Je voudrais savoir, même si c'est un peu aux limites de notre compétence, si vous avez un premier bilan de la mise en oeuvre de cette mesure, très contestée, d'une vitesse maximale de 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur, mesure qui a été mise en place sans grande concertation avec les élus. Trouvez-vous une justification technique à l'application de cette mesure ?
Général Richard Lizurey. - S'agissant des réserves, la régulation budgétaire qui a été mise en oeuvre a pour objectif de respecter la loi de finances initiale en matière de T2. Nous possédons aujourd'hui deux leviers : les réserves et les dates d'incorporation. Nous avons fait usage des deux leviers en 2018 : j'ai enlevé de la partie « réserve » les 28 millions d'euros nécessaires pour rester dans l'enveloppe T2, ce qui explique les 19 millions d'euros de 2019, permettant d'enclencher un cycle vertueux - nous faisons en sorte que l'ensemble de l'année soit harmonisé pour qu'on puisse engager nos réservistes au quotidien au profit de nos unités. Je suis raisonnablement optimiste sur l'emploi des réservistes et sur le budget, qui est aujourd'hui satisfaisant à cet égard. Notre objectif est de diminuer au maximum le dégât collatéral qu'une régulation pourrait éventuellement occasionner.
Pour ce qui est des carburants, les rumeurs vont bon train, mais je n'ai pas connaissance, et je pense que je le saurais si c'était arrivé, qu'un gendarme ait acheté du carburant à titre personnel pour le service. Rien, à aucun moment, ne m'est remonté à ce stade. De plus, je n'ai pas connaissance non plus de limitations de kilométrage pour les patrouilles en circulation. Cependant, nous avons évidemment donné des conseils et des directives pour que nos patrouilles ne soient pas des patrouilles « kilométriques ». Faire 300 ou 500 kilomètres dans la nuit n'a aucun sens. Notre objectif ne consiste pas à faire des kilomètres, mais à sortir de la voiture et à rencontrer nos concitoyens. Pour autant, puisque le carburant est un paramètre important, nous avons injecté 3 millions d'euros sur les crédits des régions de gendarmerie de sorte que nous puissions terminer l'année sans problème à ce niveau. Mais à ce stade, je n'ai pas connaissance d'unités qui seraient en rupture de carburant ou qui ne pourraient pas mener leurs activités en raison d'un défaut de carburant.
Concernant les véhicules, les achats prévus pour l'année prochaine ne prennent pas en compte la mise en réserve. En 2018, nous avions prévu d'acheter 2 700 véhicules : à ce stade, nous en avons commandé 1 700, qui seront livrés dans l'année ; nous avons positionné la mise en réserve sur un certain nombre d'items, dont 1 000 véhicules, la marge de manoeuvre étant limitée. À ce stade, la mise en réserve n'est pas levée ; je n'ai pas encore commandé les 1 000 véhicules supplémentaires.
Si l'âge moyen des véhicules à 4 roues est d'environ 7,4 ans, celui des véhicules à 2 roues est d'environ 6 ans. Au total, nous possédons 31 000 véhicules, dont 24 000 opérationnels. L'objectif serait d'arriver à commander un maximum de véhicules l'année prochaine, l'objectif étant de 3 000 véhicules par an.
