Intervention de Jocelyne Guidez

Réunion du 24 octobre 2018 à 14h30
Calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi n° 434, déposée par Laurence Cohen, qui tend à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés.

À titre préliminaire, je veux rappeler que cette aide financière a pour but de garantir un minimum de ressources. Elle est l’expression de la solidarité nationale. Cumulable avec d’éventuels dispositifs et pouvant compléter d’autres ressources, elle n’en demeure pas moins un minimum social à part entière.

Je veux m’arrêter quelques instants sur la genèse – elle a son importance – de cette initiative parlementaire. Celle-ci s’est exprimée au Sénat au travers d’une question de notre collègue Bernard Jomier, puis a pris forme à l’Assemblée nationale, d’abord avec une première proposition de loi, déposée le 17 janvier 2018 par Laurence Trastour-Isnart, membre du groupe Les Républicains, puis avec une seconde, déposée le 21 mars 2018 par Marie-George Buffet. Elle a fait d’ailleurs l’objet d’une adhésion transpartisane.

Le texte a été renvoyé en commission des affaires sociales, et non en commission spéciale, contrairement à ce qu’avait souhaité le groupe Gauche démocrate et républicaine. Je prends note de l’opposition formée par la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et je la regrette. En effet, j’estime qu’il eût été préférable d’aboutir à la constitution d’une telle commission. Celle-ci aurait permis à la représentation nationale d’envoyer un message politique clair à destination de nos concitoyens : celui d’une réelle prise en compte de leurs attentes.

Pour reprendre les mots d’André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, l’acceptation de cette demande aurait été « un geste fort », montrant « que les députés écoutent les attentes sociales et dépassent les clivages quand il faut prendre des mesures de justice et de bon sens ». De plus, elle aurait permis de mener une réflexion pluridisciplinaire, d’avoir une vision globale sur l’application de cette proposition et, probablement, d’envisager une réforme de plus grande ampleur sur le sujet. J’y reviendrai dans quelques instants.

En ce qui concerne nos débats, je veux avant tout saluer les travaux de notre collègue rapporteur. Nous rejoignons le constat qu’elle a dressé et sa présentation de la philosophie dans laquelle s’inscrit cette allocation.

Par ailleurs, ce texte rappelle, dans ses motifs, l’importance, pour l’allocataire, de voir son autonomie assurée. Le groupe Union Centriste, au nom duquel je m’exprime cet après-midi, demeure pleinement attentif et sensible à cette préoccupation.

Il me vient en mémoire cette belle conclusion formulée par Sylvain Tesson dans une œuvre récompensée en 2011 par un prix dont le nom résonne si particulièrement dans ces murs – je veux bien évidemment parler du prix Médicis Essai – : « L’autonomie pratique et matérielle ne semble pas une conquête moins noble que l’autonomie spirituelle et intellectuelle. »

Ainsi, comme l’ont précisé très justement ses auteurs, cette proposition de loi tend à améliorer la situation matérielle et morale de tout allocataire vivant en couple.

Surtout, l’allocation aux adultes handicapés a une portée sociale, mais aussi un impact familial, que tous les membres de cet hémicycle mesurent. En effet, son montant est dégressif dès lors que les revenus du conjoint s’élèvent à 1 126 euros par mois et son versement cesse à partir de 2 200 euros.

Les conséquences en termes d’unions sont avérées. C’est pourquoi l’article 1er du texte vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le versement de l’AAH quand celle-ci est versée en complément des autres ressources du bénéficiaire. L’article 2 le prolonge en visant, cette fois, le plafonnement de l’aide financière.

La baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, à 1, 8 au 1er janvier 2020, empêchera les allocataires vivant en couple de bénéficier pleinement de l’augmentation à 900 euros.

Certes, ce tour de passe-passe comptable est choquant et critiquable. Cependant, il convient de préciser que d’autres minima sociaux, en lien ou non avec le handicap, prennent en compte les ressources du foyer. C’est notamment le cas du revenu de solidarité active. D’autres prennent même en considération le montant du patrimoine, par le biais des relevés de compte, comme l’aide personnalisée au logement.

Par conséquent, si la question de la refonte se pose pour l’allocation aux adultes handicapés, elle demeure également légitime pour l’allocation supplémentaire d’invalidité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le revenu de solidarité outre-mer, l’allocation veuvage et tant d’autres encore.

Christophe Sirugue, dans un rapport remis au Gouvernement le 18 avril 2016, nous invite d’ailleurs à « clarifier l’architecture des minima sociaux » pour « renforcer son acceptabilité et fonder le consentement de tous à l’effort de solidarité ». Plus récemment, les rapports remis par Christine Cloarec-Le Nabour et Julien Damon, puis par Claire Pitollat et Mathieu Klein corroborent les besoins de rationalisation et de simplification des minima sociaux.

Notre rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, conduit actuellement une réflexion sur cette thématique au sein du groupe Union Centriste.

Mes chers collègues, vous comprendrez que, à elle seule, l’adoption de cette proposition de loi ne traiterait malheureusement qu’une partie du problème. Il serait préférable d’envisager une réforme d’ensemble, plus complète, sur les différentes allocations. Nous nous devons d’impulser une politique qui s’inscrirait dans ce sens. C’est l’essence même des travaux de la Haute Assemblée.

Enfin, nous ne pouvons pas ignorer l’aspect budgétaire du dispositif proposé.

Les auteurs de la proposition de loi estiment à 250 000 le nombre de bénéficiaires concernés, mais combien de temps ce chiffre sera-t-il valable ? Celui-ci est appelé à évoluer. Par corrélation, le budget finançant ces mesures le sera inéluctablement.

Comme l’indique la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, dans une publication rendue publique le 15 octobre dernier, le nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés a doublé depuis 1990, pour atteindre 1, 13 million de personnes à la fin de l’année 2017. Le contexte démographique et économique explique en partie cette considérable évolution.

À cet égard, la présentation du mécanisme de financement soumis à notre approbation ne semble pas suffisamment convaincante.

C’est pourquoi, même si nous soutenons l’esprit général du texte, nous appelons de nos vœux une réforme globale des minima sociaux, qui ne devra pas oublier la spécificité des personnes handicapées et qui pourrait réviser le mode de calcul de l’AAH. La solidarité devra être coordonnée avec les prestations de compensation.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste s’abstiendra.

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