Les dispositions de la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) sont entrées en vigueur en août dernier, alors que les conclusions de la mission inter-inspections - dont le rapport a été achevé en avril 2018 - avaient déjà été remises au Premier ministre. Ce rapport n'est donc qu'une simple mesure préparatoire au projet de loi. Le rapport d'application de la loi sera rédigé prochainement, afin d'être remis au Parlement avant l'échéance légale du 1er juin 2019. Il s'appuiera naturellement sur le travail réalisé par les six corps d'inspection et de contrôle, et prendra en compte les résultats des deux revues de sur-transposition menées par le Gouvernement ; la première portait sur les mesures de niveau législatif et a conduit au projet de loi qui vous est soumis, et la seconde concernera les mesures réglementaires.
Le rapport inter-inspections sert aussi de support aux décisions relatives aux sur-transpositions de nature réglementaire. Il sera communicable, dans les conditions prévues par le code des relations entre le public et l'administration, lorsque les décisions auront été prises. Mais le Gouvernement a souhaité transmettre ce rapport, issu d'une large consultation des syndicats et des organisations représentatives du personnel, à votre commission afin qu'elle puisse mener à bien ses travaux.
Certains de nos grands voisins ont pris, avant nous, des dispositions pour lutter contre les sur-transpositions pénalisantes pour leurs entreprises et pour leurs citoyens. Le projet de loi est donc le fruit d'une démarche de droit comparé avec, en particulier, le droit britannique et le droit allemand. La mission inter-inspections s'est aussi appuyée sur une analyse de droit comparé pour éclairer ses constats. Par exemple, la mesure proposée à l'article 5 et qui tend à alléger les formalités comptables applicables aux moyennes entreprises s'inspire du droit allemand, qui fait bénéficier un maximum de PME de ces allégements ; il en va de même pour les mesures concernant le domaine financier et la rémunération des dirigeants et preneurs de risques.
Le Gouvernement a souhaité, à dessein, partir d'abord du point de vue des entreprises et des acteurs concernés avant de nous comparer à nos voisins, car ces acteurs sont les mieux à même de mesurer des asymétries de compétitivité normatives. Conformément à l'esprit de l'article 69 de la loi Essoc, la mission inter-inspections a fait largement appel aux contributions des acteurs de terrain, plutôt que de partir d'une analyse abstraite. Le droit comparé est un outil extrêmement utile pour conforter ces constats. Nous avons eu recours au droit comparé à chaque fois que c'était possible, sachant qu'il n'était matériellement pas possible de mener une analyse complète de droit comparé sur toutes les mesures du texte.
Autant il était important de supprimer toutes les sur-transpositions qui pèsent de manière injustifiée sur nos entreprises et sur nos citoyens, autant il était inopportun, voire délétère, de nous aligner systématiquement sur le niveau minimal d'harmonisation à l'échelle européenne. Les États-membres se sont laissé des marges de manoeuvre précisément pour conserver certains standards plus protecteurs que nous assumons parfaitement et qui vont au-delà des normes européennes minimales, pour mieux protéger les entreprises et les citoyens, que ce soit en matière de sécurité, en matière sociale, environnementale ou économique. Tout est donc affaire d'équilibre et d'appréciation au cas par cas.
La sur-transposition ne s'éteindra pas avec ce projet de loi. À l'avenir, si d'autres cas sont constatés et qu'il est opportun d'y remédier, le Gouvernement le fera dans le cadre de projets de loi sectoriels. Mais tout ne relève pas de la loi, et l'exercice mené sur les textes réglementaires devrait être plus important.
Toutes les mesures proposées pour alléger les contrôles de respect de la conformité résultent du constat qu'ils sont inutiles et sans portée. Ainsi, à l'article 3, la déclaration de conformité prévue pour certaines fusions ou scissions de sociétés était une formalité sans portée pratique pour les formes d'entreprises concernées ; l'obligation a par ailleurs été maintenue pour les opérations transfrontalières, afin de garantir un contrôle adéquat. L'obligation de déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) ne constitue plus, de l'avis même de l'Arcep, une source d'informations utiles. À l'article 10, l'obligation de déclaration préalable de profession auprès de la Direction générale des douanes, applicable aux petits producteurs qui veulent bénéficier d'exonérations des droits d'accise, est sans incidence sur la capacité de l'administration à effectuer les contrôles douaniers et fiscaux nécessaires.
