Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 novembre 2018 à 9h05
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Examen du rapport

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure pour l'assurance maladie :

Avec plus de 210 milliards de dépenses, la branche maladie représente plus de 50 % des dépenses du régime général. En situation de déficit chronique depuis plus de vingt ans, la branche verrait son solde passer sous la barre du milliard d'euros de déficit en 2018 et 2019 : c'est une première depuis 1999. Les comptes de la branche seraient en strict équilibre à compter de 2020 d'après les projections jointes au PLFSS. La résorption du déficit de l'assurance maladie serait très nette entre 2017 et 2018 : celui-ci passerait en un an de 4,9 milliards à 0,9 milliard ; elle se poursuivrait en 2019 avec un déficit ramené à 0,5 milliard. Ce résultat et ces perspectives semblaient hors d'atteinte il y a quelques années. Ils s'appuient sur une conjoncture favorable et des prévisions optimistes et, surtout, une forte dynamique des recettes affectées à la branche. Celles-ci sont portées par le relèvement des droits sur le tabac, du taux de cotisation patronale et du taux de CSG qui fait plus que compenser la suppression de la cotisation salariale maladie.

Côté dépenses, l'Ondam voté serait respecté en 2018 pour la neuvième année consécutive. Cet outil de pilotage des dépenses de santé présente toutefois des limites dont nous mesurons cette année encore les effets. Le respect de l'objectif global masque ainsi des évolutions contrastées entre les deux principaux sous-objectifs que sont les soins de ville d'un côté, et les dépenses des établissements de santé de l'autre : depuis 2015, l'enveloppe soins de ville est systématiquement dépassée en cours d'exécution. Le respect de l'Ondam 2018 devrait donc reposer sur des annulations de crédits gelés en début d'année, pesant essentiellement sur les établissements de santé et le médico-social. Ces annulations pourraient intervenir sur des établissements déjà fragilisés. En effet, la surévaluation de l'activité hospitalière induit une baisse des tarifs des séjours hospitaliers, entraînant une déconnexion croissante entre les tarifs et les coûts réels de prise en charge. Dans un contexte de ralentissement de l'activité hospitalière en 2017, cette situation a entraîné un doublement du déficit des hôpitaux publics : celui-ci s'est établi à 835 millions ; il affecte de façon assez inégale les établissements mais traduit une évolution préoccupante. Les fédérations hospitalières des secteurs publics comme privés parlent cette année d'une même voix pour tirer la sonnette d'alarme. Ces difficultés peuvent conduire les établissements à des arbitrages défavorables à l'innovation : c'est le cas de la prise en charge des tests de biologie innovants hors nomenclature, comme ceux permettant de cibler les traitements contre le cancer. J'interpellerai la ministre sur cette question qui a trait à la pertinence des soins dispensés aux patients.

En outre, le PLFSS engage, à la suite de la présentation mi-septembre du plan « Ma Santé 2022 », des avancées attendues mais qui portent en elles certaines limites, y compris au regard des tensions que je viens de mentionner. Un premier signal est budgétaire : la progression de l'Ondam est portée à titre exceptionnel à 2,5 % pour 2019 contre 2,3 % annoncés sur la période 2018-2022. Cela représente un volume de dépenses supplémentaires de 400 millions, destiné à financer l'investissement des établissements de santé et leur modernisation, mais aussi accompagner la structuration des soins de ville. Cet « effet base » se répercutera sur le niveau de l'Ondam les années suivantes, à hauteur de 1,6 milliard sur la période 2019-2022. Cet effort traduit la volonté du Gouvernement d'investir dans la transformation indispensable de notre système de santé.