Sur la directive temps de travail, le Président de la République avait dit qu'elle n'avait à s'appliquer ni aux forces armées, ni à la gendarmerie nationale. Nous ne bougeons plus sur ce sujet. C'est la direction des affaires juridiques du ministère des armées qui est leader pour la négociation avec la Commission européenne. À la suite d'un contentieux porté devant le Conseil d'Etat par une association nationale professionnelle de militaires (APNM) contre l'instruction alors en vigueur s'agissant des rythmes de travail, le Conseil nous a demandé de manière informelle d'abroger cette instruction afin d'éviter une sanction et une injonction de transposition immédiate. Nous avons, à la faveur des discussions menées avec la direction des affaires juridiques du ministère des armées et avec nos personnels, mis en place, au 1er septembre 2016, l'instruction provisoire « 36 132 », qui intègre quelques items de la directive sur le temps de travail, sans que ce soit considéré comme une transposition. Nous avons notamment intégré les 11 heures de repos physiologique journalier par tranche de 24 heures, conduisant à une diminution du temps de travail global de l'ensemble de la gendarmerie, d'à peu près 4 000 ETP selon l'inspection générale de l'administration. C'est totalement intégré, nous avons fait toute l'année 2017 et l'année 2018 avec ce système. Aucune étape supplémentaire n'est prévue. Enfin, nous considérons que la disposition des 48 heures maximales de travail hebdomadaire pondérées sur l'année n'a pas vocation à s'appliquer aux forces armées, encore moins à la gendarmerie, car notre objectif au quotidien est d'être à la disposition de nos concitoyens.
S'agissant de la brigade numérique, nous allons développer son champ d'action et nous envisageons d'en augmenter les effectifs. Le besoin s'en fait sentir. Cette démarche a d'ailleurs été inscrite dans une logique interministérielle, avec la création d'une direction du numérique au sein du ministère de l'intérieur. L'objectif consistera à rationnaliser la totalité des dispositifs numériques existants dans les diverses directions et les regrouper au sein d'une gouvernance unique, à l'instar de ce qui se fait au ministère des armées. Nous n'en sommes qu'au début. Une réunion du comité stratégique se tiendra la semaine prochaine ; le dispositif de préfiguration sera mis en place en 2019 pour une mise en oeuvre au 1er janvier 2020. L'ambition du ministère à ce stade est d'améliorer le fonctionnement et de n'avoir aucune régression fonctionnelle.
Concernant la simplification de la procédure pénale, nous agissons dans deux domaines. D'abord, la procédure pénale à droit constant, où un certain nombre de simplifications ont déjà été introduites (par exemple un procès-verbal de garde à vue unique, sur lequel nous avons travaillé avec le directeur des affaires criminelles et des grâces) ; nous envisageons de diffuser une circulaire commune justice/intérieure pour rappeler les mesures déjà mises en oeuvre et insuffisamment utilisées. Ensuite, il y a un travail de réflexion sur la dématérialisation de la procédure pénale ; nous possédons aujourd'hui un logiciel de rédaction de procédures qui permet à chaque gendarme de rédiger de manière numérique sa procédure, mais il est ensuite obligé d'imprimer cette procédure pour la transmettre au magistrat. Compte tenu de la perte de temps et de papier que cela représente, le processus mérite d'être industrialisé, ce qui est le but du groupe projet intérieur/justice, visant une poursuite de la dématérialisation déjà existante à travers les logiciels de rédaction de procédure et la création d'un « puits » de données qui servirait ensuite à alimenter la procédure numérique à destination des magistrats et des avocats, pour arriver enfin au procès pénal. Un tel changement est envisagé à l'horizon 2021-2022, puisqu'il faut recréer toute une architecture informatique, notamment au ministère de la justice, afin que nos procédures puissent être déclinées au niveau national mais aussi au niveau de chaque juridiction. Par ailleurs, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice est en cours d'examen. Nous y avons été associés ; il y a un certain nombre de mesures de simplification. Celles qui étaient contenues dans le texte initial, en tout cas, nous paraissent aller dans le bon sens.
Pour ce qui est des APNM, nous en avons deux, qui ne sont pas représentatives au sens règlementaire du terme. Je les ai déjà reçues une première fois l'année dernière et je vais les recevoir à nouveau dans le cadre d'un travail sur la lutte contre les suicides. Ces associations existent et il serait inopportun de les ignorer ; nous savons besoin d'avis, d'éclairages et de critiques.
