Intervention de Jacky Deromedi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 octobre 2018 à 8h30
Proposition de loi relative à la représentation des personnels administratifs techniques et spécialisés au sein des conseils d'administration des service départementaux d'incendie et de secours — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi, rapporteur :

Il nous est également apparu indispensable de sécuriser le vote par Internet, qui constitue une garantie essentielle pour les 1,8 million de Français de l'étranger.

Le vote par Internet est le fruit d'une initiative de notre collègue Robert del Picchia en 2003. Il est circonscrit à l'élection des députés représentant les Français de l'étranger et aux élections consulaires. Son extension à d'autres scrutins n'a pas été envisagée, soit parce que le nombre de votants est trop faible pour amortir le coût du dispositif - ce serait le cas des élections sénatoriales - soit parce que le scrutin concerne l'ensemble des Français.

Le vote par Internet doit concilier deux impératifs : sa sécurité et son ergonomie.

S'agissant de la sécurité, il fait l'objet de contrôles de la part du bureau de vote par voie électronique (BVE), de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), de l'ANSSI et du juge électoral.

Pour ce qui concerne son ergonomie, le vote par Internet demeure une procédure complexe, notamment parce que les codes d'identification des électeurs doivent être envoyés a minima par deux canaux de transmission comme les courriels et les SMS. Lors des élections consulaires de 2014, au moins 6 % des votants par Internet, soit environ 4 630 personnes, ont rencontré des difficultés de connexion et dû contacter la cellule d'assistance technique.

Sur le plan sociologique, le vote par Internet ne semble pas avoir d'influence décisive sur le taux de participation des électeurs établis hors de France, qui dépend principalement des enjeux du scrutin. À titre d'illustration, en 2012, 39,07 % des Français de l'étranger ont participé au premier tour de l'élection présidentielle (pour lequel seul le vote à l'urne était autorisé) et seulement 20,71 % d'entre eux ont voté au premier tour des élections législatives (pour lequel le vote par Internet était ouvert, en complément du vote à l'urne et du vote par correspondance). Le recours au vote électronique varie en outre selon les régions du monde : au premier tour des élections législatives de 2012, 78,71 % des votants se sont exprimés par Internet en Europe du Nord, contre 33,93 % au Proche-Orient et en Afrique.

Le vote par Internet constitue toutefois une garantie essentielle pour les Français de l'étranger. Si 80 % d'entre eux habitent à moins de quinze kilomètres d'un bureau de vote, certains doivent effectuer un long trajet pour se rendre aux urnes. Lors des dernières élections législatives, un seul bureau de vote était ouvert en République centrafricaine, deux en Colombie et trois en Russie. Un expatrié vivant à Irkoutsk doit, par exemple, parcourir 2 812 kilomètres pour voter à Ekaterinbourg, ce qui représente un trajet de plus de trois heures en avion et un budget d'environ 470 euros. Le vote par Internet permet également de répondre à des difficultés très concrètes, notamment lorsqu'un risque existe en matière de sécurité. En pratique, les Français de l'étranger l'utilisent massivement : plus de la moitié d'entre eux ont voté en ligne lors des élections législatives de 2012.

Le vote par Internet comporte donc de nombreux avantages qui plaident pour son maintien. Il rencontre cependant de sérieuses difficultés qui ont conduit le précédent Gouvernement à l'abandonner pour les élections législatives de 2017.

Cette décision s'explique notamment par le contexte géopolitique. Elle ne résultait pas d'une menace précise ou d'un risque clairement identifié mais d'un environnement plus global, avec les attaques contre le site Internet de TV5 Monde en 2015 et les interrogations sur le déroulement de la campagne présidentielle américaine en 2016. Le Gouvernement a donc fait usage du principe de précaution, comme l'a reconnu l'ancien président du bureau de vote par voie électronique.

Outre ces difficultés géopolitiques, la plateforme de vote en ligne présente des imperfections structurelles, qui ont également contribué à l'abandon du vote par Internet pour les élections législatives de 2017.

