Intervention de Olivier Henno

Réunion du 25 octobre 2018 à 15h00
Reconnaissance des proches aidants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Olivier HennoOlivier Henno :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen d’un texte dont la Haute Assemblée a toutes les raisons de s’enorgueillir. Je salue la conviction et la foi avec laquelle notre collègue Jocelyne Guidez vient de défendre sa proposition de loi, qui n’est nullement anecdotique. Honneur à elle de s’être emparée de ce beau et grand sujet des aidants, qui n’a rien d’un thème mineur qu’aborderait une sénatrice fraîchement élue.

Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas : la thématique des aidants est de plus en plus connue et reconnue, un récent sondage faisant apparaître que 40 % des personnes interrogées déclarent en avoir entendu parler. Ce chiffre marque une hausse de quinze points en quatre ans. En outre, plus d’un quart des personnes sondées se sentent concernées par cette question des aidants, directement ou au travers de l’un de leurs proches : c’est cinq points de plus par rapport à 2015.

Les aidants sont eux-mêmes si peu aidés qu’ils sont parfois en voie d’épuisement. Dès lors, la santé des aidants est devenue un véritable enjeu de santé publique. À preuve, 31 % d’entre eux affirment avoir tendance à délaisser leur propre santé à cause de leur rôle d’aidant. Ils sont notamment sujets au stress, à des perturbations du sommeil ou encore à des douleurs physiques.

Cette mauvaise santé des aidants interpelle encore trop peu le personnel soignant ou les équipes médicales. Ainsi, seuls 13 % des aidants affirment être interrogés sur leur santé quand ils accompagnent leur proche aidé à l’hôpital.

Cela montre de manière flagrante qu’une sensibilisation reste à mener au sujet des aidants. Le tableau peut sembler noir, mais, je le dis avec gravité, telle est la réalité vécue par nombre de Françaises et de Français.

À bien y réfléchir, qui ne connaît un proche, un ami ou une amie se trouvant dans cette situation ? Je pense, parmi d’innombrables exemples, à un fils de cinquante-neuf ans qui, pour s’occuper de sa vieille mère, a compromis sa vie professionnelle et perdu ses droits sociaux ; aux parents d’un enfant polyhandicapé qui voient passer le temps avec angoisse, se demandant ce que deviendra leur fils lorsqu’ils seront partis ; à un mari s’occupant de sa femme touchée par la maladie d’Alzheimer, et qui redoute plus que tout son départ, pourtant inéluctable, en EHPAD.

Devant une telle urgence, fallait-il attendre une concertation ou les conclusions des travaux de l’atelier consacré aux proches aidants ? Fallait-il attendre le projet de loi sur la dépendance ? Sincèrement, je ne le pense pas. Au contraire, c’est à mon sens le rôle du Parlement, de la représentation nationale, de s’emparer de ce thème.

Il me paraît important de décrire le contexte dans lequel s’est déroulé l’examen de cette proposition de loi, tant il est, me semble-t-il, révélateur de certaines fragilités inhérentes à nos institutions.

Voilà un texte qui s’inscrit dans le droit fil d’un engagement parlementaire en faveur des aidants qui ne se dément pas depuis plus de deux ans. Directement inspiré du rapport de notre collègue Jocelyne Guidez sur la proposition de loi ouvrant la possibilité de faire don de jours de repos non pris à un collègue proche aidant, ce texte se réclame également de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Pierre Dharréville et de celle qui a été très récemment déposée au Sénat par nos collègues du groupe CRCE.

De tous les horizons politiques de nos deux assemblées, c’est un mouvement spontané et uniforme qui émerge progressivement pour se saisir d’une question urgente, n’ayant été jusqu’à présent qu’imparfaitement et indirectement traitée.

J’ignore quel sera l’avenir de ce texte – je souhaite qu’il prospère ! –, mais je sais que le Sénat se grandit en s’emparant de la question des proches aidants. Encore une fois, le sujet est trop grave pour que s’élève un conflit de paternité entre le Parlement et le Gouvernement. « Quand un bébé est beau, il ne manque pas de pères », disait un ancien député du Nord, qui avait le sens de la formule et de l’humour. Peu importe qui joue un rôle déterminant pour faire progresser la solidarité publique envers les aidants, l’essentiel est qu’elle progresse.

