La question que vous posez est très large et vous évoquez de nombreux sujets dans votre interrogation.
L'intérêt social est distinct de l'objet social. Nous n'avons pas voulu intervenir dans le débat juridique. Nous savons que la notion d'intérêt social n'est pas définie légalement mais par la jurisprudence. Nous avons voulu simplement compléter et charpenter cette idée d'intérêt social. L'addendum que nous avons souhaité intégrer est le reflet de la réalité aujourd'hui. Depuis un certain nombre de décennies, et surtout récemment, l'entreprise s'est vue charger de responsabilités à la fois sociales et environnementales de plus en plus larges, et des conséquences de son activité propre. De mon point de vue, ce n'est que le reflet de la réalité et qui est de plus en plus accentuée aujourd'hui. La question centrale d'une responsabilité juridique qui serait aggravée par cette phrase a provoqué de nombreux débats passionnés. Je voudrais vous dire avec beaucoup de conviction qu'il me semble, ainsi qu'à Nicole Notat, que cet addendum ne provoquera pas d'aggravation du risque judiciaire pour les entreprises. Il est inutile de vous dire qu'en tant que chef d'entreprise, c'est un sujet auquel je suis particulièrement sensible. À longueur de journée, je suis soucieux à la fois de la responsabilité de l'entreprise, mais aussi des conséquences de ses actes et de sa réputation. Aujourd'hui, la peur d'une mise en cause de la réputation de l'entreprise est très présente chez les chefs d'entreprise. C'est ce qui nous inquiète le plus dans la vie quotidienne. C'est une réalité qui existe déjà. Des organisations extérieures, des groupes sociaux, des ONG n'ont pas besoin de cet addendum dans le code civil, s'ils souhaitent mettre en cause une entreprise. Cela remonte à plusieurs années. Il faut se souvenir du procès Erika dans les années 1976. À l'époque, il n'y avait ni droit dur sur le sujet, ni droit souple. Il n'y avait qu'un règlement intérieur et le juge saisi sur cette affaire a condamné l'entreprise en question sur la base de la rupture d'un règlement intérieur. Il y a eu, depuis, de nombreux sujets portés devant la justice, sans même qu'il y ait d'évolutions dans le droit civil.
Nous avons voulu, dans cette expression, nous entourer de toutes les protections juridiques possibles et imaginables. Nous avons auditionné un nombre de juristes éminents sur ces aspects, avons travaillé avec le conseil d'État et la cour de cassation. Si nous sommes arrivés à cette phrase, c'est que nous avons considéré qu'elle était la plus naturelle et la plus souple possible pour éviter des conséquences judiciaires qui pourrait être nocives. Nous avons été confortés par l'avis du conseil d'État rendu public par le gouvernement. Dans son paragraphe 99 - dont je vous recommande la lecture -, il explique de façon assez claire en quoi cet addendum n'augmente en aucun cas le risque de pénalisation des chefs d'entreprise ou des dirigeants, par la nature de la rédaction et par les déductions que l'on peut tirer du contenu juridique. De notre point de vue, ce paragraphe est rassurant. Je souhaite vous dire ma conviction personnelle qu'il ne faut pas se tromper de combat. Je fais partie de ceux qui considèrent que nous sommes dans un état de droit. Le législateur que vous êtes travaille pour faire évoluer les esprits dans la société, mais aussi pour protéger les acteurs de cette société. Je pense que le droit protège et non pas l'inverse.
Le droit civil étant ce qu'il est - fondamentalement ce qui fait le coeur de notre existence quotidienne sur de nombreux sujets -, il nous semblait naturel qu'il reflète correctement l'état de la société. En l'espèce, nous faisons oeuvre utile. Contrairement à ce qui a été souvent évoqué avec passion par certains intervenants dans le débat public, ce n'est pas simplement le droit souple qui peut régler la question. J'évoquais le cas du procès Erika qui est presque caricatural. Je suis favorable au droit souple, mais ce n'est pas nécessairement la solution définitive qui permet de protéger l'entreprise, comme le disent souvent les soutiens de ce droit souple. Je me mets à la place d'un juge. Lorsqu'il se trouve devant un cas de figure, s'il ne trouve pas dans le droit dur la réponse à sa question, il va aller chercher une réponse dans le droit souple. Lorsqu'il ne la trouve pas, il va jusqu'au règlement intérieur. Dans les faits, si le droit dur ne dit pas les choses, le juge a latitude pour aller chercher ailleurs l'engagement des entreprises. Si vous regardez les récents textes adoptés par les organisations patronales ces dernières années, certains sont très engageants. Pendant que nous travaillions en commission, l'AFEP et le MEDEF ont présenté un projet de texte en la matière, sans attendre nos conclusions. Lorsque ces dernières ont été publiées, ils ont modifié leur texte, pour le rendre plus proche de nos propositions. En effet, la proposition initiale qu'ils avaient prise était beaucoup plus engageante pour l'entreprise et aggravait considérablement sa responsabilité. Cet exemple montre que le droit peut être protecteur pour les entreprises. Or, aujourd'hui, dans la modification de l'article 1833 que nous proposons - corrigée par le conseil d'État car nous étions légèrement en retrait -, nous prétendons que le juge y trouvera la limite de l'action judiciaire, le conseil d'État ayant exprimé de façon extrêmement précise, en quoi un chef d'entreprise, par cette disposition, ne se trouve pas plus engagé en matière de responsabilité pénale.
Je crois fondamentalement que nous avons, en proposant cette modification, non seulement protégé les entreprises - et je me sentais personnellement très engagé sur ce sujet car cela n'est pas facile lorsqu'un chef d'entreprise se trouve pris dans un débat mettant en cause sa réputation - mais aussi parce que cela fait oeuvre utile pour permettre aux entreprises d'être reconnues pour ce qu'elles font. Les entreprises que nous avons auditionnées, notamment les petites et moyennes entreprises, nous demandaient de faire quelque chose en ce sens. Ces entreprises sont extrêmement vertueuses. Bien sûr, il y a toujours quelques moutons noirs. Mais, fondamentalement, toutes nos entreprises dans nos régions s'exténuent à longueur de journées pour faire du bien : non seulement elles créent des emplois, mais en plus, elles ont au fond d'elles-mêmes cette conviction qu'elles ont un rôle social et environnemental et ne cherchent pas à le cacher. D'ailleurs, la CPME a passé des accords étonnants avec les syndicats dans ce domaine et je m'en félicite. Ainsi, cette modification de l'article 1833 répond d'une part à un besoin de reconnaissance, afin que dans l'avenir, on arrête de penser qu'en France, les sociétés ne sont pas impliquées sur ces sujets, et d'autre part, apporte une protection aux entreprises.