Conçue à partir de mai 2016, cette plateforme représente un projet d'envergure. Outre le système de vote, elle comporte plusieurs services périphériques comme la centralisation des résultats du scrutin, y compris depuis les bureaux de vote physiques. Le marché a été attribué à la société espagnole SCYTL, pour une durée de quatre ans. Son montant total s'élève à 3,73 millions d'euros, somme à laquelle il faut ajouter 2,99 millions d'euros de prestations annexes confiées à d'autres entreprises.

Dès l'origine, le calendrier de l'opération était trop resserré, comme l'a démontré la Cour des comptes. Le prestataire et l'administration n'ont pas eu suffisamment de temps pour concevoir et tester la nouvelle plateforme.

En outre, le besoin initial en matière de sécurité a été sous-estimé : le Gouvernement a multiplié par deux ses exigences pendant l'exécution du marché, sans revoir le contrat du prestataire.

Enfin, les deux tests grandeur nature (TGN) organisés en décembre 2016 et en février 2017 n'ont pas donné satisfaction. Lors du second TGN, 14 % des utilisateurs n'ont pas réussi à accéder à la plateforme, contre environ 5 % lors des élections législatives de 2012. Ces difficultés ergonomiques ont retardé la sécurisation du dispositif, comme l'a confirmé l'ANSSI au cours de son audition. Si les responsabilités semblent partagées entre l'administration et le prestataire, il semble étonnant que ce dernier n'ait subi aucune pénalité, alors que sa plateforme présentait de graves imperfections fonctionnelles. Son marché public n'a pas été résilié ; il est encore en vigueur.

Dans ce contexte, l'enjeu est de maintenir le vote par Internet pour les Français de l'étranger tout en sécurisant le dispositif. Cette exigence reprend l'engagement pris par le Président de la République devant l'Assemblée des Français de l'étranger.

À court terme, il faut garantir l'organisation du vote par Internet pour les élections consulaires de 2020, en travaillant avec le même prestataire, la société SCYTL. Avec notre cinquième proposition, nous souhaitons que l'État renforce ses capacités de pilotage technique et organise au moins trois tests grandeur nature en amont du scrutin.

À moyen terme, une nouvelle procédure de mise en concurrence sera lancée pour préparer les élections législatives de 2022. Il faudra éviter de reproduire les erreurs constatées en 2017 ! Avec notre sixième proposition, nous préconisons que l'État renforce les moyens alloués à la sécurisation du vote par Internet. À titre d'exemple, la dématérialisation de la propagande électorale pour les seuls Français de l'étranger permettrait d'économiser plus de 3 millions d'euros, qui pourraient être réinvestis dans la plateforme de vote.

De même, il convient de rationaliser la procédure de passation du marché public pour s'assurer de l'adéquation entre les besoins de l'administration et les offres des candidats. Le marché doit être attribué au moins dix-mois mois avant le scrutin - contre douze mois en 2017 - pour pouvoir corriger les imperfections constatées lors des tests grandeur nature.

À long terme, notre septième proposition vise à s'assurer de l'identité des électeurs qui se connectent sur la plateforme de vote, en recourant par exemple à des techniques biométriques. Un tel dispositif simplifierait également la procédure de connexion, en supprimant l'envoi des codes d'identification par courriel et par SMS ; il nécessiterait de nombreuses garanties en matière de protection des données personnelles.

Enfin, nous devons porter une attention particulière aux conséquences, pour les Français de l'étranger, de la prochaine réforme institutionnelle s'agissant des élections législatives.

Les projets de loi déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale proposent notamment de supprimer le vote par correspondance lorsque les Français de l'étranger sont autorisés à voter par Internet. Nous n'y sommes pas hostiles mais souhaitons, avec notre huitième proposition, que l'Assemblée des Français de l'étranger soit consultée en amont sur ce choix fondamental entre les deux modalités de vote.

Nos compatriotes établis hors de France disposeraient, après la réforme, de deux votes : un vote pour l'élection au scrutin proportionnel de députés dans la circonscription « Français de l'étranger » (qui deviendrait une circonscription unique), et un vote pour l'élection, également à la proportionnelle, de 61 députés sur une liste nationale. Nous avons constaté avec satisfaction que le vote par Internet serait ouvert pour ces deux scrutins, ce qui présente l'avantage de la cohérence et de la simplicité. Il faut que ce principe soit maintenu au cours de la navette parlementaire.

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