Monsieur le secrétaire d’État, je salue votre nomination à la tête d’un secrétariat d’État chargé du numérique auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics. J’y vois une structuration intelligente pour transformer durablement l’administration, qui vient prolonger la création d’un fonds de transformation de l’action publique.
À la demande du groupe CRCE, le Sénat est invité à s’exprimer sur la dette publique et la dette privée.
En 2017, la dette des administrations publiques a représenté 98, 5 % du PIB ; en 2018, elle devrait atteindre 98, 7 % du PIB. Cette dette publique correspond au montant que les Français souhaitent dépenser pour bénéficier d’un certain niveau de service public. Dit autrement, en l’absence de transferts internationaux, les dépenses publiques sont financées par l’impôt, c’est-à-dire les contribuables d’aujourd’hui, ou par l’emprunt public, c’est-à-dire les contribuables de demain. L’emprunt consiste en des titres de créance vendus par l’État à des investisseurs, donnant droit à des versements en capital et en intérêts.
Aujourd’hui, la charge des intérêts de la dette de l’État, inscrite au programme 117 de la mission « Engagements financiers de l’État », représente 42 milliards d’euros, contre 49 milliards d’euros en 2012. Depuis vingt ans, la France bénéficie de la baisse des taux d’intérêt, ce qui permet de stabiliser la charge de la dette.
Un niveau élevé de dette publique n’est pas propre à la France. Dans les pays développés, l’encours de la dette publique a quasiment doublé entre 2007 et 2017, passant de 71 % à 105 % du PIB. Cette forte évolution consécutive à la crise de 2007 a joué le rôle de stabilisateur macroéconomique, la relance budgétaire ayant été concertée entre les pays du G20 et efficace.
Cela doit nous rappeler une évidence en matière de politique économique : il faut résorber les déficits en haut de cycle. En 2007, le Gouvernement a décidé une baisse ciblée de la fiscalité sans diminution des dépenses publiques ; la dette publique a alors progressé pour atteindre 68 % en 2008, avec un déficit proche de 3 %. Autrement dit, la France a les mains liées pour faire face au choc qui arrive.
Les risques liés à un niveau de dette publique élevé sont bien définis par les néoclassiques. Une étude récente du CEPR, le Centre for Economic Policy Research, basé à Londres, met en évidence une corrélation négative entre la dette publique et l’investissement des entreprises : un niveau élevé de dette publique est associé à un plus faible investissement privé.
Depuis la crise, le montant de la dette mondiale, publique et privée, a progressé, sous l’effet de la contraction de l’activité et de pressions déflationnistes. Je l’ai indiqué, la dette publique française est passée de 66 % du PIB en 2007 à 98, 5 % en 2017. Concernant la dette privée, l’endettement des entreprises et des ménages représente 130 % du PIB en France. Ce ratio est plus élevé que dans le reste de la zone euro ; en Allemagne, notamment, il est de 90 %. Il est en revanche inférieur à ce qu’il est au Royaume-Uni ou aux États-Unis, où il dépasse 150 %. L’endettement des ménages français est au niveau moyen de la zone euro. La question du niveau d’endettement ne doit être posée qu’au regard des dépenses financées ; les entreprises et les ménages ont pu profiter des taux extrêmement bas pour financer des investissements.
Pour autant, des motifs d’inquiétude existent. Ainsi, dans son bulletin trimestriel de septembre dernier, la Banque des règlements internationaux met en lumière les risques liés à des conditions faibles et à des bilans de banques anormalement élevés. La situation financière doit retenir notre attention. Parmi les points à surveiller figurent les tensions sur le commerce international et la dépréciation de la monnaie chinoise, qui a conduit la banque centrale chinoise à relâcher les conditions de financement de l’économie, laquelle repose déjà sur une dette abyssale.
Je conclurai en rappelant deux évidences : la nécessité de diminuer l’endettement public et celle de mettre en place une surveillance accrue au niveau européen.
Sur le premier point, le Gouvernement et la majorité présidentielle se sont engagés sur une trajectoire de réduction des dépenses publiques. Pour la première fois depuis vingt ans, le déficit sera inférieur à 3 % du PIB trois années de suite. Cela traduit un effort sur la dépense publique, dont l’augmentation est nulle en volume en 2018, avec une baisse de 0, 8 % des dépenses de l’État. Bien que cela paraisse difficile à croire, un tel effort est inédit. C’est la première fois que la dépense est sous 1 % trois fois de suite et c’est la plus grande baisse de la dépense publique depuis cinq quinquennats. Le niveau de consolidation budgétaire est, me semble-t-il, le bon, au regard des études économiques disponibles, pour ne pas faire chuter la consommation privée, alors que le niveau de la dette privée est élevé.
Sur le second point, la complexité des crises rend nécessaire une surveillance accrue, notamment au niveau européen. La crise grecque était liée à l’endettement public : le déficit de près de 13 % constaté à la fin de 2009 posait la question de la soutenabilité des finances publiques de ce pays. La crise espagnole était, quant à elle, financière et immobilière : la baisse des taux d’intérêt a favorisé des investissements non productifs et la formation d’une bulle immobilière. Face à cela, la conduite de la politique économique espagnole n’a pas été équilibrée.
Certes, depuis la crise, la surveillance budgétaire en Europe a été renforcée, avec le six-pack, le two-pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui encadre fortement les finances publiques des États membres. Mais les efforts de convergence des marchés européens doivent être accentués.
Par ailleurs, pour mieux accompagner les chocs et les bas de cycle, une assurance fédérale pourrait être mise en place. Cela permettrait d’envoyer un signe fort aux populistes. Pensons par exemple à un système européen d’assurance chômage qui reposerait sur un préalable : une harmonisation minimale des marchés du travail.