Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, d’après le baromètre 2017 des aidants réalisé par la Fondation APRIL, le phénomène de l’« aidance » toucherait près de 11 millions de Françaises et de Français. Le portrait type de l’aidant est majoritairement celui de femmes, qui travaillent et qui, bien souvent, n’ont pas conscience d’être des aidants, du fait du manque d’information et, il faut bien l’admettre, de reconnaissance de l’assistance quotidienne apportée aux personnes en perte d’autonomie, en incapacité ou malades.
Les aidants représentent une véritable alternative solidaire spontanée face aux carences de notre système d’accompagnement des personnes dépendantes. Le service gratuit rendu par ces personnes est gigantesque pour la société : si l’État devait prendre à sa charge l’accompagnement assuré par les aidants, il y consacrerait plusieurs dizaines de milliards d’euros !
À l’heure des restrictions budgétaires, aider les aidants se révèle donc autant une mesure d’épargne publique que de salut public.
C’est d’autant plus vrai que, par ailleurs, les projections démographiques confirment que ce phénomène sociétal va s’amplifier, du fait de l’augmentation exponentielle des maladies chroniques et du vieillissement de la population. D’ici à 2060, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler, pour dépasser les 2, 5 millions. Il faut donc saisir à bras-le-corps ce sujet d’avenir, au plus vite ! Cette proposition de loi vous y invite, madame la secrétaire d’État.
Je tiens à saluer notre collègue Jocelyne Guidez, qui a remis l’ouvrage sur le métier après l’initiative prise par notre collègue député Pierre Dharréville, en mars dernier – initiative d’ailleurs repoussée par le Gouvernement dans l’attente d’un projet de loi sur le cinquième risque « perte d’autonomie », dont on attend toujours la première mouture…
Alors qu’une concertation est lancée sur le thème du grand âge et de l’autonomie, le Sénat se donne l’occasion d’apporter sa contribution. Il s’agit également d’inciter le Gouvernement à accélérer ses réflexions, en vue de proposer des solutions concrètes aux aidants, et à se prononcer sur les mesures dont nous aurons à débattre dans quelques instants.
Le législateur n’est pas resté inactif ces dernières années sur la question. Dès 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a consacré la définition juridique des aidants et transformé le congé de soutien familial en congé de proche aidant. Puis, le don de jours de repos à un collègue a été étendu aux proches aidants par la loi du 13 février 2018. Mais est-ce bien suffisant ? Nous pensons que non, et que l’on peut toujours mieux faire.
Il faut désormais aller plus loin, et, une fois n’est pas coutume, la Commission européenne nous y invite, avec la publication, en avril 2017, du socle européen des droits sociaux, qui comprend un volet spécifique sur les aidants. La prise de conscience est donc bel et bien générale et transpartisane.
Cette proposition de loi participe de cette volonté de répondre à l’urgence sociale. Il ne s’agit pas d’entretenir une vision doloriste de l’aidance, mais de reconnaître pleinement les aidants dans leur solidarité, de faciliter leur quotidien et de les soutenir en développant un écosystème favorable.
Tel est bien l’objet de cette proposition de loi, que nous soutenons dans sa philosophie. En effet, l’indemnisation du proche aidant, pratiquée chez nos voisins européens, notamment en Suède, est une des avancées majeures du texte. Nous y souscrivons.
Par ailleurs, l’extension de la durée du congé, l’assouplissement des modalités de recours, l’intégration de la conciliation des vies personnelle et professionnelle des aidants dans la négociation collective, la meilleure information et la validation de périodes d’assurance pour le calcul des droits à pension sont autant de droits nouveaux essentiels qui faciliteront grandement la vie de l’aidant.
La situation des aidants, qui est souvent vectrice d’inégalités, suscite des conséquences dans leurs vies personnelle, professionnelle et sociale. Toujours sollicité, parfois même accaparé, le proche aidant s’oublie lui-même et relègue au second plan sa santé, mais surtout sa vie. Mésestimé, il souffre, d’une part, de l’absence d’accompagnement et de droits effectifs, et, d’autre part, du manque de personnel au sein des établissements de santé et des structures destinées à l’encadrement des personnes en perte d’autonomie.
La reconnaissance de l’aidant doit permettre à la société dans son ensemble, et au monde de l’entreprise en particulier, de changer de regard sur l’aidance. Les compétences déployées par les aidants en matière d’organisation, d’arbitrage et de décision doivent être valorisées.
Or les études de Michel Naiditch, de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, montrent bien la frilosité des DRH vis-à-vis des aidants et la perception négative qu’ils en ont ; par ricochet, ceux-ci refusent de déclarer leur situation auprès de leur hiérarchie ou de demander des aides existantes – nous en connaissons tous des témoignages.
Le rapport de Dominique Gillot intitulé Préserver nos aidants, une responsabilité nationale est également très pertinent sur la problématique de la désinsertion professionnelle des aidants.
L’aidance est aussi une question de santé publique. En effet, en fin de carrière professionnelle pour un tiers d’entre eux, les proches aidants craignent de perdre l’estime de leur employeur et font face à un tel cumul de tâches – une telle charge mentale, dirait-on aujourd’hui – que la dépression et l’épuisement les guettent bien souvent ; là encore, nous en connaissons tous des exemples.
Dans cette perspective, nous présenterons quelques amendements tendant à lutter contre la désinsertion professionnelle et sociale des proches aidants, afin de compléter cette proposition de loi très attendue par les aidants eux-mêmes.
Nous proposerons également l’ouverture d’une réflexion sur le cas particulier des jeunes aidants, une population estimée à 500 000 personnes, soit environ 10 % des aidants. Plus fragiles encore que leurs aînés, ces jeunes assistent quotidiennement, à l’aube de leur vie, un parent handicapé. Il nous semble plus que nécessaire de les prendre en considération pour leur permettre de réussir leur propre insertion sociale, largement entravée par l’aidance, à commencer par leur scolarité.
Vous l’aurez compris : nous souscrivons aux objectifs de la proposition de loi et aux mesures qu’elle prévoit. Malgré quelques reculs en commission, sur lesquels nous aurons l’occasion de débattre, nous pensons qu’elle tombe à point nommé pour rappeler au Gouvernement ses engagements et souligner la nécessité d’agir vite dans ce domaine, afin de rendre non pas hommage, mais justice à ces piliers invisibles et néanmoins indispensables de la solidarité nationale !