Intervention de Jocelyne Guidez

Réunion du 25 octobre 2018 à 15h00
Reconnaissance des proches aidants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, toutes les initiatives parlementaires relatives aux droits des aidants convergent depuis plusieurs mois. Elles visent à reconnaître l’engagement d’une population qui assume à elle seule une action médico-sociale invisible, venant en déduction de la charge de l’État.

Ces démarches sont à chaque fois transpartisanes : la liste des cosignataires de cette proposition de loi en est un nouveau témoignage.

Le 6 octobre dernier, la journée nationale des aidants permettait aux associations d’exprimer une nouvelle fois un certain nombre d’attentes. Ce texte y répondant, notre vote est attendu. Nul doute qu’il recevra un soutien large et même – je l’espère – unanime.

Par cette initiative, nous souhaitons relever le défi de la prise en compte des aidants par la Nation, dans sa dimension tant publique que privée.

Lors de mes travaux préparatoires, une question s’est imposée : quel soutien pour les aidants ? La réponse est saisissante : qu’il soit associatif ou étatique, ce soutien est présent, mais tellement dispersé qu’il en devient inefficient et quasiment indétectable.

Les dispositifs d’aide et d’information manquent de rationalité. L’État ne tient malheureusement pas sa place. Son action manque de coordination et de proactivité envers ceux qui lui font pourtant économiser jusqu’à 16 milliards d’euros par an.

Les aidants sont susceptibles d’entrer dans un isolement profond, voire une détresse dangereuse. Nous partageons tous cette responsabilité. J’ai reçu de nombreux témoignages, notamment celui d’une mère dont l’enfant est atteinte d’une maladie rare. Cette enfant qui ne dort presque jamais, ne s’exprime qu’en criant et s’agite en permanence ne peut pas être prise en charge, tant sa pathologie est lourde, exigeant une assistance de chaque instant. N’en pouvant plus, isolée bien qu’épaulée par son conjoint, sa mère a failli. Elle a attenté à la vie de sa fille en lui administrant trop de médicaments. Aujourd’hui, la personne la plus experte pour s’occuper de cette enfant est séparée d’elle. La famille est détruite en raison du manque de soutien et de l’isolement créé par cette situation.

Je ne peux m’empêcher de penser à ma sœur et à mon beau-frère, qui ont élevé leur fille Léa, atteinte du syndrome de Rett : quel n’a pas été leur épuisement physique, mais aussi psychologique !

Ces vies sont celles de nombreux Français. Malheureusement, nous avons tous, autour de nous, un exemple de ce type. Nous ne pouvons pas ignorer ces situations. La question est donc simple : qui doit s’occuper des aidants ? La réponse est : nous, Parlement et Gouvernement, maintenant ! La réponse est : la société. La réponse est : chacun d’entre nous.

Étant donné la solidarité qu’implique notre contrat social, l’engagement des aidants ne devrait pas être un « travail de l’ombre » dont l’État se satisfait.

Il eût été facile d’attendre. Il eût été facile de laisser le Gouvernement cheminer seul sur ce sujet. Il eût été aisé de s’en remettre à lui pour trouver les moyens de financer ces actions. Mais les mesures innovantes que nous proposons ont une valeur thérapeutique pour celles et ceux que l’on oublie, qui souffrent, qui s’isolent, et qui parfois même décèdent avant la personne qu’ils aident.

Les auditions que j’ai organisées en vue de rédiger ce texte m’ont totalement convaincue. Les solutions que j’apporte ont été discutées avec les différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des associations, des employeurs, de l’administration centrale, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, ou des parlementaires. Je ne doute pas que le Gouvernement serait arrivé, et arrivera, aux mêmes conclusions.

Je salue l’excellent travail de notre rapporteur, M. Olivier Henno. Il a parachevé l’ouvrage que j’ai tissé au cours des derniers mois, en accordant une pleine et entière considération aux idées qui venaient de toutes les travées, qui germaient dans le milieu associatif, ou encore en prenant en compte les remarques pertinentes de l’administration centrale.

C’est donc après un travail collaboratif et approfondi que la commission a modifié utilement certaines mesures, tout en partageant les objectifs que je m’étais fixés.

Ainsi, l’indemnisation du congé de proche aidant, financée par un fonds privé, ne crée pas de charges supplémentaires ou nouvelles pour l’État.

Madame la secrétaire d’État, nous sommes convaincus que notre travail répond à une demande, à une urgence, à un souhait, et même, comme le précisait Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, devant l’Assemblée nationale il y a quelques mois, à un enjeu social et sociétal majeur.

Pour répondre à cet enjeu, nous proposons d’assurer l’identification de l’aidant et de renforcer sa reconnaissance par le corps médical. Il s’agit de le détecter pour l’informer rapidement de ses droits, pour le mettre en contact avec les bons interlocuteurs et en lien avec les réseaux associatifs. Une plateforme internet lui proposera, sur la base d’un court questionnaire, un parcours personnalisé.

En outre, notre rapporteur a travaillé avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, pour rendre le dispositif plus efficient et économe. Désormais, le nom de l’aidant pourra figurer sur la carte Vitale de l’aidé ; nous proposerons, par voie d’amendement, de prévoir la réciproque.