Mme de Cidrac, vous évoquiez l'article 24 sur les cessions de médicaments vétérinaires comportant des substances antibiotiques. Selon l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en 2016, l'obligation de déclaration prévue ne permet pas d'améliorer substantiellement les connaissances en matière de surveillance des antibiotiques commercialisés. Certaines surtranspositions ont été faites par voie d'ordonnance, parfois même non ratifiées. Pour le Gouvernement, cela relève de la même logique que celle qui s'applique en matière réglementaire, depuis la circulaire du Premier ministre.
Pourquoi le projet de loi ne va-t-il pas plus loin en matière de droit de la consommation ? Le Gouvernement est très attentif au surendettement des ménages, et veille à ne supprimer que les obligations qui, en pratique, ne le limitent pas. C'est pourquoi certaines sur-transpositions ont été maintenues, conservant l'essentiel de la loi Lagarde de 2010. Certaines dispositions relatives au crédit à la consommation ont été maintenues ou ajoutées par rapport au droit de l'Union. En 2010, nous étions en pleine crise financière, et le recours au crédit à la consommation explosait. Ce cadre juridique a permis d'assainir le marché et d'infléchir la tendance au surendettement. À ce jour, la part des crédits à la consommation dans les dossiers de surendettement représente seulement le tiers des dettes totales - contre 60 % en 2010. Ce dispositif a donc été efficace.
Les professionnels ne demandent pas la suppression de certaines sur-transpositions, au regard notamment des coûts de mise à jour des systèmes d'information ou de leur impact sur leurs relations avec les clients. Nous avons aussi été attentifs à la notion de stabilité normative, pour ne pas imposer à des entreprises de se réadapter à une nouvelle norme qu'elles ne souhaitaient pas.
Actuellement, aucun assureur de protection juridique ne peut s'immiscer dans la détermination des honoraires de l'avocat choisi par son assuré. Cette disposition, introduite en 2007, nous est apparue disproportionnée au regard de la liberté contractuelle ; une telle interdiction constitue un écart de transposition par rapport au cadre harmonisé et protecteur de l'assurance de protection juridique, telle que définie par la directive Solvabilité II. Elle va au-delà de l'exigence du libre choix de l'avocat par l'assuré, qui n'est pas remis en cause car cette liberté demeure inscrite à l'article L 127-3 du code des assurances. En pratique, l'assureur ne pourra toujours pas proposer le nom d'un avocat, sauf demande écrite de son assuré. Le cas échéant, l'assuré restera libre de choisir in fine un autre avocat pour l'assister. Mais les assurés peuvent être contraints de régler un reste à charge dès que le montant des honoraires dépasse le plafond de couverture de leur contrat d'assurance. La modification envisagée constitue donc un allégement des contraintes pesant sur l'ensemble des acteurs de l'assurance de protection juridique : les consommateurs pourront bénéficier, s'ils le souhaitent, de conseils de la part de leur assureur, ainsi que de potentiels tarifs plus avantageux parce que négociés par leur assureur avec l'avocat qu'ils auront librement choisi.
Le Gouvernement s'est effectivement engagé dans une politique de renforcement de l'attractivité de la place financière de Paris, mais cette dernière doit s'appréhender dans son ensemble et pas uniquement dans le projet de loi. Les articles 8 et 9 sur les établissements de crédit et d'investissement y participent. Certaines mesures de sur-transposition ont néanmoins été maintenues à des fins de protection du consommateur.
