La France fêtera prochainement les cinquante ans de l'introduction des machines à voter dans son droit électoral. Le recours à ces appareils est une faculté pour les communes de plus de 3 500 habitants, sous réserve de l'accord du préfet. Il demeure toutefois résiduel : au 1er janvier 2018, seules soixante-six communes utilisent des machines à voter pour tout ou partie de leurs bureaux de vote, ce qui représente 1 421 bureaux de vote et 1,39 million d'électeurs, soit 3 % du corps électoral.
Pour comprendre le fonctionnement des machines à voter, nous avons reçu les représentants des communes utilisatrices et effectué deux déplacements au Havre et à Mandelieu-la-Napoule. Dans un bureau de vote équipé d'une machine à voter, aucune enveloppe ni aucun bulletin de vote papier n'est remis à l'électeur. Prenant son tour dans une éventuelle file d'attente, il se présente devant l'appareil, avec l'autorisation du président du bureau de vote. Seul le votant fait face à la machine afin de garantir le secret du vote, même en l'absence d'isoloir. Une fois le vote validé, le président du bureau annonce que l'électeur a voté et referme l'urne électronique. À la clôture du bureau de vote, l'urne est définitivement fermée et les résultats sont imprimés par la machine sur un ticket de dépouillement.
Les exigences de sécurité à l'égard des machines à voter sont nombreuses. Les appareils sont agréés par arrêté du ministère de l'intérieur, après vérification du bureau de contrôle Veritas. Les critères de l'agrément sont fixés par le règlement technique de 2003, qui définit pas moins de 114 exigences.
Des précautions sont également prises au cours du processus électoral. Ainsi, les machines à voter fonctionnent en autonomie : elles ne sont pas reliées par un réseau et ne font pas appel à Internet. Leur intégrité est également garantie par des règles de protection physique. Conformément à une circulaire de 2017, les machines sont stockées dans un local sécurisé : seules les personnes habilitées peuvent y accéder et leur présence est consignée dans un registre d'accès. De même, les opérations de programmation des appareils sont réalisées en présence des candidats à l'élection ou de leurs délégués. Une fois la machine paramétrée, les agents de la commune y apposent des scellés numérotés et ses modalités de fonctionnement ne peuvent plus être modifiées jusqu'au scrutin. Enfin, les communes utilisatrices possèdent des appareils de secours, mis en service en cas de défaillance. D'après le ministère de l'intérieur, l'application de ces règles n'a causé aucune difficulté particulière lors de l'élection présidentielle et des élections législatives de 2017, hormis un incident identifié à Issy les Moulineaux lors du second tour de l'élection présidentielle. Cet incident résultait d'une erreur humaine, non d'un dysfonctionnement de la machine.
Lors de leur audition, les représentants des communes utilisatrices se sont déclarés pleinement satisfaits des machines à voter. Grâce au ticket de dépouillement, ces appareils génèrent des gains de temps importants en accélérant le dépouillement : à la clôture du bureau de vote, il n'est pas nécessaire de faire appel à des scrutateurs pour compter les enveloppes, les répartir entre les tables de dépouillement et comptabiliser les résultats par candidat. Les machines à voter empêchent également la nullité d'un bulletin, puisqu'il est impossible d'ajouter des inscriptions, de rayer un élément ou d'insérer plusieurs bulletins dans une même enveloppe. Les machines sont, en outre, facilement accessibles pour les personnes en situation de handicap. Elles n'ont, en revanche, pas d'influence sur le taux de participation, ainsi que nous l'avons constaté à Antibes, où seuls certains bureaux de vote en sont équipés.
Depuis 2008, le Gouvernement a mis en place un moratoire : les préfets n'autorisent plus de nouvelles communes à s'équiper de machines à voter et l'État n'agrée plus d'autres modèles. Les communes déjà équipées peuvent continuer à utiliser leurs appareils mais, en pratique, elles ne renouvellent pas leur parc, craignant que l'État n'interdise les machines à voter.
Initialement, ce moratoire représentait un compromis entre les inquiétudes générées par cette technologie et la volonté des communes utilisatrices d'amortir l'achat de ces appareils. Il est désormais daté ; il ralentit le processus de fiabilisation et de sécurisation des machines à voter. Les appareils sont vieillissants et ne pourront plus être maintenus en état d'ici quelques années. Comme le souligne l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), « le maintien à long terme du moratoire représente sans doute la pire des solutions : les machines acquises avant 2008 continuent à être utilisées, sans jamais être mises à jour ». Nous nous trouvons donc face à un choix politique : interdire les machines à voter ou, au contraire, assurer leur maintien et leur modernisation.
Lors de nos travaux, aucun acteur institutionnel ni aucun informaticien n'a pu démontrer le manque de fiabilité des résultats électoraux dans les communes qui utilisent des machines à voter. Seuls des risques potentiels ont été mis en avant, sans preuve matérielle de l'existence de fraudes passées sur le territoire français. L'ANSSI et le ministère de l'intérieur ont d'ailleurs refusé d'organiser une simulation de piratage contre une machine à voter comme nous le leur proposions. Or, seul un tel test aurait pu démontrer l'éventuelle vulnérabilité des machines !
Dans ces conditions, notre première proposition vise à lever le moratoire de 2008. Nous souhaitons ainsi sécuriser la situation des communes qui utilisent, avec satisfaction, les machines à voter et permettre à de nouvelles communes de s'équiper, sur la base du volontariat.
Parallèlement, nous devons relancer les efforts de sécurisation des machines à voter, même si aucune fraude n'a été constatée sur le territoire français. Avec notre deuxième proposition, nous recommandons de créer les conditions d'un dialogue tripartite entre le ministère de l'intérieur, l'ANSSI et les communes utilisatrices. Une telle méthode avait été mise en oeuvre en 2007 et avait permis d'engager un dialogue efficace et apaisé.
Dans la même logique, notre troisième proposition vise à durcir les conditions d'agrément des nouvelles machines à voter. En effet, quinze ans après leur entrée en vigueur, les critères du règlement technique de 2003 doivent être actualisés. L'opération de paramétrage des appareils pourrait également être sécurisée, un tiers indépendant s'assurant de l'intégrité des scellés apposés jusqu'à l'ouverture du bureau de vote.
Enfin, la levée du moratoire de 2008 doit s'accompagner d'une réflexion sur les règles de financement des machines à voter, notamment pour inciter les communes à moderniser leurs appareils. Initialement, l'État prenait en charge l'ensemble des coûts d'acquisition et d'entretien des machines à voter. Cette règle figure d'ailleurs à l'article L. 69 du code électoral. Dans les années 2000, l'État s'est toutefois contenté de verser une subvention forfaitaire de 400 euros par machine pour un coût unitaire estimé à 5 500 euros. Depuis 2008, il ne donne plus rien. Notre quatrième proposition incite donc les communes utilisatrices à renouveler leur parc de machines à voter, au besoin à l'aide d'une subvention de l'État.