Intervention de Henri Torre

Réunion du 3 décembre 2007 à 10h00
Loi de finances pour 2008 — Outre-mer

Photo de Henri TorreHenri Torre, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite que la discussion des crédits de la mission « Outre-mer » soit pour nous l'occasion, comme chaque année, d'avoir un débat constructif sur la politique de l'État en direction des collectivités territoriales ultramarines.

Les crédits de la mission « Outre-mer » que je vais vous présenter aujourd'hui ne représentent toutefois qu'une partie de l'effort budgétaire total de l'État en faveur de l'outre-mer.

En effet, les crédits de la mission proprement dite sont de 1, 73 milliard d'euros pour 2008, montant à comparer aux 15, 3 milliards d'euros consacrés à la politique transversale de l'État pour l'outre-mer.

Mes remarques sur la mission « Outre-mer » s'articuleront autour de deux points.

Le premier point, qui est essentiel, a trait à l'avenir du secrétariat d'État à l'outre-mer, à la suite notamment des modifications de structure mises en oeuvre cette année.

Le second problème tient à la sous-budgétisation récurrente de différents dispositifs concernant l'outre-mer.

En propos liminaire, je souhaiterais revenir très brièvement sur la faible qualité des informations qui ont été fournies au Parlement. Outre le mauvais taux de réponse aux questionnaires budgétaires - il n'est que de 37 % -, le problème essentiel en ce domaine est le manque total d'évaluation des dispositifs de la mission.

Ainsi, par exemple, le projet de loi de finances prévoit que les exonérations de charges patronales coûteront 867 millions d'euros en 2008. Ce chiffre est, en réalité, sous-évalué. La mission d'audit qui a évalué le dispositif d'exonérations a conclu qu'elle n'était « pas en mesure d'apporter un jugement global, précis et probant, sur les effets d'un tel mécanisme outre-mer ».

Par ailleurs, le montant des dépenses fiscales dépasse largement celui des crédits de la mission, puisqu'il s'élève à 2, 86 milliards d'euros. Or, nous n'avons pas de dispositifs fiables permettant d'analyser l'efficacité de ces dépenses.

Si je voulais être négatif, monsieur le secrétaire d'État, j'affirmerai que cette somme, rapportée au nombre d'emplois créés, représente 800 000 euros par emploi. Je sais que tout cela est discutable, mais le résultat est extrêmement faible.

Nous devons être très attentifs dans la prochaine discussion de la loi de programme à tout ce qui concerne la défiscalisation. Des abus sont commis en ce domaine. Il y a énormément de « perte en ligne ». Je suis sûr que nos concitoyens sont choqués lorsqu'ils voient des publicités, notamment à la télévision, qui promettent un gain en capital important sans aucun risque - en prenant simplement, quelquefois, une assurance contre le changement éventuel de législation -, alors que nous traversons des périodes difficiles : sincèrement, cela n'est pas très clair !

Il faudra s'en préoccuper de manière très ferme au moment de l'examen de la loi de programme, d'autant que la défiscalisation a aussi des effets pervers. Elle a provoqué la hausse des prix de l'immobilier dans les territoires où elle s'est exercée. Nous devons donc examiner cela de très près, et nous souhaitons la plus grande clarté sur cette question.

Cette situation est d'autant plus regrettable que la part du budget de l'État consacrée à l'outre-mer est de 5, 5 %, alors que la population ultramarine ne représente que 4, 2 % de la population française.

L'ensemble de ces dépenses, qui sont importantes, mériteraient donc d'être mieux justifiées. C'est ce que nous demandons. Or, comme nous l'avons vu, le manque d'évaluation de l'efficacité de nombreux dispositifs destinés à l'outre-mer ne le permet pas.

Venons-en au premier point - il est essentiel - de ma présentation : la question de l'avenir du secrétariat d'État à l'outre-mer.

Au printemps 2007, le ministère de l'outre-mer a été transformé en secrétariat d'État sous la responsabilité du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Ce changement s'est accompagné du transfert au ministère de l'intérieur des fonctions de soutien à la politique de l'outre-mer, auparavant inscrites au sein de la mission « Outre-mer » proprement dite.

On ne peut que se féliciter de ce changement qui peut préfigurer une meilleure coordination entre le secrétariat d'État à l'outre-mer et le ministère de l'intérieur, ainsi qu'une meilleure gestion globale du secrétariat d'État.