Je prends notamment note de la question liée au contact avec les élus et la population, sur lesquelles nous devrons travailler davantage. Cela représente un apprentissage régulier, une culture à bâtir, un terreau. Cette culture s'est dégradée pour nombre de raisons : la mise en place de communautés de brigade qui nous a éloignés du terrain, la mise en place de centres opérationnels qui avait constitué un choc culturel assez important, enfin un travail important sur le délai d'intervention en détriment du contact. Il s'agit d'une nouvelle culture qu'il faut réimplanter. Nous avons effectivement ici ou là, dans les unités, des marges de progression. Je réunis, le 14 novembre et pour la première fois, la totalité des commandants de région, de groupement et de compagnie à l'école polytechnique. Il est essentiel de leur transmettre un message unique sur la priorité absolue du contact, dont tout le reste découle. J'espère que, l'année prochaine, nous aurons répondu davantage à cette problématique.
Je tiens à vous remercier pour l'hommage qui a été rendu aux gendarmes à propos de Notre-Dame-des-Landes et pour Trèbes. Nous avons été témoins d'un élan de solidarité exceptionnel, international. Merci pour votre soutien pour le capitaine ; je l'ai félicité. Sans mettre en cause qui que ce soit, cela montre les difficultés auxquelles les forces de l'ordre font face. Ça arrive tous les jours. Tous les jours des gendarmes se font insulter, agresser, filmer, et en général on ne voit qu'un bout du film, la fin, quand le gendarme riposte...Je rends hommage à tous ces gendarmes qui, au quotidien, subissent ces outrages et ces agressions et qui font face. Leur réponse est souvent, pas toujours peut-être et pas assez, mais très souvent adaptée aux situations rencontrées, comme à de Notre-Dame-des-landes. Nous apprenons à nos personnels la résilience, la résistance, la sérénité : nous sommes dépositaires de la puissance publique, et c'est l'honneur de l'autorité de maîtriser cette puissance. J'ai donc félicité ce capitaine qui a eu une réaction parfaitement adaptée et remarquable.
Sur les outils d'analyse prédictive, nous utilisons un logiciel entièrement développé en interne par un de nos officiers. Ce dernier a développé un algorithme qui nous a permis de mener une expérimentation sur 11 départements, visant la création d'une « météorologie » de la délinquance et des cambriolages. Au bout d'un an, c'est dans ces 11 départements que nous avons les meilleurs résultats ! Il s'agit d'un dispositif pertinent qui a réussi à prévoir 81% des occurrences et que, de ce fait, il faudra généraliser. Début 2019, le dispositif d'analyse prédictive sera disponible pour la totalité de la métropole, exclusivement en tant qu'aide à la décision, ne remplaçant pas la fonction décisionnelle du chef mais l'éclairant pour le choix des patrouilles. Nous n'avons pas fait appel à une entreprise. On nous reproche parfois de faire les choses en interne. Mais Néogend a été fait en quatre ans ; si nous l'avions sous-traité, je ne vous en parlerais probablement pas encore.
En ce qui concerne les drones, nos besoins en la matière concernent principalement le renseignement, la police judiciaire et le maintien de l'ordre, comme à Notre-Dame-des-Landes où chaque escadron avait une équipe télépilote/drone. Il est vrai que nous utilisons majoritairement des drones classiques : il y a environ 2 ans, la gendarmerie a effectué un achat de drones Novadem, dont 80% a été financé par l'UE. Accessoirement, nous utilisons la totalité des drones que nous saisissons. Demain, l'objectif sera d'équiper chaque groupement d'un moyen drone, en mettant en place une solution propriétaire ou locative, celle-ci convenant mieux à ce type de matériel en cours de modernisation. Accessoirement, nous utilisons tous les drones que nous saisissons grâce à des saisies-attributions. Pour la surveillance du territoire nationale, de mon point de vue, il est préférable d'utiliser les matériels des armées, plutôt que d'en acheter de nouveaux pour le ministère de l'intérieur. C'est une discussion interministérielle à mener. Ce sont des moyens rares et chers et nous sommes favorables à la mise en place d'un ministère leader qui mettrait à disposition le matériel et, ainsi, éviterait la duplication de l'achat.
