La proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), déposée au Sénat le 2 octobre dernier par Jean-Claude Requier et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), comprend douze articles destinés à installer une instance dont nous parlons depuis deux ans. La proposition de loi organique visant à l'audition, en application de l'article 13 de la Constitution, du directeur général de l'agence par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, a, pour sa part, été déposée par Hervé Maurey et Jean-Claude Requier ; elle comporte un article unique.
Dès 2017, nous avions, avec le président Hervé Maurey, évoqué la création d'une telle agence dans le cadre de notre rapport consacré à l'aménagement du territoire. Le Président de la République avait alors saisi la balle au bond, si je puis dire, et annoncé la création d'une structure, d'abord lors de la Conférence nationale des territoires, qui s'est tenue au Sénat le 17 juillet 2017, puis devant le congrès des maires de France le 24 novembre de la même année. Le projet a depuis été confirmé à plusieurs reprises par le Gouvernement, par la voix de Jacques Mézard, de Julien Denormandie ou, plus récemment, de Jacqueline Gourault.
Avant de vous présenter le contenu des articles et les amendements que je vous proposerai d'adopter, je souhaite vous faire part de trois remarques liminaires.
D'abord sur la méthode, que je regrette. Les atermoiements du Gouvernement ont conduit certains collègues à anticiper ses projets. Je pense à la proposition de loi déposée en octobre 2017 à l'Assemblée nationale par Philippe Vigier et, bien sûr, à la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud, dont vous m'aviez confié le rapport pour notre commission. Plus récemment, le Gouvernement a souhaité, en vain, être habilité à légiférer par ordonnance pour créer l'agence, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) en séance au Sénat. Cette initiative intervenait alors que le préfet Serge Morvan, ancien directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et cinquième commissaire général à l'égalité des territoires en quatre ans, avait été chargé par le Premier ministre de préfigurer la création de l'agence. Nous avons pris connaissance de son rapport grâce à une publication syndicale...
Au-delà de l'absence d'étude d'impact, puisque nous examinons une proposition de loi, la concertation aurait dû être davantage approfondie : j'ai disposé d'à peine quatre semaines pour étudier les dispositions du texte, consulter une douzaine d'organismes et préparer des amendements. Il est heureux, dans ce contexte, que le Président du Sénat ait eu recours à la faculté que lui offre par le dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution de saisir le Conseil d'État, afin qu'il rende un avis sur les dispositions de la présente proposition de loi, qui a utilement éclairé mes travaux.
Nous avons, en outre, pu nous entretenir avec Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes. Notre échange a révélé l'impréparation du Gouvernement quant à la simplification des procédures imposées aux collectivités territoriales dans la définition et la conduite de leurs projets.
Je remarque ensuite combien l'ambition du texte et celle du Gouvernement semblent en deçà des attentes de nos concitoyens et des élus locaux. Les fractures françaises sont nombreuses et bien connues - dans l'accès au numérique, dans l'accès aux soins, avec le problématique des déserts médicaux, dans l'accès aux services publics et dans le domaine de la mobilité - ; elles constituent autant de freins à la cohésion et à l'ascension sociales. Je me réjouis à cet égard de l'examen prochain du projet de la loi d'orientation des mobilités ; les mobilités représentent un prisme intéressant pour aborder la cohésion sociale et territoriale et constituent autant de leviers pour soutenir les territoires les plus fragiles. Hélas, la présente proposition de loi ne traite nullement de ces sujets. L'article 40 de la Constitution interdisant aux parlementaires d'étendre les missions de l'ANCT par voie d'amendement, il serait heureux que le Gouvernement adopte une approche décloisonnée des missions de l'agence, expression que nous entendons souvent mais qui peine à se matérialiser, au risque qu'elle ne soit qu'un arbre de plus dans la forêt des acteurs étatiques.
Enfin, l'État doit prendre ses responsabilités, notamment s'agissant des ressources de l'agence, à propos desquelles la frilosité du Gouvernement interroge, de la rationalisation des interventions des différents établissements publics de l'État à destination des territoires et de l'association des élus locaux et nationaux à la gouvernance de l'ANCT. Elle ne pourra agir utilement qu'à condition que l'État partage une ambition commune avec les territoires et qu'il ne soit pas seul maître à bord. Je souhaite que les territoires soient considérés comme des partenaires égaux que l'on ne cherche pas à amadouer, même si la proximité des élections municipales ne doit laisser aucun doute sur l'impératif politique qui préside aux intentions du Gouvernement. J'attire son attention et la vôtre sur le fait que le financement de l'agence ne doit en aucun cas venir en soustraction de moyens actuellement accordés aux collectivités territoriales. Lorsqu'est donné d'une main ce qui est repris de l'autre, cela finit toujours pas se voir et les élus locaux ne sont pas dupes... À cet égard, la possibilité que les crédits de la Dotation d'équipements des territoires ruraux (DETR) puissent être considérés comme des ressources sur lesquelles l'agence exercerait un droit de tirage m'inquiète particulièrement.
