Merci de cette précision. Nous sommes précisément en train de travailler sur ce sujet, sur lequel vos contributions seront les bienvenues.
J'en viens à la gouvernance et à la transition. Comme l'a montré le COR, le système actuel est favorable aux carrières constantes et ascendantes, et très défavorable aux carrières heurtées, courtes et à temps partiel. Le système à points est un moyen de corriger cela. Nous avons une démarche pragmatique qui consiste à trouver des solutions aux incertitudes des uns et des autres, y compris des organisations syndicales. C'est un véritable challenge ! Par exemple, avec le système à points, le nombre d'employeurs ne modifiera pas les droits acquis, contrairement au système actuel. Et les droits inutiles du système de l'annuité seront directement fléchés sur une augmentation de pension.
Pour ce qui est des déficits, monsieur le rapporteur général, le COR a très clairement indiqué une forte dépendance du système de répartition à la croissance. D'après les techno-optimistes, l'apport de l'intelligence artificielle devrait fortement favoriser la croissance. Mais les bilans environnementaux sur l'économie numérique posent des problèmes d'équité. À titre personnel, je ne crois pas que figure dans notre ADN l'acceptation citoyenne d'un pilotage automatique lié aux comptes notionnels. Dans le système allemand, l'augmentation de la cotisation employeur dépend du contrat conclu entre les syndicats de salariés et d'employeurs. Si le système de retraites venait à être déficitaire, mécaniquement et sans intervention parlementaire, les pensions seraient diminuées l'année suivante pour équilibrer le déficit. Les Suédois avaient mis en place un compte notionnel selon lequel les ajustements étaient quasiment automatiques. Néanmoins, en 2009, les baisses de pensions résultant de la chute du PIB auraient été trop importantes avec le pilotage automatique. C'est pourquoi une partie des réserves a été réaffectée à un lissage sur cinq ans.
La gouvernance doit être le reflet, d'une part, des salariés et des employeurs au travers des représentants des organisations syndicales, et, d'autre part, des citoyens par la représentation des parlementaires. Elle doit aussi être dotée des outils nécessaires à l'avenir de nos systèmes de protection sociale fondés sur la masse salariale. Quid de l'évolution de la masse salariale dans les vingt-cinq prochaines années ? Peut-être pourriez-vous nous aider à obtenir des évaluations sur les autoentrepreneurs, qui sont de plus en plus recrutés par les artisans. Et un certain nombre de grands groupes recrutent des cadres français pour les installer à l'étranger en tant qu'autoentrepreneurs. Nous devons faire particulièrement attention à cette évolution, surtout si elle tend à une externalisation à moindre rémunération salariale, c'est-à-dire à moindre cotisation et donc à moindre droit.
Nous avons évoqué les effets des futurs métiers, lors d'un atelier citoyen, au sujet de l'ubérisation, des autoentrepreneurs et des start-ups. En cas d'instabilité au cours des premières années d'existence de ces sociétés, les droits à la retraite en seront-ils affectés ? La modulation des points est-elle possible pour compenser les périodes de vaches maigres ? Ce sujet concerne un certain nombre de jeunes qui, après avoir connu des années de galère, perçoivent des rémunérations extrêmement importantes.
Monsieur Vanlerenberghe, la pension servira-t-elle de variable d'ajustement ? La gouvernance va devoir tenir compte de la croissance économique et de l'évolution démographique. Actuellement, un certain nombre d'entreprises allemandes débauchent des salariés de Bosnie ou d'autres pays dans lesquels les salaires sont moins élevés, avec l'inconvénient de capter leur main d'oeuvre diplômée et de fragiliser leur croissance. Les flux migratoires économiques déstabilisent les équilibres des pays concernés. Mais si la productivité liée à l'intelligence artificielle nécessite autant d'actifs, l'Europe aura besoin, pour équilibrer sa population active, de 50 millions d'immigrés dans les cinquante prochaines années. Les émotions vont-elles l'emporter sur les convictions ? Ce débat concernant le rapport entre l'intelligence artificielle et la valeur ajoutée présente un intérêt pour la prospective. Si, demain, les masses salariales se révèlent incapables d'asseoir le financement des systèmes de protection sociale, de quelles assiettes devons-nous nous doter ? Je n'ai pas de réponse face au monde de l'imprévisible et de l'inconnu.
La gouvernance devra s'adapter à tous les aléas et remplir des objectifs chiffrés. C'est tout le débat des discussions que nous allons avoir dans les six mois qui viennent. Avec France Stratégie, nous avons examiné la situation des seniors. Notre stratégie est satisfaisante concernant la réduction du taux de chômage des seniors de cinquante-cinq à soixante ans, mais elle est mauvaise pour les seniors de soixante à soixante-cinq ans. Or les équipes multigénérationnelles sont plus efficaces que les équipes mono-générationnelles. Par conséquent, la certitude selon laquelle le senior est moins performant et coûte plus cher est démentie par les faits.
Par ailleurs, le système proposé ne vise pas à corriger les dysfonctionnements du système économique. Si l'on ne réduit pas l'écart de salaire entre les hommes et les femmes, les retraites entre les hommes et les femmes seront toujours différentes. Le projet que nous portons est aussi un projet d'interpellation du système économique : il est hors de question que l'on fasse reposer sur le système de retraites des plans sociaux déguisés ou des ajustements économiques non assumés.