Les salariés deviennent parfois des aidants, et l’on ne saurait considérer qu’il s’agit là d’un choix de leur part. C’est pourquoi les branches professionnelles devront étudier les possibilités de coordination et de souplesse entre la vie personnelle de l’aidant et sa vie professionnelle. Cette disposition, soutenue par Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, a été adoptée lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais le Conseil constitutionnel l’a censurée, considérant qu’elle constituait un cavalier législatif. Ici, elle a toute sa place.

Pour permettre l’indemnisation du congé de proche aidant, notre solution est novatrice. L’État ne déboursera pas un centime – une fois n’est pas coutume –, et l’exécutif devrait s’en saisir ! Notons bien qu’il s’agit non pas d’une professionnalisation de l’aidant, mais d’une compensation de la perte de salaire qu’il subit en prenant ce congé. Ce dispositif est parfaitement expliqué dans le rapport. Accepter le principe de la mise en place d’une surcote pour certains contrats d’assurance est sans aucun doute un choix politique. Pour ma part, je considère que, le taux étant faible, il peut totalement être assumé, à l’instar de l’éco-participation, par exemple.

Madame la secrétaire d’État, je ne souhaite pas que nous adoptions un simple texte d’affichage. J’ai le désir que nos travaux aboutissent à une rédaction compatible avec l’agenda du Gouvernement, en particulier pour l’harmonisation des droits sociaux des aidants.

Bien sûr, je regretterais que le dispositif relatif aux retraites soit supprimé. Toutefois, dans un esprit d’ouverture, je pourrais m’y résoudre, si vous me le demandiez dans la perspective de la très prochaine réforme des retraites, en nous garantissant votre soutien à l’Assemblée nationale. Je n’en rappellerai pas moins ce dispositif, le cas échéant.

À la demande du Président de la République, les travaux consacrés à la dépendance se sont ouverts avec le chantier « grand âge et autonomie » lancé le 1er octobre dernier. Un atelier aborde la question des aidants. Nos propositions ne vident certainement pas le sujet, notamment du fait de l’application de l’article 40 et des échanges qui doivent avoir lieu entre ministères. Cela étant, une fois déchargé des sujets traités par le présent texte, cet atelier dédié aux aidants pourrait se consacrer à l’examen en profondeur des problèmes non débattus et pour lesquels aucune solution consensuelle n’existe à ce stade.

Je pense notamment à la mobilisation du jeune aidant auprès de son parent, qui entraîne souvent des difficultés scolaires, voire le retrait de l’enfant du foyer, à la possibilité d’apporter un suivi médico-social aux aidants ou encore à la faculté, pour les aidants, de cumuler des droits à la formation : on sait que le retour à l’emploi est extrêmement compliqué pour ce public. Nous serons attentifs à l’ensemble de ces questions.

Mais, pour l’heure, nous sommes à l’automne 2018. Des problèmes sont depuis longtemps identifiés ; ils l’ont été avant l’inscription de cette thématique parmi les engagements de campagne du Président de la République. Les propositions du Gouvernement n’arriveront, dans le meilleur des cas, qu’à la fin de 2019. Or ce sujet connu de longue date exige une réponse ; il faut agir dès maintenant.

Les solutions connues aux demandes identifiées ne changeront pas d’ici à 2019. Marchons ensemble : les proches aidants ne sont pas un enjeu politicien. Que nous soyons de gauche, de droite, d’En Marche, nous devons tous nous retrouver. Pourquoi attendre et remettre le chantier à plus tard ?

J’invite donc le Gouvernement à se saisir de ce véhicule législatif, à poursuivre ses travaux pour en consolider et enrichir le dispositif par la suite. Attendre, c’est faire peser un poids chaque jour plus insupportable sur les épaules des aidants.

Madame la secrétaire d’État, voilà plusieurs mois que l’on joue, au Parlement, une douce et tenace mélodie au sujet des aidants, de leurs droits et des aides qui peuvent leur être apportées. Aujourd’hui, nous avons un devoir de résultat. Nous avons même un devoir humain : celui d’engager une action, de sécuriser ceux qui donnent gratuitement de leur temps, qui donnent gratuitement une part de leur vie.

Le dispositif de cette proposition de loi repose sur le bon sens et l’innovation. J’ajouterai qu’il y a surtout des réponses, mais que, plus encore, il y a l’État ; l’État qui accompagne, l’État qui n’ignore pas, l’État qui soutient. Cette proposition de loi contient le minimum de ce que nous devons faire pour les proches aidants ; eux qui font tant, sans compter, au risque parfois d’y perdre leur vie et leur identité, tandis que nous nous interrogeons depuis trop longtemps sur le coût potentiel des mesures à prendre.

J’espère pouvoir vous léguer ces mesures dans quelques instants, madame la secrétaire d’État, et je vous prie de les soutenir avec l’émotion, la bienveillance, la technicité et le pragmatisme que l’on vous connaît.

N’oublions pas que l’on juge un État à sa manière de traiter les anciens et, a fortiori, les personnes handicapées ou dépendantes. Aujourd’hui, les aidants supportent une partie de la charge qui incombe à l’État. Nous avons une dette envers eux. C’est donc avec la plus profonde conviction que j’apporterai mon soutien au texte tel que présenté par M. le rapporteur.

Mes chers collègues, je vous invite à suivre cette voie, et j’espère que l’Assemblée nationale pourra prochainement se prononcer sur ce texte, pour apporter enfin des réponses à une population sans laquelle la France ne serait pas à la hauteur de ses prétentions !

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