S'agissant de la suppression de l'obligation d'appels d'offres pour certains services juridiques prévue à l'article 11, alors que le droit européen ne soumet la passation des marchés de service juridique à aucune règle, la France avait imposé aux acheteurs qui ont besoin de recourir aux services d'un avocat de respecter les mêmes règles que pour des prestations de service quelconques. Pour certaines règles de passation de contrats, le Gouvernement a choisi de revenir sur cet encadrement, inadapté à ce type de prestations délivrées, ainsi que l'a souligné le Conseil d'État dans son avis. Les relations entre un avocat et son client sont fondées sur l'intuitu personae et doivent reposer sur le principe du libre choix de l'acheteur. Les garanties de droit commun seront assurées pour un égal accès à la commande publique.
Nous n'avons pas d'éléments confirmant que des opérateurs mettent sur le marché des équipements non compatibles avec la norme IPv6 et modifient leur fabrication pour les rendre compatibles. L'adoption de cette norme progresse mais l'article 40 de la loi pour une République numérique n'a pas eu réellement d'effet, car les opérateurs savaient qu'il était inopposable : il n'avait pas été notifié à la Commission européenne, or les opérateurs mettent leurs produits sur l'ensemble du marché intérieur. Le Gouvernement est ouvert à toutes les propositions pour améliorer ces normes, et travaille avec l'Arcep.
L'article 15 supprime la condition de traitement préalable par une installation ICPE ou IOTA pour la sortie du statut de déchet. En application de l'article 6 de la directive, la sortie du statut de déchet s'effectue soit dans le cadre d'un traitement, tel que défini à l'article 23, soit par valorisation ou recyclage, sous réserve que ces déchets répondent à des critères spécifiques, cités par la directive et repris en droit français. Lorsqu'un déchet fait l'objet d'un traitement au titre de la directive, l'installation de traitement doit être autorisée - cela correspond aux installations classées en droit français - mais lorsqu'un déchet fait l'objet d'une valorisation ou d'un recyclage au sens de l'article 6, la directive n'impose pas que ces opérations s'effectuent au sein d'une telle installation classée, alors que cette exigence était mentionnée dans le code de l'environnement français. C'est en cela que le droit interne surtranspose le droit de l'Union. Ainsi, la réutilisation de pièces détachées automobiles ou de réfrigérateurs, la réutilisation exige au préalable un traitement dans une installation classée, ce qui bride les métiers de la réparation qui ne peuvent s'approvisionner que dans des centres soumis à autorisation. Le projet de loi permettra de réaliser cette activité en dehors de ces installations, notamment dans les locaux d'associations du secteur de l'économie sociale et solidaire, et de faciliter le réemploi. Les garanties prévues par la directive demeurent, en particulier le fait que l'utilisation de la substance de l'objet n'aura pas d'effets globaux nocifs pour l'environnement ou pour la santé humaine.
À l'article 16, la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages établit un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux. Elle permet néanmoins d'y déroger, par son article 9 paragraphe 1, et de chasser les oiseaux qui relèvent de la directive afin de prévenir certains dommages agricoles. Cette dérogation n'a pas été reprise en droit interne lors de la loi Chasse 2000, car le législateur a voulu se concentrer sur les motifs de dérogations nécessaires aux seules chasses traditionnelles afin de limiter les contentieux - je viens de cette région des chasses traditionnelles... Désormais, il est proposé de mettre en oeuvre strictement mais aussi entièrement la directive en transposant cette autre dérogation qui vise à prévenir les dommages agricoles. Dès lors qu'il n'est pas possible d'exclure que certaines espèces migratrices chassables causent ou pourraient causer des dommages aux cultures, il apparaît nécessaire de prévoir ce cas dérogation afin d'agir de manière adéquate. Cette possibilité est encadrée par des conditions précises de mise en oeuvre : il faut d'abord démontrer qu'il n'y a pas d'autre solution satisfaisante, le maintien du bon état de conservation de l'espèce, et enfin faire la preuve que des dommages aux cultures ont été constatés. Les dispositions de l'article 16 sont entièrement conformes à la directive, dont elles reprennent strictement les termes et en font une application proportionnée. L'article 16 ne reprend pas l'ensemble des dérogations prévues par l'article 9 de la directive, à savoir, outre la dérogation pour dégâts aux cultures, celles pour santé et sécurité publique ou pour protection de la faune et de la flore. Cela ne poserait aucune difficulté juridique, mais ne présenterait aucun intérêt pratique : les destructions d'oiseaux dans l'intérêt de la santé, de la sécurité publique, de la sécurité aérienne ou encore pour la protection de la faune et de la flore concernent dans la grande majorité des cas des espèces protégées et donc non chassables, pour lesquels il existe déjà une procédure de dérogation prévue dans le code de l'environnement.
