Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission spéciale retrait Royaume Uni de l'UE — Réunion du 30 octobre 2018 à 14:5
Projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume uni de l'union européenne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

Je souhaiterais remercier nos collègues qui ont travaillé au sein du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne. L'Assemblée nationale ne travaille sur la question que depuis le début de l'année, alors que, pour notre part, nous avons mené depuis deux ans de nombreuses auditions et rendu plusieurs rapports d'étape. J'ai longtemps été député, et je peux vous assurer que le travail du Sénat est approfondi. L'Assemblée nationale n'a toujours pas désigné de rapporteur pour le projet de loi d'habilitation, alors qu'elle doit examiner le texte le 15 décembre prochain.

Je veux également remercier Jean Bizet, qui préside le groupe de suivi, lequel continuera d'exister après le Brexit.

Nous sommes à la veille de la sortie du Royaume-Uni de l'Europe, qui doit intervenir le 30 mars 2019. Le Brexit sera-t-il hard ou soft ? Les dernières auditions ne m'ont pas rassuré. Quant au dernier conseil européen, il s'est mal passé : alors qu'il devait aboutir à un accord de retrait, il n'a pu conclure. Je n'étais d'ailleurs pas optimiste. Le plan de Chequers proposé par Theresa May n'était en effet absolument pas acceptable.

Je voudrais insister sur le rôle de Michel Barnier, qui n'a cessé de rencontrer les chefs d'État, les chefs de gouvernement et les parlementaires. Grâce à lui, les Vingt-Sept sont restés unis sur la question du Brexit, alors qu'ils sont divisés sur de nombreux autres sujets. Theresa May espérait avoir affaire à un front divisé. Juste avant l'été, elle avait d'ailleurs rencontré séparément Emmanuel Macron et Angela Merkel, mais sa stratégie n'a pas fonctionné.

Au moment où nous examinons ce projet de loi, la plus grande incertitude demeure donc sur la possibilité de conclure un accord de retrait avec le Royaume-Uni. Ce point devrait être clarifié d'ici à la fin novembre.

Mais même si un accord de retrait était finalement conclu, il faudrait encore qu'il soit ratifié, tant par le Parlement européen que par le Parlement du Royaume-Uni. Les choses se passeront certainement bien au Parlement européen ; en revanche, il risque de ne pas en aller de même côté britannique. Theresa May avait approuvé la proposition de backstop de Michel Barnier, mais a ensuite essuyé un refus tant de son gouvernement que de son parti. Elle a dû renoncer à présenter cette proposition devant le Parlement.

Il se pourrait donc, même si un accord était trouvé, qu'il ne puisse pas être ratifié, ce qui nous ramènerait à l'hypothèse du no deal.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement nous propose de prendre par ordonnances une série de mesures. Il s'agit de régler la situation des Britanniques qui résident ou travaillent en France, celle des Français qui sont dans la même situation au Royaume-Uni et les mesures d'urgence à prendre pour gérer les flux de personnes et marchandises dans les infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières.

Le Parlement n'aime jamais les ordonnances. Mais tous les gouvernements y recourent en cas d'urgence... Je considère qu'ici l'urgence est avérée, ce qui m'incite à vous proposer d'accepter l'habilitation sollicitée par le Gouvernement. Toutefois, accepter le principe des ordonnances ne signifie pas donner un blanc-seing à ce dernier pour agir à sa guise.

Je regrette vivement que le Gouvernement n'ait pas publié l'avis du Conseil d'État ; l'argument de la nécessaire discrétion sur le déroulement des négociations avec le Royaume-Uni ne me semble pas pertinent. Ce faisant, il a créé un mystère là où il n'y en a en réalité aucun.

Par ailleurs, toute habilitation doit répondre à une exigence de précision. Le Conseil constitutionnel y veille. Mes amendements vont en ce sens. Il s'agit ici non pas de gêner l'action du Gouvernement, mais au contraire de la consolider juridiquement.

Je vous proposerai également des amendements confirmant le caractère temporaire des mesures à prendre, dans l'attente d'accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni.

S'agissant des délais d'habilitation, le Gouvernement nous propose un délai de 12 mois aux articles 1er et 2 et un délai de 6 mois à l'article 3.