Compte tenu d'un tendanciel de dépenses évalué comme l'an passé à + 4,5 %, cet objectif repose sur un quantum d'économies de 3,83 milliards. Près de la moitié de ces économies portent sur les produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux) via, principalement, le levier « prix ». Sur le fond, la pression sur les prix des produits anciens est utile pour financer l'innovation. Mais on touche aussi aux limites de l'exercice, loin de la volonté de transformation affichée : dans le secteur des services de santé à domicile, dont la dynamique est liée au virage ambulatoire, ce mode de régulation se heurte à des coûts marginaux élevés puisqu'il s'agit d'accompagnement humain. Il faut rester vigilant sur les conséquences de ces régulations sur le tissu de petites entreprises et la qualité des soins apportés aux patients. Je vous proposerai des amendements pour modifier en partie le régime de régulation du dispositif médical mis en place l'an dernier. La réserve prudentielle sur l'enveloppe de ville, annoncée par la ministre, traduit une prise de conscience mais elle demeurera largement inopérante en l'absence d'outils réels de régulation. Dans tous les cas, il serait utile que nous disposions d'éléments d'analyse plus détaillés sur la construction de l'Ondam car - nous le répétons tous les ans - nous nous prononçons sur de grandes masses sans documentation suffisante sur le tendanciel des dépenses ou la portée ex-ante comme la réalisation ex-post des mesures d'économies.

En matière de dépenses, le PLFSS traduit des ambitions consensuelles et louables. Elles s'inscrivent dans le prolongement des annonces faites lors de plusieurs chantiers : l'accès aux soins dans les territoires, « Ma Santé 2022 », Priorité prévention, le plan Pauvreté ou encore le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Mais elles peinent encore à former un cap cohérent et lisible.

Un certain nombre de ces dispositions vont dans le bon sens et n'appellent pas d'observation particulière. C'est le cas des mesures destinées à favoriser la prévention, en direction des enfants et des jeunes avec par exemple la création d'un examen bucco-dentaire dès 3 ans (article 33), l'étalement des examens de santé obligatoires jusqu'à 18 ans (article 36), l'extension du champ du fonds tabac aux substances psychoactives (article 38) ou la généralisation de la vaccination contre la grippe par les pharmaciens, qui faisait jusqu'alors l'objet d'une expérimentation (article 39). L'Assemblée nationale a complété ces mesures d'une initiative visant à améliorer la couverture vaccinale des jeunes filles et jeunes garçons contre le papillomavirus, dans le cadre d'une expérimentation dont la portée demeure cependant encore réduite au regard des enjeux (article 39 bis).

Je vous proposerai également de soutenir plusieurs évolutions favorables à l'accès aux droits, comme celles visant à faire prendre en charge par l'assurance maladie l'intégralité du ticket modérateur sur les soins de ville à Mayotte, dans le sens des préconisations émises par notre commission après son déplacement dans l'Océan Indien (article 35). D'autres mesures introduites par amendements du Gouvernement visent à prolonger opportunément le congé de paternité pour renforcer la disponibilité des pères en cas de naissance prématurée (article 47 bis) ou encore à faciliter le recours au temps partiel thérapeutique (article 32 bis).

Je suis cependant plus réservée sur les dispositions de l'article 47 visant à aligner la durée minimale du congé de maternité indemnisé des travailleuses indépendantes sur celle des salariées, en ce qu'elles ne me paraissent pas adaptées à la réalité de l'activité de ces travailleuses. Je crains qu'il n'en découle un régime de protection maternité en pratique moins favorable que celui résultant du droit actuel ; c'est pourquoi je vous proposerai de revoir en partie ces dispositions par amendement.

