Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 octobre 2018 à 9h15
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition du général jean-pierre bosser chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Général, c'est avec grand plaisir que nous vous auditionnons sur le projet de loi de finances pour 2019, « l'an 1 de la LPM » (loi de programmation militaire), en quelque sorte.

Nous serons particulièrement vigilants sur l'exécution de la loi de finances pour 2018 car les OPEX - selon la ministre - vont coûter 1,3 milliard d'euros, alors que seuls 650 millions d'euros ont été budgétés : il ne faudrait pas qu'on nous rejoue le même scénario que l'année dernière, avec une remontée en puissance qui est au final annihilée par les surcoûts OPEX. Le dépôt du projet de loi de finances rectificative le 7 novembre devrait nous apporter des réponses.

La nouvelle LPM verra notamment pour l'armée de terre la mise en oeuvre du programme Scorpion. Je sais que vous êtes en ordre de bataille pour réussir la remontée en puissance. Est-ce le cas des industriels ? Les 89 Griffons seront-ils bien livrés dans les délais ? Du point de vue des petits équipements, essentiels pour le moral des troupes et une armée à hauteur d'hommes, où en sont vos nouvelles tenues de sport pour l'armée de terre ?

J'aimerais aborder 4 sujets de fond. Tout d'abord, malgré un premier redimensionnement, Sentinelle continue à consommer des ressources : 7000 hommes sont engagés du fait des dispositifs « socle » et « renforcement », auxquels s'ajoute une réserve de 3 000 hommes. Cela pèse sur l'activité de l'armée de terre et surtout sur l'entrainement, ce qui est préoccupant. D'autres évolutions seraient-elles possibles ? Je rappelle que « Vigipirate » mobilisait moins de 2 000 hommes, pourrait on revenir vers cet étiage, avec un Sentinelle III, allégé ?

Par ailleurs, la réflexion en cours sur la réforme des soutiens en amène une autre sur la distribution des responsabilités au sein des armées et la possibilité de redonner des marges de manoeuvre à différents niveaux. Je pense notamment à la gestion des problèmes du quotidien, comme la location d'un car, l'amélioration de la cantine, la gestion des problèmes informatiques... J'ai cru comprendre que vous souhaitiez donner plus de moyens d'actions et d'autonomie aux commandants des bases de défense. Quelles sont vos attentes en matière de subsidiarité ? Dans quels domaines serait-il particulièrement judicieux de faire bouger le curseur et dans quelle direction ?

Le Président de la République devrait s'exprimer avant la fin de l'année sur le service national universel pour une première expérimentation lors des vacances de Toussaint 2019. J'ai d'ailleurs noté avec intérêt que le secrétaire d'État chargé de cette question, nommé hier, est rattaché auprès du ministre de l'éducation nationale... Or il n'y a pas de crédits prévus à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2019. Les armées risquent de se voir mobilisées pour la « formation des formateurs », mais cela siphonnerait les maigres renforts d'effectifs. Le Sénat milite pour un financement étanche, avec une mission budgétaire ad hoc, afin que l'effort consenti par la Nation dans le cadre de la LPM ne soit pas absorbé par le service national universel. Toutefois, nous avons l'impression de crier dans le désert. Vos inquiétudes sont-elles égales aux nôtres ?

Enfin, j'aimerais vous interroger sur les coopérations européennes, notamment celle avec l'Allemagne, avec qui nous allons construire le prochain char de combat. Notre rencontre, il y a quelques jours, avec nos homologues allemands du Bundestag nous a alertés, à deux niveaux : l'équilibre du partage des retombées industrielles et la politique d'exportation. Nous avons senti une certaine résistance de leur part.

Général Jean-Pierre Bosser, Chef d'état-major de l'armée de terre. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission, dans le cadre prestigieux de cette ancienne chapelle de la chambre des pairs. Je crois que j'ai eu l'honneur d'être le premier chef d'état-major à y être auditionné, le 4 avril dernier.

