Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 31 octobre 2018 à 9h15
Contrat d'objectifs et de moyens de l'agence française de développement — Examen du rapport d'information

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure :

La première partie du COM est consacrée à la progression future des engagements de l'AFD. De 10,3 milliards d'euros en 2017, l'AFD devra ainsi atteindre 11 milliards en 2018 et 14 milliards en 2019. J'ajoute que le ministre Le Drian a évoqué un montant de 17,9 millions d'euros pour 2022. C'est une progression considérable : + 74% en 5 ans !

Or, nous avons identifié un certain nombre de difficultés pour atteindre cet objectif : beaucoup d'émergents, qui représentent actuellement les plus gros volumes de prêts de l'AFD, commencent à avoir des difficultés économiques ; pour d'autres gros emprunteurs souverains, l'agence va être bloquée par le ratio prudentiel « grand risque », qui lui interdit d'engager plus de 25% de ses fonds propres sur une seule contrepartie ; le développement des prêts non souverains est également limité par des doutes sur la solidité de certains emprunteurs potentiels dans les pays émergents ; enfin, les seuls pays africains en mesure d'emprunter voient actuellement leur endettement augmenter dangereusement.

Dès lors, quelles sont les solutions prévues par l'AFD pour poursuivre sa croissance ?

Premièrement une augmentation des dons, avec 1 milliard d'autorisations d'engagement supplémentaires en 2019, prévus par le PLF 2019. Nous y sommes très favorables, nous l'avons réclamé depuis longtemps, car c'est la seule manière de cibler les pays les plus pauvres. Mais, pour l'AFD, cela n'ira pas de soi car n'est plus le même métier et ce ne sont plus les mêmes secteurs : moins de projets d'infrastructures, plus de social-santé-éducation. À cet égard, nous nous félicitons de la remise au premier plan de l'éducation, avec notamment un objectif de 100 millions d'euros de subventions pour l'éducation de base sur la période 2018-2020. L'éducation était en effet paradoxalement devenue le parent pauvre de notre aide.

Deuxièmement, une augmentation des prêts non souverains, c'est-à-dire aux entreprises publiques, collectivités territoriales, organisations de la société civile, fondations, secteurs privé et financier. Cela nous parait également une bonne chose car c'est la condition d'un véritable développement économique.

Troisièmement, une extension du mandat géographique de l'AFD. Au cours des dernières années, l'AFD a obtenu de pouvoir travailler dans de nombreux pays d'Amérique du Sud, dans les Balkans ou encore dans les États du Pacifique. Il faut toutefois que ces extensions géographiques répondent à nos priorités politiques et à de réels besoins de développement, pas à la seule volonté de faire du chiffre.

Enfin, la recherche de partenaires à qui confier des financements pour « faire faire » (organismes de développement d'autres pays, ONG, etc.). Là encore, attention à ne pas se disperser dans le seul objectif de placer toujours plus de prêts.

Ainsi, la volonté d'augmenter massivement les engagements ne doit pas aller à l'encontre de la pertinence, donc de l'efficacité de l'aide. Nous devons veiller à ce que l'aide aille bien à des projets qui catalysent le développement et que les bénéficiaires s'approprient réellement, sinon nous continueront à avoir la situation qu'Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt avaient décrite pour le Sahel dans leur rapport de 2016 : à savoir l'aide sans le développement !

Le deuxième aspect important de cette croissance sans précédent de l'AFD, c'est le fossé qui va encore se creuser entre la puissance de cette agence et la relative faiblesse d'un réseau diplomatique durement frappé par la rigueur budgétaire.

En quoi cela pourrait-il être un problème ?

Une aide au développement efficace, ce n'est pas une accumulation de projets, aussi réussis soient-ils. L'APD ne peut réellement peser sur le développement d'un pays que s'il existe un dialogue politique franc et direct avec les autorités de ce pays, ainsi qu'un engagement clair de celles-ci sur un certain nombre de points : appropriation de l'aide, cohérence des politiques publiques, lutte contre la corruption, vision stratégique et de long terme, etc.

Or, une AFD puissante mais avec un mandat politique insuffisant n'est pas en mesure d'engager un tel dialogue avec le pays bénéficiaire. De leur côté, les ambassades et singulièrement leurs services de coopération et d'action culturelle, avec très peu de moyens, ne le sont pas non plus !

Il est donc plus que jamais nécessaire que l'AFD travaille très en amont des projets avec le Quai d'Orsay, avec Bercy et avec les ambassades pour que les pays concernés aient bien face à eux une équipe France du développement, et pas uniquement un opérateur technique, aussi compétent soit-il.

Deux remarques complémentaires avant de repasser la parole à mon collègue. La concentration de l'activité de l'AFD sur les pays prioritaires est toujours insuffisante. Cette situation devrait s'améliorer avec la progression des dons, mais le COM ne comporte pas d'indicateur reflétant le taux d'engagement financier total de l'agence sur les pays prioritaires : il conviendrait d'y remédier. Enfin, en cohérence avec l'accord de Paris, le COM fixe des objectifs ambitieux en matière de financements climatiques, ainsi que pour la protection de la biodiversité. La notion d'une AFD « 100% Accord de Paris » doit déboucher sur une nouvelle méthode d'analyse des projets. C'est important : il a récemment été reproché à l'AFD de soutenir des programmes d'exploitation forestière très contestables en RDC ! Pour que cette notion de « 100% Accord de Paris » ne soit pas un simple label, il faut donc une véritable sélectivité sur les projets soutenus.

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