertée, politique d'intégration, amélioration des conditions du droit d'asile.

Le groupe du RDSE, soucieux de défendre les valeurs de la personne humaine, entend soutenir ce programme d'action dès lors qu'il s'agit bien d'une politique combinée et non exclusive. La mission budgétaire que nous examinons aujourd'hui offre les conditions économiques de cette mise en oeuvre.

Nos concitoyens surestiment généralement dans les études d'opinion le poids supposé des immigrés sur notre territoire, qu'ils évaluent à un taux de 30 % de la population, alors même qu'ils n'en représentent que moins de 10 %, selon les derniers chiffres fournis par l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques.

Comme le notent les démographes de l'INED, l'Institut national d'études démographiques, la vision d'une « intrusion massive » d'immigrés sur l'ensemble du territoire français depuis une vingtaine d'années ne correspond pas à la réalité, qui s'apparente bien plutôt à un modèle d'« infusion durable ». Pour autant, gardons-nous bien de tout angélisme : les mêmes études démographiques rappellent que ce « modèle de l'infusion » traduit bien néanmoins un apport générationnel, continu, qui a largement conduit à modifier la composition de la société française et à poser d'innombrables problèmes, réels et non fantasmés, liés aux difficultés d'insertion économique et sociale et aux tensions dues à la concentration géographique.

Nous sommes bien à un tournant de notre politique migratoire, déjà entamé avec les lois de novembre 2003 et de juillet 2006, et poursuivi avec la récente promulgation de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, intervenue sous cette nouvelle législature.

Le véritable défi porte bien sur les conditions de gestion, notamment territoriale, des flux migratoires, et non sur leur étendue. Le dernier rapport de l'OCDE pour 2007 indique très clairement que la population d'âge actif dans les démocraties consolidées a déjà entamé son déclin du fait du départ à la retraite des populations baby-boomers nées après la Seconde Guerre mondiale.

La nouveauté réside non dans le phénomène en lui-même, mais dans le fait qu'il va désormais se produire dans un contexte de demande de biens et de services persistant en raison, notamment, d'un nombre croissant de retraités consommateurs.

Cette demande ne pourra être satisfaite qu'en partie par les augmentations de productivité ou par la remise au travail de nombre de nos concitoyens qui se maintiennent volontairement en marge du marché du travail - nous les entretenons malheureusement dans un environnement économique et juridique pervers - ou encore par la pratique, moins louable, de délocalisation de production. Elle exigera immanquablement le recrutement de travailleurs dans certains secteurs et certaines professions.

Les expériences étrangères des modèles de politiques migratoires sélectives établies en faveur de travailleurs qualifiés, tels que celui du « système à point » canadien fondé sur des critères individuels sélectifs autonomes du marché du travail ou celui d'une adéquation entre l'offre et la demande par besoins locaux et sectoriels du marché de l'emploi, comme en Suisse ou dans l'Europe du sud, en Italie ou en Espagne, montrent toutes que l'action publique sur la logique du marché est contrainte par la logique des droits fondée notamment sur le regroupement familial. Dès lors, la sélectivité qualitative ne peut pallier totalement les flux quantitatifs.

Ayant cela à l'esprit, la nouvelle politique de gestion concertée est bénéfique et même incontournable afin d'accompagner les mutations de notre marché interne de l'emploi et de faire face à la concurrence des échanges professionnels internationaux dominés par l'attrait anglo-saxon.

Mais, dans tous les cas, la pression des migrations des personnes les moins qualifiées ne s'arrêtera pas pour autant.

Une fois cette réalité avancée, faut-il prendre la mesure des impacts différenciés de cette tendance lourde et immuable ?

La République est une et indivisible. La France se compose tout autant de zones géographiques de métropole et d'outre-mer, qui connaissent des spécificités territoriales, démographiques et socio-économiques irréductibles les unes aux autres.

Ainsi, en métropole, ce sont bien plutôt les effets différés des conditions du brassage de populations issues d'une immigration successive qui se révèlent, dans un contexte économique difficile, sources de tensions.

Certaines collectivités territoriales ultramarines doivent, quant à elles, subir les effets directs d'une immigration cette fois-ci totalement dérogatoire au modèle global d'infusion durable.

La Guyane, entre autres, est ainsi devenue en quelques années un Eldorado pour des dizaines de milliers de désoeuvrés, principalement en provenance du voisin brésilien et du Surinam, travailleurs exploités attirés pour une part par les sites aurifères clandestins, mais aussi étrangers soucieux de bénéficier des règles d'acquisition de la nationalité française et d'un accès garanti au service public de l'éducation pour leurs enfants.

Le territoire guyanais est ainsi le département d'outre-mer où l'immigration est la plus forte, comme l'attestent les récentes données statistiques de l'INSEE. On y dénombrerait environ 20 000 émigrés clandestins, et plus de 30 % de la population serait de nationalité étrangère.

Le droit français de la nationalité est fondé sur un modèle mixte, a contrario du modèle américain, mais il privilégie le droit du sol sur la dimension de la filiation.

En septembre 2005, le ministre de l'outre-mer de l'époque, M. François Baroin, se référant à la situation de Mayotte, osait poser publiquement la nécessité d'une dérogation au droit commun de la nationalité pour faire face à cette pression migratoire.

Monsieur le ministre, aujourd'hui, je repose les termes du débat.

L'article 73 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, a offert l'expérimentation législative aux départements d'outre-mer, mais l'a inscrite dans un carcan qui exclut la prise en compte de ces spécificités dans la modification du droit de la nationalité.

Dans le cadre du vote de la mission « Immigration, asile et intégration » par le groupe RDSE, je souhaite connaître les possibilités permettant de peser sur l'appel migratoire induit par les garanties sociales et économiques offertes par l'accès à la nationalité française sur certains territoires, dès lors sous tensions.

Enfin, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention et celle de nos collègues sur l'esclavage moderne dont souffrent les Haïtiens en République dominicaine.

Cette situation découle, dans une large mesure, de la désertification économique et de l'instabilité politique d'Haïti, en dépit des efforts des secteurs démocratiques et de la communauté internationale.

Cette instabilité alimente une immigration massive et des drames dont sont victimes des boat people qui, au péril de leur vie, traversent l'Atlantique pour rejoindre les rives des États-Unis ou se risquent sur la mer des Caraïbes pour des destinations clandestines.

Le constat n'est pas nouveau. C'est celui d'un échec des tentatives effectuées jusqu'à présent.

Notre démarche se situe dans un contexte nouveau : celui du devenir de cette population lorsque la mécanisation des plantations de canne à sucre sera mise en oeuvre en République dominicaine et que se produira l'inévitable augmentation des flux migratoires haïtiens dans les autres zones de la Caraïbe.

Nous tenons à vous alerter sur les conséquences éventuelles de cette nouvelle donne pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique ainsi que sur les risques de réactions xénophobes à l'instar de celles qu'ont connues certains départements français d'Amérique.

Monsieur le ministre, votre tâche dans un domaine où il faut de l'intelligence, de l'humanisme et de la fermeté n'est pas simple. Beaucoup de voix s'élèveront pour combattre l'action que vous souhaitez mener.

Cependant, vous aurez également à vos côtés des femmes et des hommes, de France et d'outre-mer - ils sont d'ailleurs beaucoup plus nombreux qu'on ne le pense -, pour vous aider dans cette tâche difficile, car il s'agit de préserver ce qu'il y a de plus noble : l'homme !

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