C’est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas la timidité du Gouvernement à l’égard de ce texte. Les questions d’opportunité calendaire me paraissent bien accessoires. À l’évidence, nos intentions sont partagées, mais nous sommes poliment invités par le Gouvernement à les contenir. Faut-il attendre que la réforme de la prise en charge de la dépendance, la réforme des retraites et l’évolution de l’accompagnement des personnes handicapées intègrent un volet relatif aux aidants ? C’est bien ce que le Gouvernement semble nous demander, mais, là encore, je ne suis pas d’accord.

L’une des causes principales, à mon sens, des lacunes profondes dont pâtissent les droits sociaux des aidants est précisément que les grands textes sociaux n’en traitent que de manière incidente, subsidiaire et, surtout, disparate. Entre les retraites, la dépendance, l’évolution quinquennale de l’accompagnement du handicap et la stratégie nationale pour l’autisme, ce sont pas moins de quatre grands chantiers dont la feuille de route prévoit un volet relatif aux aidants. Quelle avancée peut-on espérer, en matière de droits des aidants, d’une approche aussi dispersée ? Faute de vision d’ensemble et de coordination, elle ne manquera pas de rater sa cible. Le sujet mérite que nous nous en saisissions pleinement et globalement.

Venons-en au texte lui-même.

Le très grand nombre de personnes concernées par cette proposition de loi justifie à lui seul que nous considérions la situation des proches aidants comme un sujet à part entière. Les chiffres sont désormais connus : plus de 8 millions de personnes se consacrent quotidiennement à l’accompagnement d’un proche, dont la perte d’autonomie, qu’elle soit liée à l’âge ou à un handicap, rend nécessaires une présence et une surveillance continues. Bien qu’aucune d’entre elles ne réclame la création d’un statut, d’un droit à part, elles sortent peu à peu de la discrétion à laquelle leur mission et le faible soutien des pouvoirs publics les contraignent souvent.

Mes chers collègues, nous savons qu’il n’est plus possible de considérer l’accompagnement du proche aidé comme une simple extension de la solidarité familiale ; c’est une mission qui se situe entre le métier et le devoir, sans se confondre avec aucun des deux. C’est pourquoi il est troublant que cette mission n’ait jamais été prise en compte par les politiques de solidarité nationale, dont elle relève pourtant.

Ce texte apporte un début de réponse. Il embrasse très largement l’ensemble des droits sociaux des aidants et vise à assurer à ces derniers une sécurité financière qui, pour l’heure, n’existe que pour les personnes interrompant leur activité professionnelle afin d’assister un proche en fin de vie ou un enfant gravement malade.

Reconnaissons que la création du congé de proche aidant par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement est une belle initiative. Malheureusement, ce congé restera peu sollicité tant qu’il ne sera pas indemnisé, comme le sont le congé de présence parentale ou le congé de solidarité familiale. C’est pourquoi nous avons voulu instaurer l’indemnisation du congé de proche aidant : c’est le cœur de notre proposition de loi. De plus, ce texte corrige plusieurs iniquités de droits entre proches aidants d’une personne âgée et proches aidants d’une personne handicapée. Enfin, il prévoit une amélioration substantielle des modalités d’information de l’aidant et le renforcement de sa place dans le parcours de la personne qu’il accompagne.

Pour conclure, je me félicite de ce que notre commission des affaires sociales ait salué l’initiative de notre collègue et adopté un texte équilibré et abouti. Mes chers collègues, ce sujet fait consensus dans l’opinion ; il n’est plus temps d’attendre. La cause des aidants est grande parce qu’elle a sa part d’humanité et de solidarité. Les proches aidants nous parlent et nous rappellent, à la suite de Jacques Delors, que, en matière de solidarité, ce sont souvent les plus fragiles qui sont les plus grands.

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