J'ai le plaisir d'accueillir le Général Richard Lizurey, Directeur général de la gendarmerie nationale. Mon Général, nous sommes très heureux de vous recevoir pour une présentation des crédits du programme 152 consacré à la Gendarmerie nationale.
Lutte contre le terrorisme et montée du renseignement territorial, multiplication des grandes manifestations : la gendarmerie nationale a dû affronter de nombreux défis au cours de l'année.
Lors de votre audition en mars dernier devant la commission d'enquête du Sénat sur l'état des forces de sécurité intérieure, vous aviez résumé ainsi la situation : il y a des signes de mécontentement, suscités notamment par le sentiment d'un décrochage des moyens et d'une moindre reconnaissance. L'esprit de corps et la cohésion de la Maison « transcendent » néanmoins ces difficultés : le souci du gendarme reste de s'adapter avec les moyens dont il dispose pour répondre aux besoins de la population.
Comment la situation a-t-elle depuis évolué ? Le budget en légère hausse annoncé pour 2019 permettra-t-il d'améliorer la situation matérielle des gendarmes ?
Par ailleurs, la gendarmerie nationale a dû récemment affronter des crises de grande ampleur qui ont mis à l'épreuve son organisation ainsi que ses capacités de maintien de l'ordre mais ont également montré qu'elle était capable de s'adapter à des situations particulièrement difficiles. Je pense notamment à l'ouragan Irma aux Antilles, mais aussi à l'évacuation réussie de Notre-Dame-des-landes en avril dernier.
Quels enseignements tirez-vous pour l'avenir de ces grandes opérations de maintien de l'ordre ? Sur un sujet plus particulier, quel est le dispositif prévu pour le déroulement du référendum en Nouvelle-Calédonie, dans moins de trois semaines ?
Enfin, nous savons que la réforme des retraites constitue un sujet de préoccupation majeur pour les gendarmes.
Pourriez-vous nous expliquer la manière dont vous abordez ce sujet, qui est piloté par le ministère des armées dans la mesure où il concerne l'ensemble des personnels de statut militaire ?
Cette audition est filmée et retransmise sur le site internet du Sénat. Nous avons 1h15 au total, merci de laisser du temps pour les échanges.
Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. -Voici quelques chiffres clefs concernant le T2 hors CAS, avec la partie réserve qui est importante, nos 30 000 réservistes étant un élément indispensable et déterminant pour faire face aux pics d'activité mais aussi au quotidien, renforçant les unités chaque jour. En 2017, nous avions 2758 réservistes/jour ; l'objectif est d'arriver au même niveau d'emploi en 2019. Pour cela nous avons, dans le budget qui vous est proposé, les crédits prévus : un peu plus de 98 millions d'euros, avec deux compléments. Le premier concerne le changement de l'outil de solde à partir du 1er janvier 2019, qui permettra de payer plus vite nos réservistes. Jusqu'à présent nous avions deux mois de décalage, nous étions en année glissante, de sorte qu'avec le nouvel outil, nous serions amenés à payer 14 mois en 2019. Cela aurait un impact sur l'emploi, c'est pourquoi le budget a prévu 17 millions d'euros de mesures techniques pour résoudre ce problème et enclencher la dynamique vertueuse. Nous avons également 19 millions d'euros pour payer en 2019 les missions intervenues à partir de septembre 2018, puisque le ministre m'a demandé de mettre en place à partir de cette date le même niveau d'emploi de réservistes qu'en 2017, alors que, du fait de la régulation budgétaire, nous étions à 900 réservistes de moins depuis le début de l'année. Ces mesures techniques nous permettront donc d'avoir, tout au long de l'année, un niveau d'emploi de la réserve identique à celui de 2017. Pour la partie recrutements, le schéma d'emploi prévoit des renforts pour la police de sécurité du quotidien (PSQ), le renseignement et la formation ; la quasi-totalité des effectifs a vocation à être engagée au profit des unités territoriales car c'est sur le terrain que nos effectifs doivent être engagés, notamment dans les brigades territoriales le plus sous tension. Le plafond d'emploi s'élève à un peu plus de 100 760 ETPT. Enfin, les mesures diverses se rapportent à la nouvelle bonification indiciaire (NBI) des personnels civils et à des mesures au bénéfice des différentes catégories de personnel.
En ce qui concerne la partie transformations de poste, le ministre m'a demandé de transformer 300 postes par an d'officiers ou sous-officiers de gendarmerie en 150 postes de militaires du corps de soutien et 150 personnels civils. Ce processus est enclenché depuis l'année dernière et va se poursuivre tous les ans pendant 5 ans.