Cette asymétrie est paradoxale, notamment pour les articles 1er et 2 qui ont vocation à s'appliquer en cas de non-accord. Le Gouvernement nous dit qu'il y a urgence, mais se laisse ensuite un an pour agir... Je vous proposerai de réduire le délai de dépôt des projets de loi de ratification, prévu à l'article 4. Certaines décisions doivent être prises très rapidement.

Enfin, le projet de loi n'a pas vocation à résoudre tous les problèmes liés au Brexit. Certaines questions ne relèvent pas de notre compétence, même si vous êtes plusieurs à vous en préoccuper.

Il s'agit, d'abord, des questions à résoudre au niveau de l'Union européenne.

Ainsi, les problèmes relatifs au transport aérien, à la pêche, aux médicaments ou encore la décision éventuelle de rétablir des visas de court séjour pour les ressortissants britanniques relèvent de l'Union européenne.

Ces questions sont toutes cruciales, et il ne faut pas hésiter à les évoquer lors du débat en séance publique, afin de faire part de vos inquiétudes au Gouvernement. Il ne servirait à rien, en revanche, de déposer d'éventuels amendements.

Je pense, ensuite et plus généralement, aux mesures d'aides aux entreprises, notamment aux PME fragilisées par le Brexit, qui devront être envisagées. L'Irlande souhaite, par exemple, mettre en place des prêts à faible taux d'intérêt à destination de ses PME. Les Pays-Bas ont, eux aussi, mis en place un système d'aide aux PME. Je ne propose rien, car une aide financière tomberait sous le couperet de l'article 40 de la Constitution, mais nous devrons néanmoins évoquer ce sujet en séance.

Comme l'a indiqué devant nous Gérald Darmanin, les Douanes ont engagé le recrutement de 700 douaniers : 250 l'ont déjà été, 350 le seront en 2019 et 100 en 2020. Je ne sais pas si ce nombre sera suffisant. C'est la raison pour laquelle le groupe de suivi sur le Brexit continuera à avoir un rôle important à jouer. D'autres pays vont recruter davantage. Je pense aux Pays-Bas, qui ont prévu 1 000 douaniers supplémentaires. L'Irlande, quant à elle, devrait en embaucher 900. Pourtant, ni la République d'Irlande, ni le Royaume-Uni, ni aucun des vingt-sept États membres ne veut d'une frontière avec l'Ulster ! Néanmoins, la situation va changer : 80 % du trafic commercial entre l'Irlande et l'Europe passe par l'Angleterre ; demain, ce ne sera plus le cas.

Gérald Darmanin a essayé de nous rassurer en évoquant les réunions d'information organisées par les directions régionales des douanes en direction des PME. Les régions principalement concernées sont l'Île-de-France, les Hauts-de-France, la Normandie, l'Auvergne-Rhône-Alpes et l'Occitanie. Pour autant, ces efforts n'ont pas payé. Le ministre avait invité des centaines d'entreprises à une réunion organisée dans les Hauts-de-France : seules 40 sont venues... Or 30 000 entreprises françaises ont une activité commerciale avec le Royaume-Uni. L'administration a fait son travail, mais le monde économique n'est pas tout à fait conscient des transformations à venir...

D'après la Commission européenne, cinq pays sont aujourd'hui les mieux préparés au Brexit : la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et l'Irlande. Ces États ont déjà pris des mesures législatives et inscrit des dépenses budgétaires. Cela signifie que de nombreux autres pays, moins concernés il est vrai, n'ont encore rien fait ou sont en retard...

D'autres problèmes, qui ne relèvent pas du projet de loi d'habilitation, devront être traités. Je veux évoquer la question migratoire, qui est cruciale. Des migrants tentent déjà, à l'heure actuelle, de se cacher dans des camions pour atteindre le Royaume-Uni. Qu'en sera-t-il, à l'avenir, si la circulation est ralentie du fait des contrôles ? Dans les Hauts-de-France, il est prévu de créer, à 9 kilomètres du tunnel, une aire de parking avec des hangars, qui pourrait attirer ceux qui essayent de passer de l'autre côté de la Manche.

Le rapport traite aussi d'autres questions, notamment celle des conseillers municipaux de nationalité britannique, soit environ 900 personnes. Le Gouvernement nous a confirmé qu'ils resteraient conseillers municipaux jusqu'aux prochaines élections municipales en 2020.

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