Intervention de Jean-Paul Bodin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 octobre 2018 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Audition de M. Jean-Paul Bodin secrétaire général pour l'administration

Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vais rapidement vous présenter les principaux éléments du budget pour 2019, et notamment ce qui concerne les trois programmes placés sous la responsabilité du secrétaire général pour l'administration.

Vous le savez, la décision du Président de la République de donner une priorité budgétaire dans la durée aux crédits des armées se confirme à travers ce projet de loi de finances. Le budget consacré à la mission « Défense » augmente de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2018, s'établissant à 35,9 milliards d'euros hors pensions. C'est une augmentation significative de 5 % par rapport à 2018, portant l'effort de défense à 1,82 % de la richesse nationale.

Nous considérons que les bases de ce projet de loi de finances sont solides. En effet, les crédits alloués reposent sur des ressources budgétaires et non sur des recettes exceptionnelles. De plus, la provision pour opérations extérieures et missions intérieures poursuit son augmentation progressive, pour s'établir à 950 millions d'euros en 2019, notamment sur des crédits de titre 2, sur lesquels je reviendrai.

Il nous appartient donc désormais de bien employer ce budget et de confirmer l'inflexion de la traduction budgétaire des armées déjà amorcée l'an dernier.

Trois programmes sont placés sous la responsabilité du secrétaire général pour l'administration et, en premier lieu, le programme 212 « Soutien de la politique de défense », qui regroupe les fonctions d'administration et de soutien mutualisé au profit de l'ensemble du ministère des armées. Les crédits de paiement de ce programme, hors dépenses de personnel, vont augmenter de près de 3 %, soit 80 millions d'euros, passant de 2,56 milliards d'euros en 2018 à 2,64 milliards d'euros en 2019.

Cette hausse est plus limitée que celle que nous avions connue l'an dernier, qui était de 20 %. L'an dernier, un effort très important avait été réalisé en matière d'infrastructures, puisque l'augmentation avait été de plus de 400 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) entre 2017 et 2018. Néanmoins, l'augmentation de 2019 sera confirmée, en particulier pour les infrastructures.

Le programme 167 « Lien entre la Nation et son armée » contient peu de crédits, mais c'est malgré tout un programme important dans notre relation avec les jeunes Français notamment, ainsi qu'en matière de politique de mémoire. C'est un programme qui bénéficiera de 33,81 millions d'euros en CP en 2019, soit une baisse de 8,87 millions d'euros par rapport à 2018.

Ce programme comporte deux actions. La première regroupe des unités opérationnelles (UO) à destination de la jeunesse, notamment la « Journée défense et citoyenneté », dotée de 15,3 millions d'euros. On prévoit d'accueillir à cette occasion 792 745 jeunes. Une unité opérationnelle nouvelle du programme 167, auparavant inscrite au programme 178, concerne le service militaire volontaire (SMV), que vous avez pérennisé dans le cadre de la loi de programmation, et qu'il a été décidé de gérer dans le cadre d'un service à compétence nationale placé sous l'autorité du directeur du service national et de la jeunesse. Cette UO bénéficie de 2,5 millions d'euros de crédits budgétaires et contient également un montant provisionnel indicatif de 3,3 millions d'euros issu de fonds de concours, notamment pour la formation professionnelle et pour les dépenses de formation professionnelle des jeunes ayant choisi le SMV.

Le programme 167 enregistre une baisse des crédits relatifs à la politique de mémoire, qui bénéficiait de 28 millions d'euros en 2018 contre 16 millions d'euros en 2019. Ceci est normal : on arrive à la fin du programme de commémoration de la Première Guerre mondiale.

Cependant, on enregistre un mouvement de transfert sur ce programme 167 entre le ministère de la culture et le ministère des armées. Désormais, c'est en effet ce dernier qui aura la responsabilité de l'organisation du 14 juillet. À cet égard, on nous a transféré 2,4 millions d'euros du programme « Patrimoine » du ministère de la culture.

Le programme 169 « Anciens combattants - Mémoire et lien avec la Nation » verra ses crédits s'élever à 2,196 milliards d'euros, en baisse de 7 % par rapport à 2018, ce qui correspond à l'évolution du nombre de bénéficiaires des pensions militaires d'invalidité et de retraite du combattant.

