Madame la présidente, madame la sénatrice Laurence Cohen, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner, par cette proposition de loi, l’occasion de partager une nouvelle fois avec vous l’engagement total du Gouvernement en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Cette priorité du quinquennat sera de nouveau mise à l’honneur lors du comité interministériel du handicap que réunit le Premier ministre demain matin, à Matignon. J’espère que vous me donnerez l’occasion de vous présenter les mesures importantes qui en seront issues, par exemple lors d’une prochaine séance de questions d’actualité.
Je veux d’abord rappeler que cette priorité se traduit très concrètement par un effort financier sans précédent en direction des personnes auxquelles le handicap interdit de travailler ou qui se trouvent fortement réduites, en raison de leur handicap, dans leur capacité à travailler. La revalorisation exceptionnelle de l’allocation aux adultes handicapées que met en œuvre le Gouvernement, conformément à l’engagement du Président de la République, concernera plus de 1 million de personnes. Quel est le sens de cette revalorisation et comment s’articule-t-elle avec l’ensemble de la politique du handicap du Gouvernement et avec notre projet de société inclusive ? C’est une question centrale pour l’examen de votre proposition de loi, madame la sénatrice Cohen, que je voudrai éclairer par mon propos.
Depuis sa création, en 1975, l’allocation aux adultes handicapés est un minimum social. Elle vise à assurer un minimum de ressources aux personnes auxquelles leur handicap interdit de travailler ou que leur handicap limite fortement dans leur capacité à travailler. Elle n’a, en conséquence, aucune vocation à « compenser » le handicap, d’autant qu’une prestation a été spécifiquement créée à cette fin depuis 2005 : la prestation de compensation du handicap sur laquelle je reviendrai.
L’AAH, en qualité de minimum social, est la manifestation de la solidarité nationale envers les plus démunis, ce qui justifie pleinement qu’elle soit financée par le budget de l’État. Avec le RSA et l’ensemble des autres prestations sociales, l’AAH participe pleinement de notre « filet de sécurité » et contribue fortement à la réduction de la pauvreté monétaire dans notre pays. Il faut s’en féliciter, c’est un filet solide ! Les transferts sociaux et fiscaux diminuent le taux de pauvreté en France de 8 points ; les seuls minima réduisent l’intensité de la pauvreté de plus de 6 points.
Néanmoins, il faut aussi le rappeler, c’est un filet compliqué – comme vous l’avez parfaitement souligné, madame la sénatrice –, dont la complexité même peut s’opposer à l’accès aux droits des personnes. C’est la raison pour laquelle, je veux le rappeler, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, que pilote Agnès Buzyn, à mener un chantier de refonte des minima sociaux dans la perspective de la mise en place d’un revenu universel d’activité. Ce chantier et cette vision d’ensemble sont en effet indispensables pour rendre plus équitable et plus incitatif à l’activité un système aujourd’hui complexifié par la coexistence de dix minima. Une grande concertation nationale et citoyenne sera organisée en ce sens de janvier à juin 2019.
Mais puisque votre proposition, madame la sénatrice, se concentre sur la seule allocation aux adultes handicapés, arrêtons-nous sur elle. Oui, cette prestation s’articule avec les solidarités familiales, notamment la solidarité entre époux reconnue par le droit civil, car c’est un principe de base de notre modèle social. Ainsi, comme tous les minima sociaux, l’AAH est assortie d’une condition de ressources. Si le bénéficiaire dispose de ressources personnelles ou s’il peut compter sur le soutien financier des autres membres de son foyer au titre de la solidarité familiale, la priorité doit être donnée à la mobilisation préalable de ces ressources. C’est à ce titre que les ressources du conjoint sont prises en compte dans le calcul de l’AAH.
Vous le comprenez, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir sur cette articulation des solidarités, supprimer la condition de ressource appréciée à l’échelle du foyer, comme le prévoit la proposition de loi de Mme la sénatrice Cohen, reviendrait donc sur la nature même de l’allocation aux adultes handicapés.
Ne nous y trompons pas : la prise en compte de la composition du foyer du bénéficiaire dans le calcul de la prestation s’exerce bien au bénéfice des personnes dès lors que le plafond de ressources pour bénéficier de l’AAH augmente, parallèlement à la taille du foyer. En effet, cela veut dire que le plafond de ressources est plus élevé lorsque le bénéficiaire est en couple, comme il l’est lorsque le bénéficiaire a des enfants.
Ainsi, un bénéficiaire de l’AAH en couple, sans revenu d’activité propre, peut continuer de percevoir cette allocation jusqu’à ce que les ressources de son conjoint atteignent 2 169 euros mensuels, soit 1, 8 SMIC. Dans le cas où c’est l’allocataire de l’AAH qui travaille, et pas son conjoint, les règles actuelles de « conjugalisation » permettent à ce bénéficiaire de cumuler son allocation à taux plein en complément, par exemple, d’un SMIC. En novembre 2019, cet allocataire pourra percevoir 900 euros en complément de son revenu d’activité au SMIC. Si l’on ne prend plus en compte les ressources à l’échelle du foyer, cet allocataire ne pourra plus prétendre qu’à 344 euros mensuels. C’est un manque à gagner très important de 556 euros par mois pour ce foyer.
Si je salue bien volontiers le travail et la volonté de Mme la sénatrice Laurence Cohen dans l’élaboration de ce texte, je me dois d’alerter sur les conséquences de sa proposition.