Concernant le parc immobilier, je voudrais remercier l'ensemble des collectivités locales pour le soutien significatif apporté aux gendarmes. Sans leur appui, nous ne pourrions pas travailler de façon efficace. En l'espèce, nous sommes dans une logique de loyer, cela ne rentre pas dans les 105 millions d'euros dont je vous ai parlé.
S'agissant des arnaques, le centre de lutte contre la cybercriminalité, dont les locaux sont à Pontoise, partagés avec l'institut de recherche criminelle et le service central de renseignement criminel, pourra vous apporter des informations ultérieurement.
Sur la PSQ et les associations de retraités, il existe aujourd'hui deux types d'encadrement : la réserve, à laquelle tous les retraités de la gendarmerie peuvent participer ; la participation citoyenne, pour tous ceux qui ne souhaiteraient pas participer à la réserve. Cette dernière, qui concerne tous les citoyens, notamment les retraités, permet aux intéressés d'apporter leur contribution à un service public de sécurité.
S'agissant du dispositif à l'étranger, nous y avons aujourd'hui à peu près 500 personnels de la gendarmerie, toutes catégories confondues, dont les gardes d'ambassades. Ces derniers sont mis à disposition du Quai d'Orsay et il appartient à l'ambassadeur concerné de les employer et de définir leur mission.
Pour ce qui est du recrutement de réservistes, il a lieu y compris dans les départements ruraux. Les réservistes sont tous employés près de chez eux, dans leur « biotope », en moyenne 27 jours par an et, globalement, il n'y a pas de difficulté de recrutement. Au total, nous sommes actuellement à 30 000 réservistes. Dans les départements ruraux, ce sont souvent des anciens de la gendarmerie, parfois des policiers nationaux, des policiers municipaux ou des pompiers.
Une réflexion est en cours au ministère de l'intérieur au sujet du service national universel (SNU). On imagine notre contribution sur le modèle mis en oeuvre pour les cadets de la réserve et de la garde nationale. La difficulté majeure, c'est de trouver les infrastructures. À ce jour, nous n'avons pas d'infrastructures disponibles et serions obligés de les construire. Cela nécessiterait des moyens budgétaires complémentaires. L'encadrement, en revanche, serait effectué en grande partie par nos réservistes.
L'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) est une pépite source d'innovations. C'est par exemple un commandant de gendarmerie qui est à l'origine du test ADN rapide, qui intéresse aujourd'hui les Américains. Nous sommes sur une logique de dépôt de brevet systématique pour protéger nos innovants. S'agissant de l'affaire Maëlys, cela a été un travail d'expert, mais aussi un travail de proximité. L'IRCGN a permis de mettre au jour l'indice, mais c'est la résultante de tout un travail qui s'initie lorsque la brigade arrive dans les lieux et constate la disparition. Il faut que chacun accomplisse sa fonction pour qu'in fine le juge considère la preuve recevable. Ce travail a été très bien fait et j'ai félicité les personnels.
Les crédits d'innovation, notamment ceux en provenance de brevets ou de crédits européens, sont systématiquement réinvestis dans la recherche et dans la création de dispositifs innovants.
Une loi de programmation donnerait effectivement de la visibilité. Une telle loi d'orientation est pertinente lorsqu'elle donne une vision, une direction.
Enfin, sur les 80 km/h : 400 000 kilomètres de routes départementales sont dans notre zone de compétence. La quasi-totalité des voies concernées par la mesure sont donc en zone de gendarmerie. À ce stade, il y a un effet mécanique : quand vous avez un accident à 10 km/h de moins, vous êtes un peu moins mort ou un peu moins blessé ! C'est la réalité. Nous enregistrons une réduction de la mortalité d'environ 9% depuis le début de l'année. Je ne saurais pas vous dire si cette variation est complétement liée aux 80 km/h, mais, techniquement, la réduction de la vitesse des véhicules entraîne une diminution de la gravité des accidents et des blessures occasionnées. Il faudra certes regarder dans le détail des axes sur lesquelles l'accidentalité a diminué. Préserver nos concitoyens de ce fléau que sont les accidents routiers fait aussi partie de notre travail.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 heures.