Il existe néanmoins trois mesures nouvelles dans le budget 2019. Une première mesure était très attendue par le monde combattant, celle du droit à la carte du combattant pour les militaires déployés sur le sol algérien entre juillet 1962 et juillet 1964. On estime le nombre de personnes concernées à environ 50 000 anciens combattants. Cette mesure devrait coûter environ 6,6 millions d'euros en 2019 et 30 millions d'euros en année pleine à partir de 2020.

Le deuxième ensemble de mesures concerne les harkis. La secrétaire d'État a récemment annoncé un plan « harkis », préparé à la suite des réunions d'un groupe de travail animé par le préfet Ceaux.

Ces mesures comportent des mesures de revalorisation des allocations de reconnaissance et de l'allocation viagère bénéficiant aux anciens membres des formations supplétives et à leur conjoint. Ces allocations augmenteront de 400 euros, soit une dépense de 2,5 millions d'euros pour un peu plus de 5 800 bénéficiaires.

Un dispositif de solidarité est mis en place à hauteur de 7,5 millions d'euros. Il sera prorogé durant tout le quinquennat et permettra de répondre aux difficultés que pourrait avoir la deuxième génération, c'est-à-dire les enfants de harkis. Ces aides seront accordées après une enquête sociale.

Enfin, il est prévu une mesure symbolique mais importante de revalorisation du montant des expertises médicales afin de les aligner sur celui de la sécurité sociale et de faciliter le travail en la matière.

S'agissant du titre 2, le secrétaire général pour l'administration a depuis 2015 la responsabilité de la gestion de la masse salariale du ministère, antérieurement placée sous celle des employeurs.

Pour 2019, la ressource totale, y compris les crédits de pension, s'élève à 20,811 milliards d'euros, dont 8,455 millions d'euros pour le compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, soit, hors pensions, 12,356 milliards d'euros, qui seront complétés par 259 millions d'euros de ressources extrabudgétaires, principalement grâce à l'attribution des produits de cession du Service de santé des armées (SSA), à hauteur de 258 millions d'euros.

Les crédits du titre 2 augmentent de 234 millions d'euros par rapport à 2018 en raison de l'évolution positive du schéma d'emploi.

En 2019, le plafond des effectifs budgétaires du ministère s'élèvera à 274 595 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit 77 % de militaires, 23 % de civils. Le schéma d'emplois se traduit par la hausse de 450 postes hors Service industriel de l'aéronautique (SIAé), celui-ci récupérant quant à lui seize emplois supplémentaires.

Les priorités pour ces 450 postes concernent le renseignement, le numérique, la sécurité-protection, le soutien aux exportations et la réponse à certains besoins opérationnels, notamment au profit de l'armée de l'air et de la marine.

Cette hausse du schéma d'emploi pour les militaires à hauteur de 282 ETPT se traduit par le maintien du nombre de sous-officiers, une baisse de 50 ETPT de militaires du rang et une évolution de 312 postes pour les officiers, dont la diminution très importante pose aujourd'hui des difficultés aux armées dans les fonctions d'encadrement et d'expertise de haut niveau, qu'il faut absolument corriger.

Concernant le personnel civil, l'augmentation sera de 184 ETP. La population des ouvriers d'État continuera à baisser de 814 emplois. On augmentera les catégories A à hauteur de 315 emplois, les catégories B à hauteur de 433 emplois, et les catégories C à hauteur de 250 emplois.

Cela signifie que l'on va avoir, en 2018 comme en 2019, un volume de recrutement extrêmement important à réaliser, avec un turn-over de nouveau très important au sein du ministère. On aura près de 25 300 recrutements à effectuer en 2019, dont près de 3 700 recrutements de personnels civils. Nous sommes donc encore à l'aube d'une année très importante en termes de recrutement. La marine et l'armée de l'air ont notamment du mal à limiter et à compenser les départs.

Compte tenu de ce que je viens de dire, et notamment des difficultés que nous rencontrons pour fidéliser les personnels, il faut prévoir un certain nombre de mesures catégorielles. Celles-ci s'élèvent à 131 millions d'euros en 2019, dont 22,8 millions d'euros pour le personnel civil. Elles visent à couvrir les besoins prioritaires du ministère en termes d'attractivité et de fidélisation. À cette fin, nous allons essayer de mettre en oeuvre pour 2019 une prime de lien au service qui va se substituer à cinq primes existantes, et qui devra être mise en oeuvre par les gestionnaires de ressources humaines.