Le sujet de l'âge minimal de départ à la retraite est complexe. Le système par points fait en principe disparaître toute référence à une durée de cotisation permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein. Il nous a été demandé d'éviter de protéger les Français contre eux-mêmes. Sans plancher, les personnes risquent de partir beaucoup plus tôt, avec finalement un appel à la solidarité nationale qui serait contraire à l'intérêt de tous. Les Suédois regrettent ainsi d'avoir permis de liquider leur système de capitalisation dès 55 ans sur une durée de 5, 10, 15 ans ou jusqu'à la fin de la vie. Les Suédois, qui partent à la retraite à 69 ans, estiment qu'ils ont 10 ans à vivre, consomment la totalité de leur capitalisation puis basculent ensuite sur la solidarité nationale après 79 ans. Il me semble donc nécessaire de prévoir un âge minimal, ce qui n'interdit pas de l'adapter selon les différentes catégories d'actifs ou pour tenir compte des carrières longues.
Nous avons d'ailleurs pu constater que les Français étaient très attachés aussi bien à un âge minimal de départ à la retraite qu'à une certaine liberté de choix. Le vrai débat porte sur les conditions du choix.
La retraite progressive nous paraissait être un bon dispositif, mais elle ne fonctionne pas dans les faits. Est-ce par défaut d'information ? L'apprentissage, le tutorat et le départ progressif en ciseaux sont également des mécanismes intéressants.
Actuellement, 500 000 personnes sont concernées par la problématique du cumul emploi-retraite. Dans ce cas, les cotisations versées n'ouvrent pas de droits. Faut-il permettre à des gens qui ont des petites retraites d'acquérir des droits en continuant à travailler après la liquidation de leur pension ? La question nous est posée.
Sur le recul de l'âge de départ légal, monsieur Vanlerenberghe, M. Balladur est passé de 150 à 160 trimestres, M. Fillon de 160 à 164 trimestres et Mme Touraine de 164 à 172 trimestres. Vous avez raison, le taux plein correspond en réalité à un départ à 65 ans. Comment, en partant de ce constat, offrir les mêmes garanties ? Faut-il aller vers une retraite pleine à 65 ans ? Je n'ai pas de réponse, et c'est pourquoi nous restons absolument attachés à l'âge de 62 ans. J'ai pris connaissance des propositions du Medef sur l'âge pivot, et c'est justement tout l'intérêt de la méthode que j'ai mise en place. Je suis ravi que les syndicats d'employeurs et de salariés nourrissent le débat de leurs contributions. Les discussions sont très riches, mais je suis favorable à la controverse, car je ne détiens pas la vérité. Je me contente de poser des questions, et la confrontation des opinions et des intérêts est un challenge pour tenter d'y répondre.
Dans tous les cas, nous souhaitons que la gouvernance du système soit la plus responsable possible et que nous puissions tenir compte de tous les paramètres qui concourent à l'équilibre : espérance de vie, démographie, conditions pour améliorer les retraites...
Le pilotage de la valeur du point est en effet la question fondamentale, madame Vermeillet. Quelles seront les garanties, et qui déterminera la valeur du poids ? Depuis 1945, la valeur du point n'a jamais baissé, quel que soit le régime ; c'est l'harmonisation des rendements qui a contribué aux évolutions.
En ce qui concerne la capitalisation, nous laissons la place ouverte à l'épargne collective et individuelle sous la forme qu'il appartiendra de déterminer.
Sur la question de l'équilibre des régimes actuellement déficitaires - SNCF, RATP -, nous avons refusé de sacrifier sur l'autel du populisme certaines catégories sociales. Nos plateformes citoyennes ont reçu 300 000 contributions, qui exprimaient deux exigences majoritaires : sacrifier les parlementaires et les régimes spéciaux ! Or, si nous commençons à opposer les catégories les unes aux autres, nous allons à l'encontre même d'un système de solidarité. Nous souhaitons embarquer les parlementaires et les régimes spéciaux dans une dynamique de convergence avec le régime universel. Mais chaque entreprise, chaque branche, dans le privé comme dans le public, pourra si elle le souhaite conserver quelques aspects spécifiques à condition d'en assurer le financement.
La problématique de la pénibilité est un sujet délicat. À métiers identiques, on ne peut admettre des situations différentes en fonction du statut. Ce serait incompatible avec un système de convergence. Dans certains métiers de santé, selon que vous exercez dans une clinique privée ou à l'hôpital, vous n'avez pas les mêmes conditions de départ à la retraite. Mais dans le secteur public, il n'y a pas les règles de pénibilité en vigueur dans le secteur privé. Pour nous, la pénibilité est plutôt liée à une fonction, et non à un statut. Sur ces sujets, nous pouvons clarifier les positions.
Quant à la transition, nous voulons être extrêmement fermes sur les principes du système universel et extrêmement souples sur les chemins pour y parvenir. Pour passer de 42 caisses à un régime universel, nous avons besoin de l'intelligence de tous. Il n'est pas question pour moi de supprimer la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, ou l'Agirc-Arrco, mais d'embarquer ces deux institutions dans l'aventure du régime universel, dont la mise en place pourra prendre jusqu'à 20 ans. Une question se pose d'ailleurs à cet égard : quelles garanties peut-on apporter sur un temps aussi long, avec des échéances électorales susceptibles, entre temps, de venir déstabiliser la trajectoire ? C'est pourquoi il me semble important de fixer des objectifs chiffrés. La transition est aujourd'hui au coeur de nos réflexions. À titre d'exemple, l'intégration des primes des fonctionnaires nécessite une période de transition d'au moins cinq ans.
Nous sommes en train d'étudier la situation juridique des réserves, qui ont deux vocations : garantir les droits acquis issus du passé ; assurer un tuilage pour mieux accompagner la transition.
Enfin, je ne m'en suis jamais caché, la problématique des caisses n'est pas mon sujet. Je ne suis pas le représentant de l'intérêt des caisses ; je cherche à défendre un projet collectif. En revanche, je laisserai aux caisses le temps nécessaire et je leur proposerai un accompagnement pour qu'elles s'adaptent au nouveau système universel de retraite.