Intervention de Olivier Cadic

Commission spéciale Suppression surtranspositions directives — Réunion du 30 octobre 2018 à 18h05
Projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic, rapporteur :

Le chapitre Ier identifie 13 sur-transpositions dans les domaines du droit des sociétés, de la consommation et dans le secteur financier. À mes yeux, celles-ci revêtent une importance particulière, engendrant très directement des coûts et des contraintes supplémentaires pour les entreprises françaises. À l'heure où nous parlons de restaurer la compétitivité de notre industrie, de la place financière de Paris, de faciliter le financement des entreprises et d'encourager la consommation, il est absolument crucial de supprimer les obstacles que nous imposons à nos propres entreprises.

C'est avec cet objectif qu'il faut aborder l'examen de ce projet de loi. Tout d'abord, y a-t-il sur-transposition ? Cette contrainte est-elle justifiée par un impératif qui ne peut pas être atteint par d'autres moyens ? Lorsque ce n'est pas le cas, il y a lieu d'aligner notre droit français avec le cadre européen, plus favorable au développement économique de nos entreprises. J'ai essayé d'estimer auprès des personnes et des organismes que j'ai auditionnés le coût et l'impact de ces contraintes injustifiées.

Certaines d'entre elles sont le résultat d'une transposition erronée, mais d'autres proviennent de l'empilement des normes françaises et européennes. D'autres encore sont le fait du Parlement, qui a parfois fait des choix politiques sans prendre la mesure du profond ajustement qu'elles exigent de la part des entreprises françaises.

Sur le chapitre Ier, les articles 3, 4, 10 et 13 seront examinés lors de notre seconde réunion de ce soir, dans le cadre de la procédure de législation en commission.

L'article 1er allège le formalisme applicable aux publicités en matière de crédit à la consommation et supprime l'interdiction de mentionner l'existence d'un remboursement différé. Ces mesures, non requises par le droit européen, ont été introduites par la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. Ce sont bien des sur-transpositions, même s'il s'agit de changements mineurs : le fait de modifier la taille de la police de caractères et de supprimer un encadré pour des informations présentes en doublon dans de telles publicités ne semble pas révolutionnaire. Je proposerai d'adopter cet article, mais ce qui est prévu n'est absolument pas à la hauteur du process qu'il aurait fallu entreprendre pour supprimer les sur-transpositions existantes en droit de la consommation. C'est pourquoi je propose, dans la continuité des auditions que j'ai menées, d'introduire un article additionnel visant à supprimer, en matière de crédit renouvelable à la consommation, l'obligation faite au prêteur de procéder à une vérification triennale complète de la solvabilité de l'emprunteur. En plus d'être redondante avec les règles de détection précoce des risques d'insolvabilité des emprunteurs mises en oeuvre par les organismes prêteurs, cette obligation n'est nullement prévue par la directive de 2008 applicable au crédit à la consommation. Le bref délai qui nous a été imparti ne m'a toutefois pas permis d'approfondir le sujet.

L'article 2 supprime certaines mentions légales dans les publicités relatives aux crédits immobiliers : l'existence du délai de réflexion de dix jours dont dispose l'emprunteur, le fait que la vente est subordonnée à l'obtention du prêt et que le refus du prêt entraîne le remboursement par le vendeur des sommes déjà versées. Aucune directive n'exige pourtant leur mention. Elles sont en outre formellement indiquées au consommateur lors de la phase précontractuelle et lors de l'émission de l'offre contractuelle. C'est d'ailleurs quand le consommateur est sur le point de s'engager contractuellement que cette information lui est la plus pertinente et la plus utile. Je proposerai d'adopter cet article, sans toutefois considérer qu'il s'agit d'une grande avancée.

En matière de droit des sociétés, l'article 5 tend à créer la catégorie des « moyennes entreprises » et à prévoir, pour celle-ci, des obligations allégées d'établissement et de publicité des comptes, comme le permet l'une des options prévues par la directive comptable de 2013, jusqu'à présent inexploitée. Les entreprises concernées auraient ainsi la faculté d'établir leur compte de résultat dans une présentation simplifiée et de ne rendre publique qu'une présentation simplifiée de leur bilan et de son annexe.

Je proposerai de compléter cet article, en exploitant une autre option prévue par la même directive, afin de relever les seuils de définition de la catégorie des petites entreprises aux niveaux les plus élevés permis par la directive, soit 6 millions d'euros de total de bilan, au lieu de 4 millions actuellement ; et 12 millions de chiffre d'affaires net annuel, au lieu de 8 millions aujourd'hui. Ce relèvement des seuils permettrait d'étendre à un plus grand nombre d'entreprises le bénéfice des mesures de confidentialité du compte de résultat et de simplification des états financiers à raison de la suppression du rapport de gestion.

Je proposerai également d'ajuster les dispositions dudit article 5, afin d'étendre aux micro-entreprises et aux petites entreprises soumises au contrôle légal des comptes le bénéfice des modalités de publication allégée du rapport des commissaires aux comptes, que le projet de loi ne prévoit que pour les moyennes entreprises, introduisant de ce fait une distorsion injustifiée entre les régimes de ces différentes catégories d'entreprises.

