Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 24 octobre 2018 à 14h30
Dette publique dette privée : héritage et nécessité — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la dette est en effet un lourd fardeau laissé en héritage aux générations qui nous suivent, mais elle n’est pas une fatalité.

La dette publique n’est pas, contrairement à ce que peuvent peut-être penser nos collègues du groupe CRCE, dictée par les marchés ou la technocratie de Bruxelles pour faire accepter des sacrifices au peuple. Elle est le résultat de l’inconséquence budgétaire des gouvernements qui se sont succédé depuis la fin des années soixante-dix.

Faire fi de la dette va à l’encontre du bon sens populaire. C’est la cigale de la fable de La Fontaine qui, n’ayant cessé de dépenser sans compter, se trouva fort dépourvue quand la crise fut venue…

Chaque Français comprend bien que l’on ne peut pas dépenser plus que ce que l’on gagne, sauf à emprunter pour investir. Or la part des dépenses d’investissement dans les dépenses publiques n’est aujourd’hui que de 6 %, ce qui signifie que la dette française ne crée pas de valeur, ou très peu.

La France dépense 280 milliards d’euros de plus que l’Allemagne et est depuis 2016 la championne d’Europe de la dépense publique… Ce niveau de dépense publique nous rend dépendants de notre niveau de recettes. Sans hausse de la fiscalité ou retour de la croissance, il n’est pas possible de diminuer notre déficit public et notre dette.

Or nous n’avons plus de marges de manœuvre sur les recettes, la France étant également championne d’Europe des prélèvements obligatoires, sans pour autant que son niveau de recettes couvre son niveau de dépenses. Le ras-le-bol fiscal obère toute hausse de fiscalité.

Il nous reste cependant une marge de manœuvre : mener une lutte impitoyable contre la fraude fiscale. De ce point de vue, nous partageons la préoccupation du groupe CRCE. Notre collègue Éric Bocquet a mis en évidence l’importance du phénomène dans ses différents rapports. Un dernier scandale est venu illustrer l’ampleur de la fraude fiscale : les États européens auraient été floués à hauteur de 55 milliards d’euros par an pendant quinze ans, la France de 3 milliards d’euros chaque année.

Mais la lutte contre la fraude fiscale ne suffit pas. Le levier des dépenses reste le seul sur lequel on puisse agir, sauf à attendre un retour hypothétique de la croissance, ce qui fut le pari raté de François Hollande.

Alors que tous nos voisins ont consenti des efforts pour faire des économies et diminuer ainsi leur endettement, tel n’est pas le cas de la France. Elle se targue d’être passée sous la barre des 3 % de déficit quand, en moyenne, les autres pays européens sont déjà à l’équilibre ou dégagent un excédent budgétaire. L’Allemagne, en excédent depuis 2014, présente un solde positif de 2, 4 % et réduit considérablement son endettement, qui a diminué de quatre points entre 2016 et 2017.

En 2017, la France est le seul pays européen ayant vu sa dette augmenter, avec le Luxembourg, dont le taux d’endettement n’est que de 23 %, quand le nôtre a dépassé 100 % l’an dernier, si l’on tient compte de l’intégration de la dette de SNCF Réseau dans les comptes publics.

Ce manque d’efforts n’est pas nouveau : soit les gouvernements ont laissé filer les déficits, soit ils ont subi des crises qui ont accéléré l’endettement. En 1980, le taux d’endettement de la France n’était que de 20 %. Il est passé à 56 % en 1995, puis à 67 % en 2005. La crise de 2008 nous a fait perdre 20 milliards d’euros de recettes publiques, et même 50 milliards d’euros si l’on intègre les mesures de relance que l’ensemble de nos collègues, sur toutes les travées, avaient réclamées. La dette est alors passée de 69 % à 83 % du PIB en une seule année. Depuis, un déficit trop élevé n’a jamais permis de la réduire.

Malgré des taux d’intérêt extrêmement bas actuellement, la charge de la dette représente le deuxième budget de l’État après celui de l’enseignement scolaire, avec plus de 41 milliards d’euros en 2018, soit plus du double du budget alloué à la sécurité de nos concitoyens. Elle absorbe, à elle seule, plus que ce que rapportent l’impôt sur les bénéfices des entreprises et les taxes sur les carburants !

Cependant, à court terme, l’inquiétude tient davantage encore à la dette privée, c’est-à-dire à la dynamique des crédits aux ménages et aux entreprises, qu’à l’endettement de l’État.

Depuis un an, la Banque de France s’inquiète de l’endettement des entreprises, qui ne cesse d’augmenter : en mars 2018, cette dette représentait près de 73 % du PIB, contre 60 % en moyenne dans la zone euro.

De la même façon, la dynamique de l’endettement des ménages, notamment celle des crédits immobiliers, est forte. Pour le Haut Conseil de stabilité financière, son niveau justifie une « vigilance renforcée ».

En cette période où les risques de crise systémique n’ont pas disparu, rappelons-nous que la crise des subprimes avait ruiné nombre d’Américains, les poussant à vendre leur maison. Car, à la différence de la dette publique, la dette privée sert à financer des biens. En cas de crise, l’emprunteur privé n’a d’autre solution que de les liquider.

L’excès de crédit à la consommation aux États-Unis, la bulle immobilière en Suède et au Canada, la bulle des crédits aux économies émergentes et la situation actuelle en Italie sont autant de risques économiques potentiels.

Il convient donc d’agir à tous les niveaux pour réduire l’endettement privé et public, avant qu’une nouvelle crise d’ampleur ne survienne et ne crée une spirale négative qui pourrait être mortifère. Ayons donc le courage, au regard de ces vérités, de réduire la dette, publique et privée, que supportent les Français et qui bride nos capacités d’investissement. Il y a urgence !

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