Nous avons prévu 12 millions d'euros pour mettre cette prime en oeuvre dès cette année. Elle est actuellement présentée au ministère en charge de la fonction publique et au ministère du budget. On espère bien pouvoir disposer de ces textes dès le début de l'année.

Par ailleurs, nous mettrons en oeuvre des mesures votées dans le cadre de la loi de programmation militaire, notamment deux expérimentations en matière de procédures de recrutement dérogatoires (sans concours) visant notamment des personnels civils, afin de pourvoir certains postes techniques où nous avons des difficultés. Nous avons par exemple plus de 130 postes de techniciens au service des infrastructures qui ne sont pas pourvus, faute de l'être par le biais des concours. Il faut donc utiliser les éléments introduits dans la LPM pour répondre aux difficultés que nous connaissons.

Vous avez, monsieur le président, évoqué la nouvelle politique de rémunération des militaires. C'est un chantier qui commencera à être engagé en 2019. Des mesures vont être mises en oeuvre, notamment pour fidéliser les médecins. L'an dernier, nous avons modifié le régime de rémunération des gardes, en commençant à les rémunérer. La ministre a validé la mise en place de primes, reconnaissant la spécialité des médecins engagés dans la médecine des forces ou dans les centres médicaux des armées.

D'une manière générale, nous voyons aujourd'hui comment construire la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Ceci rejoint votre question sur la réforme des retraites. Nous essayons de toucher à la fois aux aspects indemnitaires et indiciaires.

Nous allons pour ce faire travailler autour de huit thèmes différents :

- premier thème : les sujétions et obligations des militaires ;

- deuxième thème : les parcours professionnels et l'exercice de responsabilités, pour mieux valoriser la détention de qualifications ;

- troisième thème : l'engagement opérationnel afin de déterminer comment compenser l'absence. Vous savez qu'une indemnité d'absence compensée a été mise en place à partir de 2015. Comment celle-ci va-t-elle être prise en compte ?

- quatrième thème : les activités spécifiques pour des emplois à haut niveau d'exigences (sous-mariniers, pilotes, etc.) ;

- cinquième thème : qualifications et compétences. Quelles primes va-t-on attribuer pour conserver les compétences ? Cela rejoint ce que je disais à propos des médecins et des ingénieurs ;

- sixième thème : commandement et performances. Comment valoriser les postes de commandement et de responsabilité afin de garder les officiers et éviter des départs trop importants ?

- septième thème : la mobilité. Comment indemniser la mutation de façon plus simple et homogène ? Ceci nous conduit à ouvrir le sujet de la politique du logement, que vous avez évoquée. Devons-nous indemniser ou prévoir à la fois une indemnisation et un parc de logements ? Dans les zones sous forte tension, comme Paris, Toulon, Bordeaux, ce parc est nécessaire. En région parisienne, nous disposons de plus de 10 000 logements, dont 2 000 logements domaniaux. Ceux-ci nous sont utiles pour essayer de jouer par rapport au prix du marché. Ces logements sont proposés au personnel, à Paris à 50 % en dessous du prix du marché et, en province à 30 % du prix du marché ;

- huitième thème : la garnison, qui sera également prise en compte.

Nous travaillons sur ces huit thèmes au sein du ministère, mais aussi en liaison très étroite avec la gendarmerie. J'ai rencontré hier soir le directeur général de la gendarmerie à ce sujet. Nous serons en mesure de proposer à la ministre un certain nombre d'orientations à la fin de l'année. Elles seront examinées lors d'un comité exécutif (Comex) qui se tiendra avec les chefs d'état-major.

Dans les crédits du titre 2 figurent également les crédits relatifs à l'action sociale, qui permettront notamment de mettre en oeuvre le plan famille. Celui-ci sera doté d'environ 57 millions d'euros en 2019. La dotation relative à l'action sociale, elle, se stabilise par rapport à 2018 à 111 millions d'euros. Nous avons, dans le cadre du plan famille, mis en place un portail numérique social des armées qui fonctionne depuis le milieu de l'année. Il sera complété en 2019 par une seconde partie, qui permettra de déposer une demande en ligne. Nous sommes également en train de mettre en place un portail destiné à faciliter l'aide apportée aux familles en matière d'assistance maternelle.

