Je me suis rendu compte que je n'avais pas répondu à la question relative à l'entreprise à mission. Si vous le voulez bien, je vais intégrer cet aspect dans ma réponse.
Cela n'aurait pas été honnête de ma part de proposer des recommandations que nous n'aurions pas mis en oeuvre dans l'entreprise que j'ai l'honneur de présider. Nous avons été parmi les entreprises qui ont souhaité avoir un représentant des salariés au conseil de surveillance, alors qu'il n'y avait aucune obligation. Nous avons instauré un comité des parties prenantes, et nous ne reviendrons pas en arrière sur ce point car c'est une expérience formidable. Cela fait partie de l'ADN de Michelin depuis 130 ans, ce n'est pas nouveau. Le combat que nous menons pour la mobilité durable et la performance dans la durée des produits, la lutte contre l'obsolescence programmée est au coeur de ce que nous faisons depuis des décennies. Par conséquent, il n'était pas difficile pour moi de proposer ces recommandations, car elles font partie de la vie de l'entreprise Michelin.
Vous avez raison, on touche à l'immatériel. C'est d'ailleurs la complexité de ce rapport. Mais l'immatériel pèse lourd dans une entreprise, car l'engagement des personnes n'est pas quelque chose se faisant uniquement sur des questions d'espèces sonnantes et trébuchantes. La question de la rémunération compte beaucoup, bien sûr. Mais, on entend exprimer en permanence et de façon vivace que d'autres points entrent en considération dans la motivation des personnes et leur bien-être. On est peut-être dans l'immatériel, mais c'est très concret dans la vie des entreprises. Le sens, le souffle donné par la raison d'être est quelque chose de matériel et concret dans la vie d'une entreprise : c'est la colonne vertébrale de cette dernière. Les grandes orientations, la stratégie, la tactique sont reliées à celle-ci.
En ce qui concerne les entreprises à mission, nous avons voulu répondre à une attente. Beaucoup de personnes nous ont demandé de créer ce concept qui n'existe pas dans le droit français. Nous n'avons pas souhaité en faire un statut légal. Lorsque nous avons commencé notre commission, un peu naïvement, j'ai découvert l'invraisemblable variété des statuts des sociétés en France, sans parler de sociétés à vocation sociale, les associations, les mutuelles... La France est le pays, à mon avis, le plus riche en matière de statuts. Au début je me disais qu'il allait falloir mettre de l'ordre dans tous ces éléments. Au fur et à mesure que la commission avançait, j'ai changé d'avis. Finalement, c'était une forme de richesse. Mais il manquait une case qui était l'entreprise à mission, c'est-à-dire, l'entreprise qui est dans le domaine lucratif, destinée à faire du profit et ne s'en cache pas, mais souhaite en même temps pouvoir dire qu'elle a une mission qu'elle veut exposer et rendre opposable à des tiers - mission philanthropique, mission sociale, mission environnementale. Nous avons constaté que cela n'existait pas en France et avons décidé de donner la liberté de pouvoir les créer. Voilà ce qui à l'origine de cette recommandation : elle est une réponse à une attente de beaucoup d'entreprises. Bien évidemment, nous avons souhaité que cela soit correctement encadré, d'où l'évocation de critères. L'un d'entre eux est que cette mission soit intégrée dans les statuts de l'entreprise, c'est-à-dire que les actionnaires la votent à la majorité qualifiée, afin qu'elle soit opposable. Beaucoup de gens s'intéressent à ce sujet. Une association s'est créée dans ce domaine. Vous allez voir fleurir les entreprises à mission en France. Ce concept est né aux États-Unis, dans certains États. Je souhaite que la France soit capable de montrer l'exemple sans avoir à imiter ce qui se fait dans certains États nordaméricains. Il me semble important d'avoir notre propre concept français, d'autant plus que cela peut servir à l'Europe.