Il s'agissait d'une audition sur ce qui n'était à l'époque que le projet de loi de programmation militaire 2019-2025. Au travers de mon propos liminaire et de nos échanges, j'avais pu vous donner mon appréciation sur ce texte soumis à votre examen. Depuis cette date, ce projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale en mars, puis par le Sénat en mai. Je me réjouis que la commission mixte paritaire soit ensuite parvenue à un très large accord entre les deux assemblées. Cette union des chambres et donc de la Nation est un signe très fort en direction de nos soldats, qui y sont attentifs. Enfin, comme vous le savez, le Président de la République a promulgué la loi le 13 juillet. Nous entrons donc dans le temps de la mise en oeuvre.

Aujourd'hui, vous me recevez en audition dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2019, c'est-à-dire la première année de la LPM, et qu'il est donc essentiel de réussir.

Mon objectif est de vous exposer la façon dont l'armée de terre a conçu sa manoeuvre pour entrer en LPM et comment cette manoeuvre va se concrétiser en 2019.

Dans ce propos liminaire, je vous propose tout d'abord de revenir brièvement sur la situation et notamment l'état d'esprit de l'armée de terre tels que je les perçois en cette rentrée. Puis, je vous exposerai la manoeuvre de l'armée de terre pour entrer en LPM, en détaillant les objectifs principaux ou emblématiques que l'armée de terre souhaite conquérir en 2019 sur chacun des axes de la LPM. Enfin, je partagerai avec vous mon appréciation sur certains risques ou enjeux particuliers.

Avant de commencer, je souhaite faire un éclairage bref sur quatre points qui expliquent la situation de l'armée de terre aujourd'hui.

L'armée de terre combine, à un degré peut-être inédit dans son histoire récente, une très grande jeunesse et une très grande maturité. La maturité de l'armée de terre est liée à son histoire et à son expérience. En 22 ans de professionnalisation, elle a été engagée sans discontinuité sur des théâtres très divers, et où elle a acquis une expérience opérationnelle considérable. La jeunesse est celle de ses soldats, dont une majorité a entre 18 et 25 ans. Ce trait distinctif, qui est un véritable atout et même un impératif en opérations, a été encore accentué par la remontée en puissance décidée en 2015.

Un deuxième élément d'appréciation est le moral de l'armée de terre. Je considère qu'il se maintient à un niveau élevé, mais avec certaines réserves. Le moral est bon, parce que les soldats ont le sentiment de servir utilement leur pays, parce que la remontée en puissance est un vecteur d'optimisme et d'enthousiasme, et parce que l'image de l'armée de terre est excellente dans l'opinion publique. Mais il y a des réserves, car les soldats de l'armée de terre, assez légitimement, attendent de voir les effets physiques des bonnes nouvelles qui leur sont annoncées.

Troisièmement, je note que l'armée de terre est regardée par les Français, et par vous-mêmes, avec un mélange inédit de confiance et d'exigence. Nos concitoyens et nos dirigeants politiques ont une excellente image de l'armée. Elle jouit d'une forme de confiance pour ce qu'elle est, pour les valeurs qu'elle incarne, et pour ce qu'elle fait, notamment en opérations extérieures ou intérieures. Parallèlement, nos dirigeants politiques, comme nos compatriotes, ont des attentes très fortes vis-à-vis des militaires de l'armée de terre en termes d'exemplarité, non seulement professionnelle, mais également comportementale.

Enfin, l'armée de terre me semble être aujourd'hui dans une configuration singulière, différente sans doute de celle des autres armées. Après des années de déconstruction, elle a connu en 2015 une inversion de tendance qui a non seulement produit des effets physiques, mais également psychologiques, en lui donnant à la fois une forme de temps d'avance et une expérience de la remontée en puissance.

C'est la raison pour laquelle l'armée de terre ne fait pas de grand plan stratégique. L'entrée en LPM m'apparait comme une opération « toute d'exécution » dans laquelle l'armée de terre arrive à pleine vitesse.

