Intervention de Sabine Van Heghe

Réunion du 24 octobre 2018 à 14h30
Calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Sabine Van HegheSabine Van Heghe :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Mme la rapporteur Cathy Apourceau-Poly et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de la présentation, aujourd’hui, dans l’hémicycle du Sénat, de la très nécessaire proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Ce texte est soutenu unanimement par les sénateurs du groupe socialiste et républicain, au nom duquel j’interviens aujourd’hui.

Notons que cette proposition de loi a d’abord été déposée à l’Assemblée nationale, toujours sur l’initiative des parlementaires communistes, et cosignée par de nombreux députés, issus de plusieurs groupes politiques. Il se trouve cependant que le Gouvernement et sa majorité, gênés aux entournures, en ont bloqué l’examen. C’est donc au Sénat que nous pouvons aujourd’hui, fort heureusement, en discuter.

Cette situation constitue une nouvelle illustration, s’il en était besoin, de l’importance du Sénat dans notre vie politique et de l’importance du bicamérisme. C’est un fait dont il faudra se souvenir lors du futur examen au Parlement de la réforme constitutionnelle, qui interviendra en janvier prochain.

La proposition de loi que nous examinons répond aux attentes des personnes en situation de handicap et à celles de leurs associations de défense, qui dénoncent, depuis des années, la prise en compte du revenu du conjoint.

Rappelons, tout d’abord, que l’AAH bénéficiait à 1, 13 million de personnes en 2017 et que, de 819 euros par mois pour une personne seule, elle atteindra 860 euros au 1er novembre 2018, puis 900 euros à la fin de l’année 2019.

Si ces revalorisations sont bien entendu positives, vous conviendrez, mes chers collègues, qu’elles aboutissent à des montants encore bien faibles, situés en dessous du seuil de pauvreté. Elles doivent être comparées aux montants des cadeaux fiscaux faits par le Gouvernement aux plus riches, qui se chiffrent, eux, en millions d’euros.

En outre, la revalorisation de l’AAH pour une personne seule s’accompagnera d’une baisse progressive pour les bénéficiaires en couple. Ainsi, le coefficient multiplicateur maximal est passé de 2 à 1, 9 en 2018 et s’élèvera à 1, 8 l’année prochaine, ce qui pourra exclure certains couples du bénéfice de l’allocation, dans des proportions dont nous ne connaissons pas l’ampleur, comme l’a regretté notre rapporteur.

Les couples percevant tous deux l’AAH connaîtront eux aussi une baisse nette des revenus du foyer. En effet, ceux qui perçoivent actuellement 1 638 euros verront le montant de leur allocation baisser à 1 625 euros. J’entends déjà qu’une différence de 13 euros, ce n’est rien, ou si peu… C’est peut-être peu pour les finances publiques, mais, pour boucler des fins de mois difficiles, une telle somme est absolument nécessaire dans bien des cas !

En quelque sorte, en revalorisant l’AAH, tout en réduisant le plafond, le Gouvernement reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre.

Les allocataires de l’AAH vivant en couple subissent ainsi une discrimination inacceptable, qui peut en amener certains, par exemple, à ne pas se marier ou à ne pas déclarer leur vie de couple pour ne pas perdre le bénéfice de l’allocation. Il est proprement scandaleux que certains soient contraints à cette extrémité. Cette situation ajoute de l’exclusion à l’exclusion.

Et que dire de cette dépendance de l’un à l’égard de l’autre dans le couple ? Elle est blessante, humiliante et rétrograde, spécialement pour les femmes, comme ma collègue Laurence Cohen l’a rappelé. Citoyenne à part entière, la personne handicapée n’a pas demandé à être privée de sa capacité à travailler et doit, à notre sens, avoir le choix de ne pas dépendre financièrement de son conjoint.

L’AAH n’est pas un minimum social comme un autre : c’est le calcul d’un degré d’invalidité, contraignant malheureusement la personne concernée à renoncer au travail. Je rappelle que, pour percevoir l’AAH, il faut se voir reconnaître un taux d’incapacité de 80 %, ce qui correspond à un handicap lourd, empêchant de travailler.

Mais qui dit renoncement au travail ne dit surtout pas renoncement à une vie sociale, culturelle ou familiale ! Or, bien souvent, les personnes handicapées n’ont que l’AAH pour seule ressource.

Pour mesurer les difficultés d’insertion des personnes souffrant d’un handicap, je veux insister sur un chiffre particulièrement éclairant : seuls 6 % des allocataires de l’AAH sortent du dispositif d’une année sur l’autre, d’après une étude récente. C’est dire si l’AAH, son maintien à taux plein, sa revalorisation régulière sont essentiels pour nos concitoyens touchés par le handicap.

Cependant, force est de constater que le Gouvernement, au-delà des déclarations de principe et d’affichage sur la nécessité de mener une politique inclusive, n’apporte malheureusement qu’une réponse comptable, difficilement justifiable et décalée par rapport aux réalités vécues.

Nous avons déjà constaté ce décalage entre l’affirmation de grands principes et la réalité concrète à l’occasion des débats parlementaires sur le projet de loi ÉLAN. En l’espèce, l’article 18 de ce texte, relatif à l’accessibilité des logements pour les personnes handicapées, prévoit que seuls 20 % des nouveaux logements collectifs leur seront accessibles, alors que la loi de 2005 prévoyait, pour ces mêmes programmes neufs, un taux de 100 %. C’est un recul sans précédent pour les droits des personnes handicapées, qui sont bien pris en considération sur le papier et dans les discours des ministres, mais qui ne le sont, hélas, ni dans leurs actes, ni dans leurs politiques, ni dans notre réalité.

Je ne demande qu’à être démentie, tout du moins aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, en vous voyant apporter votre soutien à cette très attendue proposition de loi de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – attendue par les intéressés, attendue par le mouvement associatif, lequel est extrêmement inquiet, attendue et espérée par nous-mêmes, sénateurs et sénatrices du groupe socialiste et républicain.

L’adoption du texte ne mettrait pas en péril, tant s’en faut, l’équilibre des finances publiques – je rappelle que seuls 23 % des allocataires de l’AAH sont en couple. Ce serait un geste de solidarité, de fraternité et un bon signal envers nos concitoyens les plus exposés et les plus fragiles, déjà durement frappés par leur situation de personnes handicapées. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, qui ne peuvent accepter que les politiques publiques se réduisent à la recherche d’équilibres budgétaires, voteront avec détermination et enthousiasme cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion