Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires économiques — Réunion du 30 octobre 2018 à 17h55
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre :

Je vais vous faire une grande révélation : je ne suis plus ministre de l'agriculture. Je suis au regret de vous le dire, même si j'attache toujours autant d'importance au monde agricole et à la ruralité. La preuve en est que nous avons mené l'une des réformes fiscales les plus importantes pour le monde agricole depuis très longtemps.

Gardez-vous des jugements parfois un peu lapidaires sur le Gouvernement. La situation que nous avons trouvée en arrivant en termes d'endettement public, de dépenses publiques et d'augmentation des impôts était celle d'une dégradation constante des finances publiques depuis dix ans. Nous, nous inversons la tendance. Vérifiez les chiffres.

Je perçois beaucoup de contradictions. On nous enjoint à accélérer la réduction des dépenses publiques mais dès que l'on fait une proposition, il n'y a plus personne. Soyez cohérents.

Le Fisac est un exemple très concret. Élu local depuis longtemps, j'en ai fait usage pour un restaurant dans une petite commune de l'Eure. Si l'on estime que ce genre de saupoudrage est efficace, très bien. Ce n'est pas mon cas. Je ne pense pas qu'un Fisac à 15 millions d'euros soit l'instrument efficace pour revitaliser les centres-bourgs de 36 570 communes. Je continue à estimer que l'Agence nationale de la cohésion des territoires et les régions, qui sont totalement investies dans la revitalisation des territoires, seront beaucoup plus efficaces qu'une distribution du Fisac çà et là sans politique globale.

S'agissant des Direccte, là encore, nous avons le mérite de la cohérence. On ne peut pas nous reprocher de ne pas réduire suffisamment les effectifs de la fonction publique et plaider pour conserver tous les agents des Direccte. Je le leur ai dit : il faut recentrer leurs missions d'accompagnement des entreprises, ce qui favorise la réduction du nombre de postes. Vous ne nous prendrez pas en défaut de cohérence, ni de volontarisme.

Même chose pour la DGCCRF : au sein de cette mission essentielle qu'est le contrôle de la répression des fraudes, il est possible de redéfinir des priorités. On ne peut pas à la fois me dire d'aller plus loin dans la réduction des dépenses publiques et des emplois publics et me reprocher de vouloir réorganiser la DGCCRF. Comme ministre de l'économie et des finances, j'irai au bout de la redéfinition de son rôle. A-t-elle vocation à contrôler la mousse des aires de jeux de vos communes ? Je réponds : « non ».

C'est très bien d'aller proclamer urbi et orbi qu'il faut réduire la dépense publique et la dette, mais à un moment, cela signifie prendre des décisions et aller voir les personnes concernées pour leur expliquer le sens de notre action. Ce n'est pas un trait de plume. Depuis dix-sept mois, je rencontre les agents de la DGCCRF, à qui je rends hommage, et des Direccte, et je leur dis que nous allons faire évoluer leurs missions pour qu'ils les remplissent mieux tout en étant économes avec l'argent du contribuable.

Mme Élisabeth Lamure a parfaitement souligné un enjeu absolument essentiel : la sécurité sanitaire. J'ai été ministre de l'agriculture pendant trois ans et j'ai eu la tutelle de la direction générale de l'alimentation (DGAL). Y a-t-il un sens à ce qu'elle effectue le contrôle sanitaire d'une partie des aliments jusqu'à leur mise en rayon puis que la DGCCRF prenne le relais ? Non. J'estime qu'il est indispensable de réfléchir à la réorganisation de ces contrôles ; j'ai demandé à l'Inspection générale des finances (IGF) de mener une mission d'étude sur ce sujet-là pour fournir des options de rapprochements possibles entre DGAL et DGCCRF avec un seul objectif : la sécurité sanitaire de nos compatriotes. Nous ne ferons jamais d'économies de bouts de chandelle là-dessus mais mettrons en place le dispositif le plus efficace en tirant toutes les leçons du scandale sanitaire Lactalis.

Grâce à nous, Bpifrance a touché des dividendes importants : 140 millions d'euros. Oui, nous cherchons le moyen d'accompagner mieux l'industrie de la plasturgie car les dispositifs actuels lui font courir le risque de perdre des emplois, notamment dans les territoires fragiles.

Mme Loisier m'a interrogé sur les établissements stables et la taxation des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Amazon). Je livre ce combat depuis quatorze mois, et j'estime que nous sommes arrivés à sa fin : il n'est plus temps de discuter, ni d'examiner la solidité technique de la proposition de la Commission - elle est solide -, il s'agit à présent de décider si, oui ou non, l'Europe accepte que Google, Amazon, Facebook et les autres géants du numérique soient imposés de quatorze points de moins que toutes les autres entreprises en France et en Europe. Ma réponse à cette question est catégorique : non. Nous avons convaincu dix-neuf États-membres, nous disposons d'une proposition solide de la Commission, et les arguments que l'on me présente pour s'opposer à cette taxation ne résistent pas à un examen solide et honnête.

Les Allemands craignent qu'elle ne menace l'industrie automobile. Je leur ai expliqué que nous ne taxerions que la commercialisation des données, pas le recueil, à des fins d'amélioration du produit, de celles liées, par exemple, à l'usure des pneus, des freins ou à la résistance de la carrosserie. On m'objecte aussi qu'il faut une solution à l'échelle de l'OCDE. Oui, trois fois oui ! Je suis prêt, dès que nous aurons une solution au sein de l'OCDE, à abandonner le projet européen. Je suis même prêt à envisager que nous n'appliquions la décision européenne que s'il n'y a pas d'alternative, dans une durée donnée, au sein de l'OCDE. On me dit enfin que cela risque d'irriter les Américains, dont le secrétaire au Trésor et le Sénat nous reprocheraient de prendre des décisions unilatérales. Avouez que, de la part de l'administration de Donald Trump, cela ne manque pas de sel ! Penser que c'est en faisant preuve de faiblesse que nous amènerons l'administration américaine à évoluer sur ce sujet, c'est faire erreur.

Bref, l'Union européenne doit désormais décider, et d'autant plus qu'un certain nombre d'États européens commencent à considérer que, si l'Europe n'est pas capable de taxer les géants du numérique, ils doivent le faire eux-mêmes : le Chancelier de l'Échiquier Philip Hammond vient d'annoncer une taxation des géants du numérique dans le budget britannique de 2019. Quel échec pour l'Europe si, au lieu d'une réponse collective, nous aboutissons à une somme de réponses individuelles ! Il est temps de décider, comme je l'ai dit à mon homologue allemand la semaine dernière à Berlin. À mon sens, la prochaine réunion des ministres des finances européens, mardi prochain à Bruxelles, doit produire une avancée. Sinon, la France en tirera toutes les conséquences.

Vous m'avez interrogé sur l'Agence nationale de cohésion des territoires, et je vous confirme que Bercy continuera d'exercer sa cotutelle sur ses missions. Quant à la transparence sur les différentes conventions : je suis toujours favorable à la transparence en règle générale ! Pour preuve, je transmets beaucoup des rapports que je reçois aux parlementaires.

Sur Ascoval, je fais tout ce qui est possible depuis dix mois pour trouver une solution pour cette acierie. Ascometal, le groupe auquel elle appartenait, a été racheté il y a quelques mois à Vallourec par le groupe suisse Schmolz-Bickenbach. Les modalités de reprise ont été fixées par le tribunal de grande instance, et non par le Gouvernement. Le périmètre alors retenu ne comprenait pas le site de Saint-Saulve, dont la liquidation judiciaire était envisagée, ni ses 280 salariés.

En février 2018, à la suite de cette décision du tribunal, j'ai rassemblé les salariés de l'usine et les élus locaux pour leur dire que nous n'allions pas laisser tomber l'aciérie et qu'il fallait trouver un repreneur. Mais cela prend du temps, et le temps, c'est de l'argent. J'ai donc réclamé que Vallourec et Schmolz-Bickenbach s'engagent à acheter la production d'Ascoval dans l'attente d'un repreneur car, si personne ne pouvait acheter sa production, Ascoval n'avait plus qu'à mettre la clef sous la porte... J'ai obtenu, à la suite d'une réunion très musclée, l'accord de Schmolz-Bickenbach et de Vallourec pour acheter, à un tarif supérieur au marché, l'ensemble de la production du site pendant un an - donc jusqu'à fin janvier 2019. Cette décision n'a l'air de rien, mais elle coûte plusieurs dizaines de millions d'euros à Schmolz-Bickenbach et à Vallourec.

J'ai également obtenu, avec l'aide de Xavier Bertrand, la mise en place d'une fiducie de plus de 10 millions d'euros pour mettre de côté l'argent nécessaire, au cas où nous ne trouverions pas de repreneur, pour assurer l'accompagnement social des 280 salariés d'Ascoval.

Depuis, nous avons reçu plus de 100 propositions de reprise. Toutes ont été étudiées par les services de l'État. Une seule a été jugée crédible, celle d'Altifort. Deux difficultés subsistent, toutefois, et je ne compte pas les dissimuler aux salariés, que je verrai demain. D'abord, il nous faut trouver entre 180 et 250 millions d'euros pour investir dans une tréfilerie qui réalisera des fils à haute valeur ajoutée. Pour l'heure, Altifort ne peut mettre que 10 millions d'euros, et il manque donc 180 à 240 millions d'euros. L'État est prêt à mettre un euro d'argent public pour un euro d'argent privé investi - ce qui est un effort considérable. Deuxième difficulté : il faut trouver des débouchés. Sans commandes, nous nous bercerions d'illusions, qui ne sauraient aboutir qu'à de la colère. J'ai rendez-vous, après cette audition, avec le cabinet de conseil que nous avons missionné pour recueillir un point de vue extérieur. Pour l'heure - et je le dirai demain aux salariés - je n'ai pas la solution, ni sur le financement, ni sur le carnet de commandes. Mais tant qu'il y a la moindre possibilité de maintenir cette aciérie ouverte, nous l'exploiterons jusqu'au bout et nous ferons tous les efforts pour y parvenir. Je ne suis pas là pour vendre des illusions. Le monde et la métallurgie est un monde de réalités, qu'il vaut mieux avoir affrontées avant plutôt que les subir après.

Plus généralement, notre stratégie industrielle repose sur trois piliers. D'abord, améliorer la compétitivité-coût de nos entreprises industrielles. Cela implique d'alléger notre fiscalité sur le capital, dont ces entreprises sont fortement consommatrices, et de faire baisser le coût du travail. Déjà, la transformation du CICE en allégements de charges définitifs a donné une perspective aux entreprises industrielles sur ce point. Reste le cas des industries employant des personnes à qualifications élevées, puisque le CICE ne va que jusqu'à 2,5 SMIC. Faut-il, au-delà de ce montant, envisager un allégement de charges supplémentaire ? C'est un vrai débat, qui mérite d'être ouvert. D'un côté, au-dessus de 2,5 SMIC, le taux de chômage est de 5 %, donc rien ne justifie qu'on baisse les charges. D'un autre, c'est précisément à ces niveaux de salaires qu'il faut être compétitif, et c'est là que nous le sommes le moins par rapport à nos voisins allemands. Je suis prêt à avoir ce débat avec tous les secteurs industriels concernés. Enfin, les impôts de production pèsent trop lourdement sur la compétitivité de nos entreprises industrielles. Je rappelle que ces impôts sont nationaux et locaux : il y a donc un effort collectif à faire. Dès 2019, il faudra que nous regardions comment diminuer ces impôts de production.

Le deuxième pilier de notre stratégie est l'innovation. Je ne crois pas à la destruction créatrice : au contraire, il faut créer sur la base des acquis dont nous disposons. C'est pour cela que je me bats autant pour Blanquefort, comme je me suis battu pour GM, comme je me bats désormais pour Bosch à Rodez : je n'ai jamais cru que la fermeture d'une usine déclenchait l'ouverture de dix autres ensuite. Au contraire, il faut maintenir notre potentiel de production et, dans le même temps, préparer l'industrie du futur en innovant pour rester au plus haut niveau technologique. Sur ce point, il n'y a peut-être pas de crédits budgétaires spécifiques mais nous avons maintenu l'intégralité du crédit impôt recherche (CIR). Nous avons aussi mis en place le fonds pour l'innovation de rupture, qui doit permettre de rattraper notre retard en la matière.

Les mesures sur le suramortissement doivent aussi nous permettre de rattraper notre retard en termes de digitalisation et de robotisation. Elles ont déjà été prises par un autre gouvernement, mais je suis persuadé qu'elles sont efficaces. Quand on regarde les vallées industrielles françaises, on constate que certaines se portent remarquablement bien. Pourquoi ? Parce qu'elles ont pris le train de l'innovation et de la haute technologie, ce qui leur donne une avance sur toutes les autres régions, voire tous les autres États européens. Ainsi, du décolletage dans la vallée de l'Arve : certaines usines y ont investi non seulement dans la robotisation et la digitalisation, mais encore dans des outils d'intelligence artificielle capables de corriger la qualité de la pièce au cours de la fabrication. Aucune autre entreprise de décolletage au monde ne dispose de cet outil. C'est ce qui explique que ces entreprises fabriquent presque toutes les couronnes des montres de luxe les plus valorisées au monde. Elles n'ont aucun problème de compétitivité ni d'exportation. Sachons nous inspirer de telles réussites françaises ! Et je pourrais aussi citer l'industrie du médicament, du luxe ou de l'aéronautique... Toutes les entreprises qui réussissent ont pour point commun un niveau d'investissement et d'innovation supérieur à celui de leurs concurrents.

Le troisième pilier est la formation. Hélas, l'industrie est dévalorisée aux yeux des jeunes générations et nos industriels peinent à trouver les qualifications ils ont besoin. Par exemple, impossible de trouver un soudeur dans le domaine nucléaire ! Pourtant, le nucléaire est la deuxième filière industrielle de France. Mais on a tellement dévalorisé le secteur, tellement expliqué qu'il fallait mettre fin au nucléaire en France, que les jeunes hésitent à s'y engager. Il est donc indispensable d'expliquer que le développement des énergies renouvelables n'enlève rien au fait que la filière nucléaire reste une filière d'excellence en France. Sinon, elle mourra du manque de compétences. Faire une soudure dans un environnement nucléaire demande cinq années d'expérience au moins.

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