Afin que la manoeuvre de l'armée de terre pour entrer en LPM soit bien comprise de tous nos soldats, j'ai souhaité qu'elle puisse être synthétisée sur un schéma qui vous a été distribué aujourd'hui. Ce document a également une visée pédagogique. En effet, il couvre la période 2019-2025, de sept ans, qui est également la période moyenne d'un engagement d'un jeune militaire. Cela lui permet ainsi de se projeter dans son métier, voire de renouveler son engagement.

Au bas de ce schéma, se trouve l'armée de terre, en ordre de bataille et « prête à déboucher » pour entrer en LPM. Elle est organisée autour d'un modèle dit « Au Contact » qui lui donne beaucoup de cohérence, de souplesse et de lisibilité. Elle sera outillée et digitalisée grâce à la transformation numérique et capacitaire Scorpion, que nous avons largement anticipée, puisque Scorpion est le fruit de quinze années de travaux préparatoires. Elle a consolidé l'exercice du commandement, que ce soit à travers la renaissance de l'École de guerre Terre ou à travers la réédition de textes fondateurs sur l'exercice du métier des armes. L'an dernier, je vous avais présenté le livre bleu consacré à l'exercice du commandement dans l'armée de terre. Aujourd'hui, le livre vert, « L'Alliance du sens et de la force », qui vous est distribué, présente les fondements et principes de l'exercice du métier des armes. Il est à noter que notre précédent document de référence en la matière datait du passage à l'armée professionnelle. Enfin, l'armée de terre est orientée par une vision prospective, synthétisée dans le document « Action terrestre future » que vous connaissez, qui la place dans une dynamique vertueuse d'anticipation des ruptures à venir.

Le premier axe de la LPM est la « hauteur d'homme ». J'en ai une vision en colimaçon autour du soldat : tenue, équipements individuels, conditions de vie et de travail, infrastructures, rémunération, soutien, familles, pensions, etc. En 2019, le premier objectif concret pour l'armée de terre est d'accueillir dans les unités de petits équipements très attendus par les soldats, avec un effort marqué en direction des soldats déployés en opérations. Il s'agit de leur donner ce qui se fait de mieux et d'améliorer leur niveau de protection. Tous les soldats engagés en opérations seront ainsi équipés fin 2019 de treillis F3 retardant à la flamme, de structures modulaires balistiques, de nouvelles lunettes balistiques ou de nouveaux gants de combat.

Les soldats verront également arriver 7 600 HK-416 supplémentaires, 50 postes de tir missiles de moyenne portée ou encore 430 véhicules VT4 supplémentaires. Par ailleurs 2019 sera une année importante pour le renouvellement de la trame petit calibre, avec la commande du successeur du pistolet automatique et du successeur du fusil de précision FRF2.

En complément de ces commandes ou livraisons, je souhaite saisir en 2019, toutes les opportunités pour donner des signes visibles de la remontée en puissance. Je pense notamment à la nouvelle tenue de sport de nos soldats, sur laquelle je reviendrai.

Le deuxième axe de la LPM est celui de la « réparation », avec le comblement de lacunes capacitaires, mais également l'instauration de normes d'activités pour restaurer notre capital opérationnel.

Le comblement des lacunes capacitaires qui ont été concédées au cours des années passées n'interviendra pas majoritairement en 2019, à l'exception des véhicules blindés légers ULTIMA dont nous devons recevoir les 50 premiers exemplaires sur 800. Par contre, l'année 2019 constituera bien le premier jalon d'atteinte des normes quantitatives d'activité inscrites dans la loi de programmation militaire. Je vous donne trois exemples : passage de 62 heures en 2018 à 71 heures en 2019 sur les 115 heures que prévoit à terme la LPM pour un équipage Leclerc ; pour les équipages Caesar, passage de 43 coups en 2018 à 76 coups tirés en 2019 sur les 110 que prévoit à terme la LPM ; 160 heures sur les 200 heures que prévoit à terme la LPM pour un équipage d'hélicoptère, (220 heures dans les forces spéciales). Sur ce dernier point, l'armée de terre est pour l'instant en dessous des heures effectuées par l'armée de l'air.