En ce qui concerne le hors T2, nous avons un budget satisfaisant qui nous permet de mettre en place un certain nombre de moyens : est notamment prévu le fonctionnement pour les réserves, avec le paquetage des réservistes. Il nous faut en effet acheter des gilets pare-balles, afin de tendre vers un équipement individuel pour chacun. En ce qui concerne l'immobilier, les rénovations de logement et sécurisations de casernes, pour 15 millions d'euros, sont importantes, car il y a de plus en plus d'agressions et d'attaques contre les casernes de gendarmerie. S'agissant de la partie mobilité, sont prévus 2800 véhicules, les hélicoptères et le maintien en condition opérationnelle (MCO) de Néogend. Tels sont les grands agrégats.
Mon sentiment est qu'il s'agit d'un budget satisfaisant qui nous permet de mettre en place un certain nombre de moyens au profit des militaires de la gendarmerie. Ce budget est satisfaisant mais nous oblige malgré tout à faire des choix. Nous avons donc fait le choix, depuis quelques temps, de la modernisation et de la numérisation, avec la mise en place de Néogend mais aussi, sous la houlette du ministère de l'intérieur, une réforme créant une direction du numérique, dans laquelle nous nous inscrivons résolument, l'objectif étant d'avoir une modernisation partagée du numérique pour l'ensemble des directions et des services du ministère, de manière à avoir des dispositifs interopérables et qui permettent de gagner du temps. Il s'agit à la fois de simplifier le service pour les usagers et citoyens, mais aussi de faire gagner du temps au gendarme afin qu'il puisse investir davantage dans le contact, qui constitue un axe prioritaire. Nous avons encore des marges de progression. Dans le cadre de la PSQ, nous avons mis en place plusieurs dispositifs. Le dispositif des brigades de contact a été pérennisé ; nous avons développé des groupes contact... Nous avons aujourd'hui 250 dispositifs qui correspondent à cette vision de la proximité physique et du contact individuel ; nous avons également des dispositifs qui nous permettent dans le cadre de la PSQ de contacter au quotidien les élus - j'attends votre retour à ce sujet - : nous avons mis en place un référent personnalisé pour chaque maire, qui doit l'informer systématiquement de ce qui se passe dans sa commune. Nous avons mis en place une réunion, chaque semestre, au niveau de chaque gendarmerie départementale, lors de laquelle le commandant de compagnie et ses commandants de brigade rendent compte aux élus de l'action de la gendarmerie. Il s'agit d'une réunion de travail d'au moins une demi-journée, qui a vocation à rendre compte de l'activité de la gendarmerie et à travailler à l'amélioration du service rendu. C'est un dispositif important sur lequel nous allons continuer à travailler, car c'est ce contact avec la population et avec les élus qui me paraît être le meilleur moyen pour que le service public de la gendarmerie s'adapte bien au biotope local. C'est le sur-mesure : quelque chose qui s'est fait dans tel département ne peut pas nécessairement l'être dans un autre. L'intelligence locale doit l'emporter et celle-ci résulte du travail conjoint entre les gendarmes et les élus.
Les défis sont les mêmes que l'année dernière : nous sommes toujours dans une logique de lutte contre le terrorisme et de prévention de la radicalisation, en liaison avec l'ensemble des services partenaires. Je dois me féliciter de l'amélioration de ces partenariats, en particulier avec les services de la police nationale. Sur la partie renseignement territorial, nous avons développé et allons continuer à développer notre participation. L'année prochaine, 54 personnels de la gendarmerie vont ainsi aller abonder le renseignement territorial, puis 27 personnels supplémentaires tous les ans pour renforcer ce dispositif. Depuis cet été, grâce à l'action du Directeur général de la sécurité intérieure, nous avons des militaires de la gendarmerie au sein de la DGSI, ce qui est une nouveauté. Nous avons des fiches de postes pour en affecter davantage. C'est symbolique mais cela montre surtout que nous faisons face en commun à ce défi de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme : nous sommes tous en ligne pour combattre ce fléau.
Bien entendu, nous poursuivons le travail de lutte contre la délinquance, dans lequel nous obtenons aujourd'hui des résultats intéressant, notamment en ce qui concerne les atteintes aux biens, avec une diminution des cambriolages d'environ 7% depuis le début de l'année. Un gros travail a été fait sur le terrain en matière de prévention, mais aussi un travail de police judiciaire sous l'égide, notamment, de l'office central de lutte contre la délinquance itinérante, qui nous permet de lutter contre les grands groupes criminels internationaux. Jusqu'à présent les cambriolages étaient considérés comme de la petite délinquance ; en réalité aujourd'hui, le plus souvent, une organisation criminelle internationale utilise le cambriolage pour alimenter une chaîne pyramidale. C'est une criminalité organisée qu'il nous faut combattre, qui vient souvent d'Europe de l'Est. L'office central de lutte contre la délinquance itinérante est leader d'un projet « Empact » (European multidisciplinary platform against criminal threats) européen, ce qui nous permet d'avoir un réseau européen pour lutter contre ces phénomènes. L'année dernière, nous avons démantelé 50 groupes criminels internationaux, et cette année nous en sommes déjà à 38. C'est vraiment une menace très forte, avec une organisation pyramidale : des donneurs d'ordre qui sont à l'étranger ; les exécutants, qui sont souvent des mineurs, qui sont sur notre territoire, avec une chaîne de responsables intermédiaire : c'est une organisation quasi militaire qu'il nous faut combattre. Le travail se poursuit également contre la délinquance quotidienne et de proximité, notamment à travers la police technique et scientifique (PTS), où nous avons continué les efforts de modernisation. Cela va de la PTS de proximité - dans chaque brigade il y a un technicien d'investigation criminelle de proximité-, à toute la chaîne de PTS qui remonte jusqu'à l'institut de recherche, lui-même en liaison avec beaucoup de partenaires. Nous avons ainsi mis en place un conseil scientifique qui nous permet de développer un certain nombre de techniques en liaison avec la police nationale, avec laquelle nous travaillons aussi sur une rationalisation et une mutualisation des dispositifs de PTS de chaque département. Aujourd'hui, dans chaque département, il peut y avoir une plate-forme police et une plate-forme gendarmerie : l'idée est de rapprocher ces structures afin de rationaliser l'emploi de ces outils. Nous avons aussi lancé depuis deux ou trois ans une logique de dépôt de brevets. Nous en avons déjà déposé cinq et valorisé deux en liaison avec des industriels, ce qui nous permet d'avoir une participation aux bénéfices (des royalties) et aussi un prix plancher pour les produits que nous développons sur la base de ces brevets. Ainsi, la lutte contre la délinquance du quotidien et les outils que nous y consacrons permettent aussi de valoriser les innovations de nos personnels.
Nous poursuivons également nos activités en matière de police de la route et de police administrative. Un gros travail est accompli en matière de police de l'environnement, sous l'égide de l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, lui aussi leader d'un projet « Empact » européen. Il s'agit d'une criminalité sur laquelle se positionnent de plus en plus de groupe criminel, notamment sur le trafic de déchets. Jusqu'à maintenant cette délinquance était moins sanctionnée que la délinquance traditionnelle : nous devons investir ce champ nouveau. Autre champ important, le cyber et le numérique, sur lequel nous avons déjà investi depuis un certain temps et dans lequel nous continuons à agir. Nous mettons en place, dans chaque unité territoriale, des personnels spécialisés sur ce sujet. Nous avons actuellement 4 000 personnels sensibilisés et formés, l'objectif étant d'arriver à 6 000 afin d'apporter un service au citoyen qui vient nous voir après avoir été victime d'une escroquerie sur Internet. Ce n'est pas forcément le gendarme de brigade qui va répondre, mais il va savoir vers qui adresser l'usager : ce chaînage entre le citoyen et la personne qui pourra lui apporter une réponse est essentiel.
Depuis quelques mois, nous avons mis en place deux dispositifs intéressants dans le domaine du numérique : d'abord une brigade numérique, en place depuis quelques mois et qui a déjà été saisie environ 40 000 fois, installée à Rennes avec une vingtaine de militaires de la gendarmerie. C'est un service supplémentaire par rapport aux brigades classiques et qui, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, délivre au citoyen des renseignements dans différents domaines. Cela soulage aussi les brigades territoriales. Cette brigade numérique servira de plate-forme d'accueil des futures plaintes en ligne, ainsi que pour les violences sexuelles et sexistes. Elle servira ainsi de matrice du développement des relations avec les victimes et les usagers.
Nous travaillons par ailleurs actuellement avec la chancellerie sur la procédure pénale numérique. Il s'agit de travailler sur une dématérialisation de la procédure jusqu'au procès pénal. Cela devrait permettre de dégager des marges de manoeuvre, à l'horizon 2021-2022, pour nos personnels.