La mesure proposée à l'article 17 autorise un report des échéances fixées pour l'atteinte du bon état des masses d'eau du fait de conditions naturelles afin de tenir compte du temps incompressible pour que certaines mesures prises pour améliorer la qualité des eaux produisent leurs effets. Elle n'aura pas d'effet démobilisateur, dans la mesure où cette souplesse prévue par la directive reste très encadrée. La notion de conditions naturelles s'entend comme des conditions objectives, physiques, comme le temps nécessaire à la résorption dans l'eau d'une substance dont l'usage est désormais interdit. De plus, le report de délai ne peut être demandé en vertu de la directive que lorsque toutes les mesures nécessaires pour atteindre le bon état des eaux ont été mises en oeuvre. La Commission dit y être particulièrement attentive. Le report de délai n'est possible que si l'état de la masse d'eau ne se dégrade pas davantage.
L'article 24 traite du suivi des cessions de médicaments vétérinaires, à l'instar du résultat obtenu lors des négociations sur le futur règlement relatif aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux. La représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne s'attache en permanence à mettre en oeuvre cette démarche constructive d'influence au sein du processus législatif européen, afin que l'harmonisation se fasse aussi souvent que possible par le haut, et autour de nos propres normes nationales. C'est notamment le cas dans les domaines de la protection du consommateur, du droit d'auteur et de l'environnement, et dans le cadre de la révision en cours de plusieurs directives. La Commission prévoit de modifier le droit européen en vigueur en s'alignant, à plusieurs reprises, sur le modèle français, par exemple sur les obligations en matière d'information à la charge des plateformes numériques. La future directive sur le droit d'auteur est également largement inspirée du droit français. Le récent accord intervenu entre le Parlement européen et le Conseil sur la directive relative aux énergies renouvelables élève l'objectif contraignant à 32 % - contre 27 % en 2014, s'alignant sur l'objectif français, plus contraignant.
À l'article 25, la sur-transposition de la définition des trésors nationaux n'avait effectivement pas été identifiée par la mission, mais elle l'a été directement par le ministère de la Culture. Le Conseil d'État avait, au moment de la transposition de la directive, appelé l'attention du Gouvernement sur le caractère inapproprié et injustifié de cette sur-transposition. L'avis du Conseil d'État sur le présent projet de loi y fait écho. Nous souhaitons pouvoir participer à l'évolution européenne en matière de libre circulation des données.
Y a-t-il un risque de perte de souveraineté sur ces données ? Dans la mesure où 90 % des archives courantes et intermédiaires n'ont pas vocation à devenir des archives définitives, étant dépourvues d'intérêt historique, le risque doit être géré autrement que par le recours au régime juridique des trésors nationaux. Le Gouvernement s'est donc particulièrement engagé sur des dispositifs de sécurité.
Ne vaudrait-il pas mieux conserver la qualité de trésor national aux archives publiques courantes et intermédiaires dont il serait certain qu'elles ont vocation à devenir définitives ? Nous ne disposons pas de liste complète de telles archives : ces documents, quand ils existent, évoluent en permanence ; on élimine aujourd'hui des archives qui étaient conservées, et vice-versa.
Ne faudrait-il pas définir au moins des règles minimales sur le niveau de protection attendu de la part du prestataire de service de stockage ? Mounir Mahjoubi a présenté en juillet 2018 la stratégie de l'État en matière de cloud : cloud interne pour les données sensibles, cloud dédié pour les données de moindre sensibilité dans des infrastructures spécifiques, dont la sécurité sera supervisée par l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information (Anssi), cloud standard pour les données sans sensibilité particulière.