Intervention de Christelle Dubos

Réunion du 25 octobre 2018 à 15h00
Reconnaissance des proches aidants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Christelle Dubos :

Je m’exprimerai maintenant sur chacun des articles de la proposition de loi, que nous avons attentivement étudiée.

Certains articles me semblent en voie d’être finalisés ; d’autres doivent encore être, comme je l’ai dit, retravaillés.

L’article 1er instaure une négociation collective obligatoire régulière au niveau de la branche sur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants. Le Gouvernement soutient le dispositif proposé.

Aujourd’hui, près de la moitié des aidants, soit plus de 4 millions de personnes, occupent un emploi. Cela représente près d’un salarié sur cinq. À l’avenir, ces chiffres augmenteront en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie. En 2030, près d’un salarié sur quatre pourrait être proche aidant.

La question des salariés proches aidants représente donc un enjeu majeur à un double titre.

Tout d’abord, les aidants doivent pouvoir concilier l’aide qu’ils apportent à un ou plusieurs de leurs proches avec leur activité professionnelle. Or toutes les enquêtes le démontrent : être aidant peut emporter de nombreuses conséquences négatives sur la santé, la vie sociale, mais aussi la vie privée et la vie professionnelle. Stress, fatigue physique et/ou morale, surmenage : les salariés aidants sont davantage exposés que les autres aux arrêts maladie, mais aussi aux renoncements professionnels, à la réduction ou à la cessation totale d’activité, autant de situations ayant des répercussions immédiates sur leur carrière, ainsi que, de manière plus insidieuse, sur le long terme, leurs droits à la retraite se trouvant réduits.

Ensuite, pour les entreprises, l’enjeu des salariés proches aidants s’impose de plus en plus clairement. Cela soulève des questions en termes d’organisation et de management, mais aussi des questions financières.

Il s’agit donc d’une question de responsabilité sociale et sociétale qui prend et prendra de plus en plus d’importance. Nous devons sensibiliser nos entreprises et les accompagner dans une démarche constructive, qui permette d’apporter des solutions adaptées aux besoins de leurs salariés proches aidants, et ce dans l’intérêt de tous, employés comme employeurs.

L’article 1er, tel que modifié par la commission, reprend désormais le cadre de l’article 33 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif. En soumettant expressément et spécifiquement la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des salariés aidants à la négociation obligatoire régulière de branche, il donne une visibilité sans équivoque à cette question et va dans le bon sens.

L’article 2 prévoit à la fois un assouplissement des conditions du congé de proche aidant, auquel je suis favorable, et une indemnisation de celui-ci par un fonds spécifique, financé par une surprime assise sur certains contrats d’assurance, mesure sur laquelle le Gouvernement est plus réservé. Ses réserves portent non pas sur le principe de l’indemnisation, bien sûr, mais sur ses modalités.

Créé par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, le dispositif du congé de proche aidant a permis de soutenir la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle pour des millions de proches aidants qui travaillent. Néanmoins, ce congé est, dans les faits, très peu sollicité, et la raison le plus souvent invoquée pour expliquer ce faible recours est l’absence de compensation financière.

C’est pourquoi la création d’une indemnisation du congé de proche aidant est régulièrement évoquée afin de rendre plus effectif ce dispositif. Il s’agit d’une demande forte des aidants. C’est aussi une recommandation formulée par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, le HCFEA, dans son rapport du 12 décembre 2017 sur la prise en charge des personnes en perte d’autonomie ou, plus récemment, par Mme Dominique Gillot, dans son rapport du 19 juin dernier.

Je ne peux que partager l’objectif de créer de meilleures conditions pour permettre aux aidants qui travaillent de s’occuper de leurs proches sans que cela porte préjudice à leur carrière ou à leur situation financière. Je pense d’ailleurs que le congé de proche aidant n’est pas la seule solution à privilégier et que les entreprises doivent mieux prendre en compte la situation de leurs salariés aidants. Certaines le font déjà par des aménagements d’horaires, des appuis psychologiques ou administratifs. C’est l’objet de l’article 1er que de prévoir des discussions sur ce sujet dans le cadre du dialogue social.

Cette discussion globale sur la conciliation entre vie professionnelle et aide à un proche est au cœur des travaux de l’atelier consacré aux aidants de la concertation « grand âge et autonomie », qui doit nous proposer des solutions globales. Je l’ai dit initialement, le Gouvernement préfère adopter un paquet de mesures législatives après cette concertation.