Enfin, la plate-forme Perceval permet, depuis le mois de mai, d'agréger tous les signalements de fraude à la carte bancaire sur Internet. Ceci nous permet de faire des rapprochements. Nous avons ainsi pu initier 58 enquêtes à Pontoise sous l'égide du procureur de la République. Un certain nombre d'auteurs ont été repérés. L'escroquerie moyenne est de 500 euros, le contentieux total qui nous a été signalé se monte à 17 millions d'euros. Nous étions jusqu'alors un peu démunis face à cette criminalité qui se développe : nous aurons maintenant un temps d'avance.
Nous allons également être encore davantage présents pour diminuer la mortalité routière.
Pour atteindre ces objectifs, je souhaite que nos ressources humaines progressent quantitativement mais aussi en qualité, c'est pourquoi nous avons inclus dans le périmètre de la formation initiale la fonction contact. Nos jeunes gendarmes sont souvent des citadins qui n'ont pas toujours la culture du contact. Il est important de leur expliquer qu'ils doivent aller à la rencontre des élus dans les circonscriptions. Nous avions un peu perdu cette culture au cours des dernières années en devenant une gendarmerie d'intervention. À cet égard, l'outil Néogend est formidable car il nous permet, et nous permettra encore davantage demain, de gagner du temps. L'outil comprend une cinquantaine d'applications et nous travaillons sur une quarantaine supplémentaire.
Nous travaillons également sur la formation de nos officiers, dans une logique d'ouverture et de mobilité. J'estime qu'un officier appelé à exercer des responsabilités importantes au sein de la gendarmerie doit avoir occupé un poste à l'extérieur de la « maison ». Nous avons cette année deux officiers supérieurs qui sont directeurs de cabinet de préfet. C'est une nouveauté. Des officiers sont à la Cour des comptes, au Conseil d'Etat, dans les services habituels du ministère des armées ou du ministère de l'intérieur. Cinq officiers sont en stage à l'école nationale d'administration, en lieu et place de l'école de guerre : c'est une logique d'ouverture qui me semble très importante. Quelqu'un qui sort de la maison et qui revient, revient meilleur !
S'agissant des enseignements que je tire des grandes opérations (Irma, Notre-Dame-des-Landes), il me semble que le « modèle gendarmerie » est adapté à ces crises, car c'est un modèle intégré. J'ai dans la main la totalité des leviers nécessaires : l'outil opérationnel, l'outil de soutien, l'outil de projection et l'outil budgétaire. Dans l'opération Irma, la réactivité a été un élément majeur. Il fallait projeter rapidement des troupes. Nous avons notamment envoyé deux compagnies de réserve territoriale, soit 150 réservistes à qui je rends hommage car ils ont passé trois mois dans des conditions extrêmement difficiles, parfois au détriment de leur emploi, ce qui est remarquable. Je les ai décorés récemment. L'opération Irma, c'est aussi l'engagement des militaires du corps de soutien, qui ont démontré toute leur pertinence. Deuxième enseignement, l'intérêt du commandement unique des opérations. À Notre-Dame-des-Landes, nous avions certes eu le temps de nous préparer, mais le commandement des opérations sur le terrain a été essentiel, avec la totalité des partenaires sur zone. J'avais un PC opérationnel avec les militaires de la gendarmerie, le corps préfectoral, les deux procureurs de la République en personne, les sapeurs-pompiers du SDIS 44 dont les personnels étaient au sein des escadrons, l'ensemble des partenaires privés comme Vinci, les personnels du renseignement territorial et de la DGSI, des formations militaires de la sécurité civile et de la police nationale dont j'ai engagé des engins lanceurs d'eau. Commandement unique et unicité de lieu nous ont donc permis de monter une opération bien préparée deux ou trois mois à l'avance, sous la houlette du ministre de l'intérieur et de son directeur de cabinet, notamment. La composante blindée a été déterminante. C'est la première fois que les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) ont été utilisés pour une opération de maintien de l'ordre en métropole, ce qui a nécessité une réquisition du Premier ministre.
S'agissant de la directive temps de travail, depuis la mise en place de l'instruction provisoire au 1er septembre 2016, nous avons absorbé la réforme ; nous sommes dans la dynamique des armées ; les discussions se poursuivent avec la Commission européenne mais aucun changement futur n'est prévu en ce qui concerne le travail des gendarmes.
Les retraites sont effectivement un sujet de préoccupation. J'ai désigné un chef de projet au sein de la direction générale ; nous n'avons pas encore suffisamment de visibilité mais nous sommes attentifs à ce que les personnels aient les réponses adaptées.