Le troisième axe est celui de la « modernisation », avec en particulier l'accélération du remplacement du segment blindé médian - celui qui est le plus engagé en opérations, la poursuite de la modernisation de l'aérocombat ou encore la transformation du MCO (maintien en condition opérationnelle) terrestre. 2019 sera d'abord et avant tout l'année Scorpion. Concernant les véhicules, ce sera la production des 89 premiers Griffons qui équiperont d'abord les écoles de formation et de perception (Draguignan, Canjuers, Bourges), la Force d'expertise du combat Scorpion (FECS) puis le 3e RIMa (Vannes), le 13e BCA (Chambéry) et le 1er RI (Sarrebourg).

Sur le plan des systèmes d'information et de communication, 2019 sera l'année de l'accueil des premiers systèmes d'information et de commandement scorpion (SICS) qui concrétiseront la montée en puissance des capacités numériques opérationnelles de Scorpion, ainsi que l'année de production de la nouvelle radio tactique CONTACT et de son intégration dans les véhicules de la gamme actuelle, afin d'effectuer la transition vers l'outil de demain.

En matière d'infrastructures, 2019 verra la livraison de 5 zones techniques Scorpion aux 6e RG (Angers), 3e RIMa (Vannes), 11e RAMa (à côté de Rennes), à l'École du génie (Angers), aux Écoles militaires de Draguignan, au centre de perception Scorpion - 1er RCA (Canjuers) et à la Force d'expertise du combat Scorpion (Mailly).

Sur le plan de la doctrine enfin, l'armée de terre continuera un travail qui a été largement anticipé, en publiant en 2019 une doctrine d'emploi Scorpion et en définissant un concept de soutien logistique des engagements terrestres à l'ère Scorpion.

L'année 2019 sera celle de la poursuite de la modernisation de l'aérocombat. Cela se fera notamment à travers la livraison de 8 NH90 CAIMAN et 2 COUGAR rénovés supplémentaires. Un effort important en autorisations d'engagement porté par le projet de loi de finances pour 2019 permettra aussi la réorganisation du soutien des flottes Fennec, Cougar, et Tigre. La direction de la maintenance aéronautique va en effet confier le soutien en métropole à un industriel principal à travers des contrats dits verticaux, avec responsabilisation et obligations de performance, ceci afin d'atteindre les objectifs de la LPM en termes d'activité ou de disponibilité.

2019 sera également l'année de livraison de nos premiers drones tactiques de nouvelles génération : le Patroller de Safran pour succéder au SDTI, le système de mini-drone de renseignement (SMDR) de Thales pour succéder au DRAC, ainsi que le micro-drone et le nano-drone (Black Hornet).

Enfin, 2019 sera pour l'armée de terre une année cruciale pour la poursuite de la modernisation du MCO terrestre. L'augmentation substantielle des crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel portés à 613 millions d'euros va permettre de faire passer la part de maintenance industrielle privée de 25% en 2018 à 35% en 2019 et de renforcer nos partenariats avec les industriels Arquus et Thales notamment. Par ailleurs, comme l'a souhaité la ministre, une équipe projet sous mon autorité aura mission de faciliter cette modernisation, qui consiste à responsabiliser les acteurs, à rapprocher le MCO des opérations et les maintenanciers des concepteurs d'équipements, et à anticiper l'avenir en prenant le tournant des nouvelles technologies.