Par ailleurs, les modalités de financement que vous proposez soulèvent de nombreuses interrogations. Le texte prévoit une taxe de 1, 7 % assise sur certains contrats d’assurance. Il s’agit d’une piste de financement nouvelle, qui vise à préserver les finances publiques, mais elle appelle plusieurs observations.

Tout d’abord, si le congé de proche aidant devait être indemnisé, la question des sources de son financement, public ou privé, devrait être discutée dans la perspective plus globale des travaux sur le financement de la dépendance menés dans le cadre de la concertation. La prise en charge de nos aînés en perte d’autonomie et l’accompagnement, y compris financier, des proches aidants constituent un enjeu de société : il s’agit de faire la part entre la solidarité familiale et la solidarité nationale. Cela doit faire l’objet d’un débat national d’ampleur. Il faut mettre sur la table l’ensemble des options possibles, évaluer les dépenses prioritaires et les ressources disponibles, avant d’aboutir à la solution la plus pertinente et soutenable sur le long terme.

La taxe de 1, 7 % assise sur certains contrats d’assurance permettrait certainement de garantir des recettes dynamiques, à hauteur de près de 300 millions d’euros par an, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi. Outre un risque de thésaurisation inutile, ce haut niveau de taxation ne peut que faire peser la menace d’une répercussion sur nos concitoyens, via une augmentation des tarifs des contrats. À cet égard, je rappelle que, dans le cadre de la réforme « 100 % santé » introduite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, le Gouvernement a été extrêmement vigilant, au cours des négociations avec les assureurs, à ce qu’il n’y ait aucune augmentation des tarifs des contrats d’assurance complémentaire santé. Le Gouvernement reste attaché à ce principe, et le dispositif proposé présente un risque fort en la matière.

En outre, la gouvernance du fonds telle que prévue par le texte n’apparaît pas pertinente. En particulier, l’intérêt de constituer un conseil de gestion, composé de représentants des employeurs, des salariés et de l’État, n’est pas démontré, dans la mesure où ce conseil n’aura en réalité aucune compétence pour piloter réellement le fonds, dont les règles et les modalités d’indemnisation sont fixées par la loi. De fait, cette disposition est encore entourée de trop d’incertitudes pour que je puisse y être favorable en l’état.

Concernant l’article 3 visant à harmoniser le dispositif de majoration de durée d’assurance retraite, en ouvrant aux aidants de personnes âgées le bénéfice du dispositif, actuellement applicable aux seuls aidants de personnes handicapées, le Gouvernement est aussi sur une position d’attente.

Je salue bien sûr l’effort d’harmonisation des règles proposé en vue d’ouvrir les mêmes droits à tous les aidants sans distinction, que la dépendance de la personne accompagnée soit liée au handicap, à l’âge ou à la maladie. Cependant, vous le savez, le Gouvernement a confié à Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, la préparation de la mise en place d’un nouveau système universel de retraite, la coordination des travaux et la concertation avec les principaux acteurs concernés. Le Sénat a été associé à ces travaux, qui doivent aboutir à la présentation d’un projet de loi en 2019. Lors du colloque sur l’avenir des retraites organisé ici même le 19 avril dernier, immédiatement après le lancement officiel de la mission, M. Delevoye vous a indiqué les objectifs, le calendrier et la méthode de concertation et de travail retenus. MM. les sénateurs Jean-Marie Vanlerenberghe et René-Paul Savary se sont rendus avec M. Delevoye dans trois pays européens pour observer les « conditions de réussite » des réformes engagées dans les années quatre-vingt-dix. Enfin, hier matin, la commission des affaires sociales a auditionné M. le haut-commissaire.

Une deuxième phase de concertation avec les partenaires sociaux s’est ouverte le 22 octobre dernier. Son calendrier prévoit explicitement des discussions sur les nouvelles solidarités aujourd’hui nécessaires, en particulier à l’égard des aidants.

Dans ce contexte, le Gouvernement considère qu’il est prématuré de modifier les règles en matière de retraites, même si nous devons garder en tête la prise en compte de la question des aidants et adopter une approche harmonisée de leur traitement, indépendamment du profil de la personne aidée.

L’article 4 répond au même objectif que l’article 3, puisqu’il traite lui aussi des droits à retraite, mais au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, l’AVPF, selon la même volonté d’harmonisation. Aussi ai-je la même position réservée, dans la perspective de la future réforme.

L’article 5 ouvre aux agents publics civils l’expérimentation, prévue à l’article 53 de la loi ESSOC, de la dérogation au droit du travail dans le cadre de prestations de « relayage ». J’y suis favorable, mais il ne me semble pas nécessaire d’en passer par la loi.

