Intervention de Jean-Paul Delevoye

Commission des affaires sociales — Réunion du 24 octobre 2018 à 8h35
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Audition de M. Jean-Paul deleVoye haut-commissaire à la réforme des retraites

Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites :

Monsieur Savary, le principe selon lequel un euro cotisé donne les mêmes droits, c'est la convergence des rendements. Cela est plutôt sain pour un certain nombre de régimes, car les taux de rendement très élevés, aussi attractifs soient-ils sur le court terme, peuvent se révéler extrêmement dangereux sur le moyen terme. En 1945, les agriculteurs ont pris conscience qu'ils n'avaient aucun intérêt à être intégrés dans un régime universel. En quelques générations, ils sont passés de 43 % à 3 % de la population, tandis que 84 % de leur système de retraite est financé par la solidarité nationale. Dans les facultés de médecine, un certain nombre d'étudiants préfèrent être salariés plutôt que libéraux. Par ailleurs, de plus en plus de structures juridiques se créent chez les indépendants, qui passent eux aussi dans un régime salarial. En réalité, la porosité de certaines frontières professionnelles risque de fragiliser les systèmes existants, même ceux qui apparaissent aujourd'hui excédentaires. Heureusement, avec le système universel, tous les systèmes de compensation démographique disparaîtront.

Le plafond a suscité de nombreuses propositions. Tout d'abord, il concernera la quasi-totalité des fonctionnaires et évitera la création d'un régime complémentaire pour ces derniers. Ensuite, la complexité actuelle liée à la coexistence d'un régime de base et de régimes complémentaires est totalement inutile. C'est pourquoi la solution des trois plafonds n'est pas inintéressante. Pour les 350 000 personnes restantes, la CGT a suggéré de supprimer tous les plafonds. À cet égard, les milieux sportifs nous ont alertés sur les financements étrangers parfois importants dont bénéficient certains clubs en vue de recruter des sportifs de très haut niveau contre des salaires inimaginables... Je citerai aussi les retraites chapeaux des PDG de grands groupes. Je ne suis pas convaincu que la solidarité collective puisse permettre à un système universel d'inclure de telles rémunérations, qui peuvent parfaitement permettre le recours à l'épargne individuelle et collective selon des accords de branche ou d'entreprise. Il y a une limite à la solidarité collective !

Ce sujet va bien au-delà de la politique politicienne. Nul ne sait comment va évoluer le monde salarial, mais certaines thèses prédisent la raréfaction de la main-d'oeuvre hautement qualifiée, par conséquent de mieux en mieux rémunérée, et l'abondance de la main-d'oeuvre non qualifiée qui sera de plus en plus sous-payée : c'est la dualisation du monde salarial. Depuis la révolution industrielle, les paysans se sont transformés en ouvriers, et les ouvriers en techniciens, sans difficulté majeure. Au contraire, l'intelligence artificielle va bouleverser la situation des cadres moyens.

Au final, je ne suis pas convaincu de l'utilité d'un système de solidarité collective pour les cas exceptionnels, d'autant que le plafond retenu est l'un des plus élevés d'Europe - l'Allemagne l'a fixé à 80 000 euros et l'Italie à 100 000 euros. Les Allemands et les Suédois ont eux-mêmes reconnu les bienfaits du système de solidarité collective afin de pallier les aléas du futur. En effet, en baissant le régime de base, on augmente la capitalisation. Or, l'équation économique est simple, à l'image de la situation des États-Unis : pas d'inflation, pas de chômage, des taux d'intérêt bas, des liquidités importantes, mais pas d'augmentation de salaire. L'ajustement monétaire risque d'être extrêmement préjudiciable à un certain nombre de pays très endettés.

L'enjeu central est de stabiliser un parcours de retraite dont l'équilibre est précaire. Or le système que nous proposons laisse une latitude de gestion au-delà des trois plafonds. Les contributions déplafonnées devraient permettre d'alimenter une solidarité.

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