En supprimant le plafond de ressources pour les couples, elle aurait pour première conséquence de diminuer le montant de l’allocation de certains bénéficiaires de l’AAH en couple, puisque ne serait plus retenu que le plafond pour les personnes seules. Ainsi, paradoxalement, cette mesure, dont l’impact budgétaire est évalué à près de 360 millions d’euros par an, ferait certes des gagnants, mais aussi 57 000 ménages perdants, avec des gains et pertes mensuelles très importants.
Vous le savez aussi, mais il n’est pas inutile de le rappeler, les modalités de calcul de l’AAH prennent pleinement en compte les besoins spécifiques de ses bénéficiaires.
Tout d’abord, une « base ressources » réduite : le calcul du droit à l’AAH ne prend en compte que les seules ressources soumises à l’impôt sur le revenu.
Ensuite, un mécanisme d’intéressement à la reprise d’une activité particulièrement incitatif : les allocataires bénéficient d’un cumul intégral de leurs revenus avec l’AAH pendant les six premiers mois de la reprise d’un emploi ; ils peuvent ensuite cumuler revenus d’activité et AAH selon un mécanisme d’abattement avantageux.
Par ailleurs, un abattement spécifique de 20 % est prévu pour la prise en compte des revenus du conjoint. Cela signifie concrètement que, si vous êtes bénéficiaire de l’AAH et que votre conjoint gagne 1 500 euros mensuels, seuls 1 200 euros sont pris en compte pour le calcul de vos droits.
Enfin, le plafond de ressources prévu est supérieur à celui applicable à d’autres minima sociaux.
D’autres dispositifs et droits connexes supplémentaires viennent également répondre à la spécificité des besoins des personnes en situation de handicap. Ainsi, des exonérations fiscales spécifiques sont prévues en matière de taxe d’habitation et de taxe foncière, sous condition de ressources et de cohabitation. Les bénéficiaires de l’AAH bénéficient également d’une aide à une complémentaire santé que la ministre des solidarités et de la santé revoit et améliore substantiellement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, conformément aux annonces de la stratégie de lutte contre la pauvreté.
L’ensemble de ces règles et de ces droits connexes ont été conçus pour soutenir l’autonomie des personnes. Cet objectif reste pleinement celui du Gouvernement, comme l’illustre l’investissement social massif que nous faisons en direction des bénéficiaires de l’AAH.
Afin de lutter contre la pauvreté subie des personnes en situation de handicap, le projet de budget pour 2019 sera marqué, pour la deuxième année consécutive, par la revalorisation exceptionnelle de l’allocation, conformément à l’engagement du Président de la République. Il s’agit d’une hausse sans précédent, dont vous connaissez les modalités. Elle représente un investissement de plus de 2 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Cela représente une hausse totale de l’AAH de 11 % par rapport à son montant actuel. C’est l’équivalent d’un treizième mois pour les personnes concernées, qui sont – je veux le rappeler – plus de 1 million, l’AAH représentant le deuxième minimum social par le nombre de ses bénéficiaires.
Cette hausse répond à l’engagement du Président de la République de renforcer la solidarité nationale en direction de ceux qui en ont le plus besoin. Mais il ne s’agit pas de compenser le handicap, comme je l’indiquais en introduction, car cette compensation relève non pas de l’AAH, mais davantage de la prestation de compensation du handicap, introduite en 2006.
La PCH est une prestation en nature visant à contribuer au financement des besoins de compensation, à domicile et en établissement, en complément des aides de la sécurité sociale. Il s’agit d’une prestation personnalisée, fondée sur une évaluation multidimensionnelle des besoins de chaque personne et prenant en compte son projet de vie. Il s’agit d’une prestation universelle, quasiment sans condition de ressources, attribuée par les maisons départementales des personnes handicapées et financée par les départements, avec le concours de la solidarité nationale.
Douze ans après sa création, la PCH bénéficie désormais à plus de 280 000 personnes et représente une dépense de près de 2 milliards d’euros. Elle est complexe et composée de six éléments. Voilà pourquoi nous avons décidé de remettre à plat l’ensemble de cette prestation dans le cadre du chantier qui va s’ouvrir. La refonte de la prestation doit notamment mieux soutenir la parentalité des personnes en situation de handicap.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons évoqué des prestations, des dispositifs, des règles techniques et des chiffres, mais il me semble important de conclure en rappelant que, au-delà d’un accès simplifié et plus équitable à ces prestations et compensations, le soutien à l’autonomie des personnes handicapées et à leur pleine participation à la société et à la citoyenneté est au cœur de la société inclusive que construit actuellement le Gouvernement, projet qui veut reconnaître dans les citoyens en situation de handicap des citoyens à part entière, et non des citoyens à part.
Cette reconnaissance passe par le rétablissement de l’ensemble des personnes dans leur pleine citoyenneté, avec le plein exercice du droit de vote des majeurs protégés, que la garde des sceaux Nicole Belloubet a défendu devant cette assemblée, mais qui a malheureusement été rejeté dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Ce projet de société inclusive repose sur un travail global engagé en faveur de l’accessibilité universelle et sur le soutien à l’activité des personnes handicapées, confortée par les dispositions de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Ce projet nous rassemble largement, comme je l’ai vérifié encore récemment, lors de la présentation par le sénateur Philippe Mouiller de son excellent rapport sur le financement de la politique du handicap. Je le remercie de m’y avoir associée.
C’est la raison pour laquelle, tout en émettant un avis défavorable sur cette proposition de loi, je suis confiante dans le soutien de votre assemblée pour coconstruire une société du vivre ensemble qui fasse pleinement place aux personnes et à leurs différences.