Intervention de Jean-Dominique Senard

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 25 octobre 2018 à 10h45
Audition de M. Jean-Dominique Senard président du groupe michelin

Jean-Dominique Senard :

La question de la raison d'être est extrêmement utile. Je peux en mesurer tous les jours l'intérêt pour avoir moi-même souhaité formaliser celle de Michelin il y a quelques années. Le groupe regroupe 110 000 personnes. C'est un sujet extrêmement porteur, fédérateur, créateur d'engagement et finalement de compétitivité. Il n'y a pas de compétitivité sans engagement, et les personnes du groupe se sont impliquées dans ce débat de façon extraordinaire. Cette raison d'être est un peu comme un fil directeur. Il relie le passé de l'entreprise à son avenir, mais il dit également à chacun la raison pour laquelle il se lève le matin pour aller travailler dans l'entreprise. Ce n'est pas seulement travailler sur la mobilité durable, mais aussi offrir à chacun un déploiement professionnel heureux et à la hauteur de ses attentes. La raison d'être de Michelin est puissante à l'intérieur de l'entreprise, car chacun sait que si on ne s'occupe pas de la question de l'innovation, de nos clients, de la mobilité directe, nous n'avons pas d'avenir. Mais il en est de même si on ne s'occupe pas en même temps des salariés, des collaborateurs dans leurs évolutions et leurs bien-être professionnels. On ne peut pas se passer de l'un ou de l'autre. Pour nous, c'est notre tête de pont qui ensuite donne les grandes orientations que je fixe pour l'entreprise pour les cinq ou sept années qui viennent, et la stratégie annuelle du groupe qui m'est présentée et que je valide. S'il n'y a pas de liens entre ces différents éléments, cela n'a aucun sens et partout dans le monde, en Chine, au Brésil ou ailleurs, chacun me le dirait rapidement.

Sur l'aspect juridique, je reconnais le caractère novateur de ce concept. M. Lasserre, qui n'était pas encore vice-président du conseil d'État, nous avait indiqué la nouveauté que représente ce concept juridique. Finalement, il a bien voulu nous dire que ce concept est compréhensible et acceptable. Si l'on se réfère au bon sens, il est compliqué pour un chef d'entreprise de se lever chaque matin pour aller travailler, alors que son entreprise n'a pas de raison d'être. Enfin, la notion est plus ancienne qu'on ne le croit. Je cite souvent Henry Ford, qu'on ne peut pas soupçonner de ne pas être capitaliste. Dans les premières années de son entreprise, il aimait dire que l'entreprise devait être bien entendu administrée en vue de faire des profits car sinon elle disparaitrait. Il ajoutait toutefois que si l'entreprise n'était menée que pour le profit, elle disparaitrait aussi, car elle aurait perdu sa raison d'être. Nous étions alors dans les années 1910-1920.

Juridiquement, ce concept a été accepté. Après tout, un certain nombre de concepts nouveaux sont entrés dans le droit français, sans ce que cela ne pose de problème. On a parlé des comités d'entreprise en 1945, le PACS était une notion nouvelle en son temps, enfin je pense à la notion d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Jusqu'à ce que cette dernière notion soit intégrée dans le droit français, la société était au moins composée de deux personnes. Au contraire, je pense que faire entrer ce nouveau concept dans le droit français a un avantage, car cela lui donne du souffle. Ce sujet ne concerne pas que la France, mais l'Europe dans son ensemble. Nous sommes confrontés à cette question de soupçon vis-à-vis de l'entreprise dont je considère qu'il alimente allégrement un certain nombre de mouvements radicaux qui utilisent ce terreau de la méfiance vis-à-vis de l'entreprise pour prospérer. En France et en Europe nous devons faire évoluer ce concept, le capitalisme responsable dont il est ici question est un des ciments pouvant permettre à l'Europe de trouver un terrain d'entente. Il constitue une originalité, une singularité européenne, face à un certain nombre de capitalismes qui sont extraordinairement influents - je pense au capitalisme d'État asiatique, au capitalisme anglo-saxon, orienté sur le profit uniquement. Ces deux capitalismes sont en train d'influencer notre territoire européen à un point tel que nous allons finir par disparaître si nous n'y prenons garde. Ce capitalisme responsable, lié à tous les propos que j'ai tenus et notamment à la raison d'être, me paraît être fondamental.

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