Par ailleurs, le secrétariat d'État s'est vu dépossédé de dispositifs d'aide à l'emploi et à la création d'entreprise. Ceux-ci ont été affectés à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle et ne figurent donc plus dans le périmètre de la mission « Outre-mer ».

Je me réjouis aussi de cette modification, le ministère en charge du travail disposant d'une meilleure expertise pour gérer l'ensemble des crédits relatifs à l'emploi.

Toutefois, il en résulte que le programme « Emploi outre-mer » est dorénavant composé dans sa majeure partie - à 86 % - du seul dispositif d'exonération de charges sociales. Ni les actions ni les objectifs de performances du programme « Emploi outre-mer » ne permettent donc d'avoir une vision claire et globale de la situation de l'emploi en outre-mer et des résultats des efforts réalisés pour améliorer cet emploi.

Ces éléments plaident selon moi pour une réorientation du secrétariat d'État vers des fonctions non plus de gestion du dispositif, mais de coordination des mécanismes gérés par les autres administrations pour les adapter à l'environnement spécial, que nous ne contestons nullement, des collectivités territoriales d'outre-mer.

En effet, le secrétariat d'État à l'outre-mer peut apporter une réelle plus-value du fait de sa connaissance des territoires ultramarins. Ceux-ci ont des spécificités propres par rapport à la métropole - notamment le taux de chômage des jeunes et le problème du logement - qui doivent être prises en compte pour une meilleure gestion des crédits.

Mon second point est quelque peu inquiétant, puisqu'il porte sur les sous-budgétisations récurrentes de la mission.

À la suite des conclusions de mon rapport d'information sur le logement outre-mer présenté l'année dernière, je note que des efforts ont été réalisés cette année.

Je constate aussi que le Gouvernement a tenu les engagements pris pour 2007, les crédits ayant en effet été augmentés. Par ailleurs, l'écart entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement a été réduit en 2008 par rapport à 2007, ce dont je me félicite. Cet écart reste toutefois important : de l'ordre de 35 millions d'euros, ce qui paraît beaucoup au regard du montant cumulé des engagements non encore couverts par des crédits de paiement qui s'élèverait à environ 800 millions d'euros. Tout cela est trop important et nécessite une attention toute particulière.

Une autre sous-budgétisation inquiétante concerne les crédits affectés au financement des contrats de plan État-région. Bien que le montant de ces crédits soit déterminé à l'avance, la dotation, vous le savez très bien, est sous-évaluée de 80 millions d'euros en 2008, ce qui représente une somme importante comparée aux 110 millions d'euros qui y sont consacrés. Une rallonge de 38 à 40 millions d'euros pourrait, semble-t-il, être accordée au moment de l'examen du projet de loi de finances rectificative. Nous aimerions tous que vous puissiez nous apporter des précisions sur ce point et, éventuellement, nous confirmer cette possibilité.

Enfin, la troisième sous-budgétisation, tout aussi préoccupante, concerne les montants affectés aux organismes de sécurité sociale, dont j'ai déjà parlé, pour la compensation des exonérations de charges sociales. Ces montants sont connus à l'avance ; ils sont pourtant sous-dotés en 2007 comme en 2008, avec un manque estimé à 300 millions d'euros, ce qui représente un montant très important. La dette de l'État, qui avait finalement été honorée fin 2006, risque donc à nouveau de s'accumuler auprès des organismes de sécurité sociale outre-mer.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais formuler. Rassurez-vous, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, je vais tout de même proposer l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

Mais avant de terminer, je voudrais rappeler que, samedi dernier, lors de l'examen de la mission « Régimes sociaux et de retraite », le président de la commission des finances a défendu un amendement reprenant une proposition de loi présentée notamment par nos collègues Dominique Leclerc et Catherine Procaccia concernant les suppléments de retraite outre-mer. J'avais espéré qu'une solution favorable pourrait intervenir. M. Arthuis m'a indiqué que M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique s'était montré tout à fait ouvert à une réforme de ce système qui est, je dois le dire, choquant, injuste et anachronique.

Madame la ministre, j'aimerais que vous puissiez nous confirmer que le Gouvernement veut aller, totalement et sans réserves, dans le sens de ce qui nous a été annoncé par M. le ministre du budget. Cette question est extrêmement importante. À une époque où nous sommes mobilisés pour faire passer de grandes réformes telles que les régimes spéciaux, nous ne pouvons tolérer la survivance de tels systèmes qui sont, je le répète, injustes, coûteux et choquants.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous confirme que la commission des finances m'a chargé de recommander au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2008.

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