L'article 1er de la proposition de loi crée l'ANCT sous la forme d'un établissement public de l'État, compétent sur l'ensemble du territoire national et qui, indique le Conseil d'État, ne constituera pas une nouvelle catégorie d'établissement public. Cette considération appelle le législateur à distinguer ce qui relève du domaine de la loi au titre des caractéristiques de l'agence qui feraient exception à la catégorie à laquelle elle se rattache a priori, et ce qui relève du pouvoir réglementaire.
L'article 2 définit les missions de l'agence. Il prévoit notamment la dissolution de l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) et le transfert des deux tiers de l'Agence du numérique à l'ANCT. Pour mémoire, le décret d'attribution de la ministre de la cohésion des territoires lui donne autorité, conjointement avec le ministre de l'économie et des finances, sur l'Agence du numérique.
L'article 3 organise la gouvernance de l'ANCT, gérée par un conseil d'administration composé de représentants de l'État, pour plus de la moitié des membres, de représentants des collectivités territoriales, de parlementaires, ainsi que de représentants de la Caisse des Dépôts et consignations et du personnel.
L'article 4 dispose que l'agence est dirigée par un directeur général qui réunit un comité d'action territoriale composé des directeurs généraux de quatre établissements publics : l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).
L'article 5 prévoit que les services déconcentrés de l'État, en particulier le préfet, constituent le guichet unique d'entrée pour les projets des collectivités territoriales qui demandent le soutien de l'agence.
L'article 6 fixe les différentes recettes de l'ANCT. L'article 7 prévoit qu'elle conclut des conventions pluriannuelles tripartites avec l'État et l'ANRU, l'ANAH, l'ADEME et le CEREMA pour fixer des objectifs et des financements partagés. L'article 8 précise que l'agence emploie des fonctionnaires de l'État, des contractuels de droit public et des salariés soumis au code du travail, renforçant son statut hybride entre établissement public administratif (EPA) et établissement public industriel et commercial (EPIC).
L'article 9 procède à des coordinations pour prévoir la présence de l'ANCT au sein des conseils d'administration respectifs de l'ADEME et du CEREMA. L'article 10 organise le transfert, à l'agence, de la majorité des agents du Commissariat général à l'égalité des territoires (DGET), de l'Agence du numérique et des salariés de l'EPARECA, et acte la dissolution de cet établissement. Enfin, l'article 11 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les conditions d'application de la loi et l'article 12 contient les dispositions classiques de gage financier.
Certaines dispositions vont dans le sens, satisfaisant, d'une déconcentration de la politique d'aménagement du territoire : l'ANCT devra partir des projets des territoires, dans une logique ascendante. D'autres appellent davantage notre vigilance, comme la question des ressources dont disposera l'agence. Il paraît à cet égard invraisemblable de devoir attendre la loi de finances pour 2020 pour en savoir plus...
Je rappellerais, au-delà de cette analyse, deux remarques formulées dans mon rapport sur la proposition de loi précitée de Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud. Nous devons, d'une part, cesser de multiplier les appels à projet pour nous rapprocher du terrain ; il faut développer une nouvelle méthode. Si le rapport de préfiguration de Serge Morvan prévoit la fusion des 1 235 contrats existants entre l'État et les territoires, le contrat de cohésion sera long à mettre en place. L'agence, d'autre part, doit concentrer son action sur les territoires les plus fragiles, en particulier ruraux et périurbains, dont l'accès à une ingénierie technique et financière est difficile.
En conséquence, je vous proposerai de faire évoluer le texte, avec trois objectifs principaux. D'abord, j'ai souhaité revoir la gouvernance pour une meilleure association des élus locaux et nationaux. Le remplacement du conseil d'administration par un directoire assisté d'un conseil de surveillance permettra d'assurer un pilotage plus stratégique de l'agence. La parité entre l'État et ses établissements publics d'une part et les élus locaux et nationaux et les représentants du personnel d'autre part sera garantie. Le nombre de parlementaires sera augmenté et le rôle du comité d'action territoriale renforcé. Je vous proposerai, en outre, de créer un comité local de la cohésion territoriale pour associer les élus aux côtés du préfet.
Ensuite, j'ai cherché à renforcer la prise en compte des territoires les plus fragiles et à mobiliser les missions de l'EPARECA reprises par l'agence dans les zones caractérisées par des handicaps géographiques, sociaux et économiques. Cela me semble essentiel pour la cohésion des territoires. Enfin, j'ai souhaité simplifier le paysage administratif en matière d'aménagement du territoire, mieux organiser la transition entre l'Agence du Numérique, l'EPARECA et l'ACNT et ouvrir la voie au regroupement d'autres établissements publics au sein de l'agence dans un souci de bonne utilisation des deniers publics et de lisibilité de l'action publique. Par ailleurs, sans dénaturer le travail de notre collègue Jean-Claude Requier, je vous proposerai d'améliorer la qualité juridique du texte, en codifiant ses dispositions au sein du code général des collectivités territoriales, en supprimant des dispositions à caractère réglementaire et en sécurisant les dispositifs d'entrée en vigueur.
Malgré ces améliorations, le vote de la présente proposition de loi ne doit pas être considéré comme un blanc-seing donné au Gouvernement : il s'agit d'une première étape. Nous devrons rester vigilants : les territoires les plus fragiles doivent être entendus.