Enfin le quatrième axe est celui de l'« innovation ». En matière d'innovation, il s'agit d'abord en 2019 de structurer notre dispositif, afin d'organiser et de fédérer la multitude des acteurs de l'innovation, des soldats novateurs en unité jusqu'aux grandes entreprises en passant par les start-ups. C'est la tâche que j'ai confié au sein de l'état-major de l'armée de terre à un colonel sortant du CHEM-IHEDN. J'ai un objectif emblématique en 2019 : la création à Satory du Battle Lab Terre, une structure dédiée à l'innovation technico-opérationnelle du temps court. Ce Battle Lab Terre sera au coeur d'un pôle innovation de l'armée de terre (PIAT) réunissant sur un même lieu -le plateau de Satory - des structures de l'armée de terre comme la STAT ; des acteurs industriels, comme Nexter et Arquus présents sur place ou d'autres situés à proximité ; des acteurs du cluster innovation de Paris-Saclay, que ce soient d'ailleurs des pépinières d'entreprises, des grandes écoles ou des laboratoires de recherche - je pense à l'école polytechnique notamment.

Au sommet du schéma qui vous a été distribué figure notre objectif, qui s'inscrit dans l'ambition du Président de la République de disposer d'une armée de premier plan et de référence. Nous l'avons traduit en six critères. C'est tout d'abord un modèle complet pour faire face à toutes les menaces, régulières, irrégulières ou hybrides, toujours évolutives. Deuxièmement, nous devons disposer d'une masse critique pour produire des effets stratégiques dans la durée. Sur le plan des effectifs, nous avons presque atteint cette masse, mais l'adaptation des besoins et des compétences doit pouvoir continuer à suivre rapidement les évolutions du modèle. Troisièmement, nos équipements doivent être de quatrième génération pour dominer l'adversaire. À cet égard, l'armée de terre a l'ambition de pouvoir projeter un groupement tactique interarmes Scorpion en 2021, puis une brigade Scorpion en 2023. Quatrièmement, nous devons disposer d'une capacité à agir dans le cadre d'une stratégie globale pour gagner la paix. Cette ambition nécessite que soit adapté le taux d'encadrement de l'armée de terre, qui est inférieur à 12% - là où d'autres armées occidentales ont un taux proche de 15 % -. Cinquièmement, la singularité militaire au service de notre efficacité opérationnelle doit être affirmée et assumée. Cette singularité est à la fois le fondement de la fonction militaire et la condition de son efficacité opérationnelle. Sixième et dernier critère, nous devons développer un esprit guerrier afin de décupler nos forces morales et notre combattivité. C'est le « fighting spirit » développé par l'armée britannique. Cet esprit guerrier doit, à mon sens, combiner l'aguerrissement, la technologie, et nos traditions militaires.

Je terminerai mon propos par la présentation de trois enjeux et des trois risques majeurs pour l'armée de terre. Le premier risque que j'identifie a trait à l'affaiblissement de l'administration militaire et des soutiens de vie courante. Il y a clairement une prise de conscience politique sur la nécessité d'un rapprochement des soutenants et des soutenus. Le Président de la République et la Ministre ont été très clairs : il faut soutenir les forces au plus près, et il faut renforcer la capacité des chefs locaux à obtenir les soutiens nécessaires. C'est au soutien de s'adapter au rythme et aux besoins des unités, et non l'inverse.

Le deuxième risque est celui d'une dégradation, réelle ou ressentie, de la condition militaire. Si cette condition militaire était mise en cause, cela aurait un impact fort sur le moral, la capacité de récupération de nos soldats qui sont intensément engagés, l'attractivité du métier des armes, la fidélisation, voire l'image de l'armée auprès de nos concitoyens. L'horizon 2019 pour nos soldats est un peu flou, notamment en raison des travaux actuellement en cours sur la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) ou de la réforme des retraites à venir. Je serai particulièrement vigilant en la matière.