L’expérimentation du « relayage », inspirée de l’exemple du « baluchonnage » québécois, a en effet été mise en place par la loi ESSOC, adoptée le 10 août 2018. Il s’agit de répondre au besoin de relayer les aidants dont la charge est la plus lourde, en raison du besoin de présence ou de soins constants à leur domicile requis par la situation de la personne aidée. L’article 53 de cette loi permet à titre expérimental, dans plusieurs départements volontaires qui seront déterminés après appel à candidatures, aux établissements et services d’aide de recourir à des salariés volontaires pour assurer des prestations de suppléance de l’aidant à domicile par un seul et même personnel, sur une période pouvant aller jusqu’à six jours consécutifs. Pour ce faire, il a fallu prévoir des dérogations au droit du travail, qui ne concernent pas les agents publics, puisque les règles relatives à leur temps de travail relèvent non pas du domaine législatif, mais du pouvoir réglementaire autonome.

J’accueille donc avec grand intérêt votre proposition, qui permettrait d’élargir le cadre de l’expérimentation de manière harmonisée aux secteurs public et privé, mais il n’y a pas besoin de la loi pour cela. Il me paraît par ailleurs tout de même nécessaire d’avoir des échanges avec le ministre chargé de la fonction publique, d’une part, et avec les représentants de chaque fonction publique, en particulier des fonctions publiques territoriale et hospitalière, d’autre part.

L’article 6, tel que revu par la commission des affaires sociales, prévoit l’enregistrement sur la carte Vitale de la personne aidée du nom de l’aidant et/ou de la personne de confiance. Son dispositif incite à la déclaration d’une personne de confiance, automatise l’envoi d’un guide de l’aidant et préconise la mise en place d’un portail web d’information et d’orientation à destination des aidants. J’ai aussi quelques réserves sur cet article.

La question de l’identification des aidants et de leur accompagnement est importante. Il faut en effet pouvoir repérer les fragilités des aidants, prévenir les conséquences de la fatigue physique ou psychologique liée à l’activité d’aidant. Cet article dégage des pistes en vue d’identifier les aidants et de pouvoir mieux les accompagner. Je partage cet objectif, et nous devons travailler à cela. Mais, là encore, c’est tout l’enjeu des travaux de l’atelier de la concertation consacré aux aidants.

Sur un autre point soulevé par cet article, le Gouvernement partage bien évidemment l’objectif de renforcer l’information des aidants. Des efforts ont été réalisés sur ce point. La loi du 28 décembre 2015 a consacré et renforcé le droit à l’information des personnes âgées, de leur famille et de leurs proches aidants, pour améliorer l’accès aux droits et aux aides.

Ainsi, au niveau local, les départements, au travers du réseau des centres locaux d’information et de coordination, les CLIC, et d’autres structures, telles que les centres communaux d’action sociale, les CCAS, ou les centres intercommunaux d’action sociale, les CIAS, assurent la mise en œuvre de ces droits. Au niveau national, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, a été chargée de développer un portail d’information, www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, qui comporte un volet spécifique sur l’information destinée aux aidants.

Certes, ce portail ne s’adresse pas à tous les aidants. C’est pourquoi, à partir de cette expérimentation, le Gouvernement travaille à la création d’un portail national pour améliorer l’information des personnes handicapées et de leurs familles, tel qu’évoqué dans la proposition 7 du rapport du comité Action publique 2022 de juin 2018. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de passer par la loi pour créer ce portail.

La simplification des démarches et des dispositifs que nous devons mener représente également un enjeu fort. C’est pourquoi le Gouvernement a commandité un rapport sur la simplification des démarches pour les personnes handicapées, que le député Adrien Taquet et Jean-François Serres, membre du CESE, ont remis au printemps dernier. Nous en sommes aujourd’hui à la mise en œuvre de ses recommandations. La simplification des parcours et des démarches, la lisibilité des dispositifs seront aussi parmi les enjeux de la concertation « grand âge et autonomie » lancée le 1er octobre dernier.

Enfin, la pertinence ou le caractère opérationnel des autres dispositions de l’article 6 soulèvent quelques interrogations, même si les amendements de la commission les ont améliorées. Par exemple, dès lors que l’information peut être disponible en ligne, se posent les questions de la pertinence de l’envoi systématique d’un « guide de l’aidant » et du coût d’une telle démarche.

Pour toutes ces raisons, et même si les questions abordées devront trouver des réponses dans le cadre des ateliers de la concertation, le Gouvernement ne peut soutenir les dispositions prévues par cet article.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir approfondi tous les sujets traités dans cette proposition de loi. J’ai pris pour cela le temps qu’il fallait.

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