Enfin, parce que la gestion du personnel restera une gestion de flux, nous avons besoin d'outils de reconversion du personnel. La dotation inscrite au PLF 2019 s'élève à 38,7 millions d'euros, en augmentation de 1,2 million d'euros. L'agence de reconversion a procédé à plus de 12 000 reclassements en 2017. Ce chiffre sera à peu près le même en 2018.

Ces reclassements ont un aspect positif, le nombre de militaires au chômage ayant baissé au cours de l'année écoulée de près de 4 %. La dépense de chômage a, quant à elle, également baissé l'an dernier d'environ 5 %. La dépense prévue en 2019 s'élève à 138 millions d'euros.

Quelques mots à propos de la politique immobilière. Vous avez appelé notre attention dans plusieurs rapports sur son importance. Elle l'est d'autant plus que le parc mis à disposition des forces armées représente un quart de la valeur du parc immobilier de l'État. Le budget pour 2019 s'inscrit dans la continuité de 2018, avec une augmentation de crédits. La dotation, toutes dépenses et toutes opérations stratégiques confondues, s'élèvera à 2,83 milliards d'euros en AE et à 1,834 milliard d'euros en CP. Une diminution de 80 millions d'euros apparaît en AE, mais on constate une augmentation de 53 millions d'euros en CP.

Par ailleurs, nous envisageons d'utiliser 30 millions d'euros d'AE et 160 millions d'euros de CP par l'intermédiaire du CAS Immobilier à partir de ce que nous pensons récupérer en termes de cessions immobilières au cours de l'année 2019, notamment avec la cession de l'îlot Saint-Germain.

L'effort le plus important dans le budget 2019 est réalisé sur les opérations de maintenance. Un effort très important est nécessaire. On avait diminué les crédits de maintenance dans la précédente LPM parce qu'on avait des investissements lourds à réaliser pour accueillir de nouveaux matériels. On rétablit les crédits de maintenance à un niveau élevé. 411 millions d'euros en AE et 373 millions d'euros en CP y seront consacrés, les crédits de maintenance augmentant de 12 %.

La moitié sera consacrée à la réalisation d'opérations de maintenance individualisées d'un montant supérieur à 500 000 euros. L'autre moitié est consacrée à des opérations en dessous de 500 000 euros. Par rapport à la subsidiarité, les opérations inférieures à 500 000 euros sont pilotées localement par le commandant de la base de défense et le patron du service d'infrastructure au plan local. Je suis très attentif aux propos sur la subsidiarité. Pour moi, celle-ci ne s'exerce pas au profit des états-majors centraux, mais du terrain. Ce sont les commandants de base de défense qui disposent des éléments pour pouvoir décider des opérations.

Il faut par exemple avoir à l'esprit que l'enveloppe de crédits qui est accordée aux deux principales bases de défense, celles d'Île-de-France et de Toulon, représente 13 millions d'euros par an. Sur cette somme, seul un million d'euros est véritablement à leur disposition en tant que tel, hors contrats d'électricité, etc.

J'ai donc proposé à la ministre d'augmenter cette enveloppe des crédits déconcentrés de 50 millions d'euros dès 2019, en plus de ce que l'on donne aujourd'hui, afin que le commandement de Base de Défense (COMBdD) puisse réellement disposer d'une somme de 2 à 3 millions d'euros.

Je souhaite qu'on ne les flèche pas à partir des états-majors parisiens ou de mes services. C'est aux COMBdB avec les responsables d'unités, de discuter localement des priorités. Vous dites qu'on ne peut peindre une pièce sans mon autorisation : si, on le peut ! La liberté de manoeuvre est importante, mais il faut l'accroître - et j'en suis tout à fait conscient.

J'ai d'ailleurs fait des propositions en ce sens à la ministre. J'espère qu'on pourra les mettre en oeuvre dès 2019 et que cela pourra se traduire dans le budget 2020 par une augmentation des crédits de maintenance réellement déconcentrés à partir de la construction budgétaire.

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