Le troisième risque est celui des insuffisances en matière d'infrastructures. Si les ressources de la LPM permettent de financer les projets majeurs en matière d'infrastructure capacitaire et d'infrastructure de préparation opérationnelle, il ne faudrait pas que se créée un déséquilibre trop important et durable avec l'infrastructure de vie courante de nos soldats. De manière schématique, il ne faudrait pas que nos équipements Scorpion soient mieux logés que nos soldats. Là encore, je crois possible de saisir des opportunités si le ministère fait preuve d'agilité et de souplesse. Il faut également poursuivre le mouvement amorcé de décentralisation des arbitrages afin de redonner aux chefs locaux les leviers leur permettant d'agir au plus près des besoins du terrain.

Quant aux enjeux, le premier est celui de la performance. Comment allons-nous garantir que « chaque euro dépensé soit un euro utile » ? Je souligne que nous ne partons pas de zéro. Dans certains domaines, je pense même que l'armée de terre est en pointe. Je pense par exemple à la comptabilité analytique mise en oeuvre par la SIMMT, qui permet une analyse détaillée de la consommation réelle de ressources de toutes natures afin d'éclairer nos choix budgétaires et d'organisation. C'est un outil qui nous place en tête de la fonction publique en matière de pilotage de la performance. En matière de préparation opérationnelle, nos centres d'entraînement spécialisés disposent d'excellentes capacités pour évaluer dans le moindre détail, sur le plan quantitatif et qualitatif, les résultats des unités qui se préparent au combat. Mais en matière de performance, il faut toujours viser plus haut, et nous pouvons encore progresser dans la gestion de nos données, l'harmonisation de nos référentiels et la mesure précise de notre activité.

Le deuxième enjeu me semble être celui des ressources humaines. Sur le plan des effectifs, l'armée de terre a connu une remontée en puissance ces trois dernières années. Les postes accordés ont été exclusivement consacrés à la force opérationnelle terrestre. Nous devons maintenant consolider notre situation, ce qui exige de renforcer la fidélisation de nos soldats, que ce soit par l'individualisation des parcours professionnels ou par des leviers financiers. Sur le plan des compétences, nous devons être capables à la fois d'encaisser la « Scorpionisation » qui débute, et d'inscrire nos actions dans le cadre d'une stratégie globale plus exigeante en cadres, officiers et sous-officiers. Cela milite pour un effort de formation et un meilleur taux d'encadrement, après des années de dépyramidage indifférencié.

Enfin, le troisième enjeu me semble être celui de la gouvernance. L'armée de terre a initié sa remontée en puissance en 2015. J'ai une forme d'expérience de la reconstruction, et j'ai la conviction qu'elle nécessite une gouvernance différente de celle qui a été mise en place dans une période de déconstruction. Les maîtres mots de cette gouvernance nouvelle doivent être l'agilité, la souplesse et la fongibilité. Nous devons par exemple être capables de mettre en oeuvre rapidement des projets « clés en main » si une opportunité se présentait. Cela concerne d'abord les périmètres de responsabilité de chacun, dans une logique de subsidiarité. Il faut notamment redonner des marges de manoeuvre et des leviers d'action aux chefs d'état-major d'armée, car ce sont eux qui sont le plus à même de faire des choix pour l'armée qu'ils commandent, de prioriser, d'expliquer et de donner du sens.

Cela concerne également l'architecture budgétaire, qui doit refléter cette subsidiarité à travers les responsabilités financières confiées aux chefs d'état-major d'armée. J'y travaille avec le chef d'état-major des armées (CEMA) et les autres chefs d'état-major.

En conclusion, nous avons, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, une responsabilité historique. Les travaux menés l'année dernière nous ont permis d'atteindre l'objectif que nous visions ensemble : élaborer le cadre de la reconstruction d'une armée de terre puissante, capable de faire face aux menaces présentes et à venir. Il nous revient donc cette année de transformer cette position avantageuse en avancées concrètes et en perception durable, en externe comme en interne. En la matière, je fais preuve comme toujours d'un optimisme raisonnable, empreint de volonté et de responsabilité. Je sais également pouvoir compter sur votre soutien sans faille. Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à répondre à vos questions.

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