Les dispositions financières abordent divers sujets.

L'article 6 supprime l'interdiction faite aux assureurs d'intervenir dans la négociation des honoraires entre l'assuré et l'avocat qu'il choisit, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un contrat de protection juridique. Cette interdiction n'est pas prévue par la directive Solvabilité II. Il s'agit de permettre aux assurés de s'appuyer sur leur assureur dans la négociation des honoraires avec l'avocat qu'ils ont choisi, afin de bénéficier de tarifs négociés ou plus avantageux, objectif que je partage pleinement. En outre, la liberté, pour l'assuré d'un contrat de protection juridique, de choisir un avocat ne serait pas remise en cause : il sera toujours libre de choisir un autre avocat que celui qui est proposé par son assurance. Je proposerai donc d'adopter cet article.

L'article 7 supprime les obligations s'imposant aux syndics de copropriété en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La directive européenne à l'origine de ces obligations encadrait précisément les différentes professions visées, telles que les agents immobiliers, les conseillers en investissement ou les casinos. L'adoption d'un amendement à la loi ALUR avait étendu ces obligations aux syndics, alors même que ceux-ci n'interviennent pas dans les transactions immobilières, ne gèrent que de faibles sommes dans le cadre d'appels à contribution des copropriétaires et ne sont pas rémunérés ou formés pour de telles tâches. De l'aveu même de Tracfin, ces dispositions ne sont pas opérationnelles et leur mise en oeuvre n'est pas contrôlée. Je proposerai d'adopter cet article, très attendu par les organisations de syndics, en soumettant un amendement de coordination avec une mesure récemment adoptée dans la loi ELAN.

L'article 8 supprime la consultation obligatoire de l'assemblée générale des actionnaires sur l'enveloppe globale des rémunérations des dirigeants et preneurs de risque pour les entreprises du secteur bancaire. Le droit européen qui réglemente les rémunérations dans les établissements de crédit ne fait aucune mention d'une telle obligation. La France est d'ailleurs le seul pays à avoir introduit une telle exigence de « say on pay ». Alors que le secteur bancaire français a tout à gagner de la relocalisation des établissements actuellement basés à Londres, la suppression d'une telle obligation est un signal fort. L'obligation de réunir les actionnaires, en nombre nécessaire, est source de complexité, tout comme la compilation des données relatives aux rémunérations. Elle fait obstacle à ce que le secteur bancaire français attire les meilleurs administrateurs et les meilleurs employés, qui pourraient pourtant contribuer à son développement. Je proposerai donc d'adopter l'article 8, sous réserve de coordinations juridiques.

Dans le même objectif de limiter les contraintes asymétriques s'appliquant au secteur financier français, je proposerai d'adopter l'article 9. Il aligne le champ de l'encadrement des rémunérations des preneurs de risque dans les sociétés de gestion de portefeuilles avec le champ des obligations européennes en la matière. Une erreur de rédaction dans l'ordonnance de transposition avait fortement élargi ce champ, rendant ainsi la mesure inapplicable pour les sociétés.

Dans un tout autre domaine, l'article 11 exclut du champ de la commande publique la représentation légale d'un client par un avocat dans le cadre d'un contentieux, et le conseil juridique par un avocat en amont d'une probable procédure contentieuse. La fin de cette sur-transposition constitue une mesure utile pour les acheteurs publics, dans la mesure où le temps nécessaire à la préparation et à la passation d'un marché public est rarement compatible avec le caractère urgent du conseil et de la représentation juridique. Ce constat vaut d'autant plus pour les plus petites collectivités territoriales, qui ne disposent pas de personnels qualifiés pour les représenter et pour lesquelles le recours à un avocat est de ce fait une nécessité. Je proposerai donc d'adopter cet article.

Le domaine des communications électroniques est particulièrement sujet à sur-transposition, ce que déplorent depuis longtemps les opérateurs et les constructeurs. À l'article 12, je proposerai d'acter la suppression du régime déclaratif à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) applicable à tout opérateur de réseaux ou de services de communications électroniques. De l'aveu même de l'Arcep, cette déclaration est parfaitement inutile : elle n'emporte aucun effet juridique, ne lui fournit aucune information nécessaire dans son activité de régulateur, ne sert pas de base à la fiscalité des opérateurs, mais mobilise au contraire des ressources d'analyse et de traitement qui pourraient être redéployées. Sous réserve de l'adoption d'amendements de coordination, je proposerai d'adopter cet article.

De manière générale, je regrette le manque d'ambition de ce texte. Parmi les 132 sur-transpositions identifiées par le rapport inter-inspections remis au Gouvernement et les 75 propositions du rapport de notre président René Danesi, les 27 mesures que nous examinerons ce soir nous paraissent utiles, certes, mais bien limitées. Les délais d'examen extrêmement resserrés et les contours du texte initial ne nous ont permis que de l'enrichir de quelques mesures supplémentaires. Le choc de simplification annoncé par le Gouvernement est bien timide et nous espérons pouvoir bientôt examiner au Sénat un nouveau projet de loi de suppression de sur-transpositions.

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