Sur le même thème de l'accès aux droits, la réforme de l'aide à la complémentaire santé (ACS) engage une simplification bienvenue : ce dispositif sera fusionné avec la CMU-C moyennant une contribution financière de moins d'un euro par jour d'après l'engagement pris dans le cadre du plan « pauvreté » (article 34). Les personnes concernées sont sur des tranches de revenus très proches. Il faut souhaiter que cette évolution suscite un plus fort taux de recours, jusqu'alors de moins de 50 % pour l'ACS en raison de restes à payer encore élevés mais aussi d'une lourdeur administrative qu'il serait heureux d'alléger. Cette réforme permet dans le même temps d'aligner les garanties offertes aux bénéficiaires de ces deux dispositifs. Elle se combine avec la réforme du reste à charge zéro (article 33) qui traduit une promesse de campagne présidentielle. Trois postes de dépenses sont concernés : l'optique, les aides auditives et les prothèses dentaires. Les contours de cette réforme ont été définis lors de négociations conduites au premier semestre avec les représentants de chacun des secteurs concernés. Schématiquement, il existera une classe de produits ou « panier 100 % santé » donnant lieu à une prise en charge intégrale après intervention combinée de l'assurance maladie obligatoire et complémentaire, sur la base de tarifs plafonnés. La montée en charge est progressive jusqu'à une pleine mise en oeuvre à compter de 2021. Cette réforme est un progrès pour lutter contre les renoncements aux soins sur des postes de dépenses lourds pour les ménages, mal pris en charge par l'assurance maladie de base. Elle marque la fin d'un désengagement progressif sur ce type de dépenses qui avait laissé la voie ouverte à la régulation opérée par les organismes complémentaires, notamment via les réseaux de soins. Mais cette réforme comporte encore de nombreuses inconnues. Nous sommes appelés à nous prononcer sur un cadre général alors que ce sont les modalités précises de mise en oeuvre qui auront toute leur importance, notamment sur la qualité et donc l'attractivité des offres « 100% santé » pour les assurés. L'impact financier et économique est à ce stade délicat à appréhender. Une première inconnue porte sur les tarifs des contrats des complémentaires santé. L'alignement des « petits contrats » offrant une couverture limitée au ticket modérateur pourrait entraîner une hausse -modérée- de leur coût, évaluée entre 4 et 5 % étalée sur trois ans ; la question est de savoir si celle-ci pourra être « absorbée » par la mutualisation et des gains sur d'autres postes et d'autres contrats comme le prétend le Gouvernement. Concrètement, des économies sont attendues sur le secteur de l'optique, ce qui inquiète d'ailleurs les fabricants français de verres comme de montures et interroge sur l'avenir du maillage territorial des opticiens. Mais combien de Français opteront pour les offres sans reste à charge ? Quel sera l'effet « volume » ? Quelles seront les dynamiques sur le marché à prix libres, sachant, qu'en optique, le reste à charge sera plus important demain sur ce segment du marché avec une prise en charge modique par l'assurance maladie ? Ces interrogations justifient que l'on suive de près la mise en place de cette réforme en demandant, une fois n'est pas coutume, un bilan de sa mise en oeuvre. D'ici là, je vous proposerai quelques ajustements.

Un autre axe du projet de loi concerne les modes de financement des établissements de santé. Il ne s'agit pas de grands bouleversements mais d'une inflexion vers une plus grande prise en compte de la qualité et de la pertinence des soins, suivant des préconisations des chantiers de la stratégie de transformation.

La dotation complémentaire à la qualité (dotation IFAQ) passera dès 2019 de 50 à 300 millions, et un dispositif de pénalité sera mis en place (article 27). Reste à en adapter les critères d'appréciation, qui sont aujourd'hui trop nombreux et déphasés d'après les acteurs hospitaliers, davantage tournés vers les process que vers les résultats et la qualité. J'attirerai également l'attention de la ministre sur l'articulation entre des dispositifs qui se superposent sans véritable cohérence d'ensemble : ainsi, l'article 29 bis inséré par le Gouvernement introduit la notion de « plan d'amélioration de la pertinence des soins » alors que d'autres outils existent, avec les contrats d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins (CAQES). Ces évolutions affichent des ambitions louables mais affectent la lisibilité d'ensemble de ces politiques ; une refonte globale serait nécessaire. Pour l'heure, je vous proposerai des amendements pour clarifier l'articulation entre ces outils.

Parallèlement, un mode de financement forfaitaire est instauré pour la prise en charge de pathologies chroniques, dans un premier temps le diabète et l'insuffisance rénale (article 28). Cela va dans le sens de préconisations de plusieurs rapports de notre commission, mais la portée de la mesure reste encore floue et limitée : seul l'hôpital sera concerné, alors que l'intérêt de ce type de rémunération est dans l'articulation avec la ville : ainsi, 90 % des dépenses liés à la prise en charge du diabète se font en ville. Les contours précis restent aussi à définir, et il faut souhaiter que ce soit dans la concertation avec les acteurs concernés.

D'autres mesures concernant l'organisation des soins hospitaliers ont été introduites lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur général. L'article 29 quinquies autorise les établissements de santé, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à facturer une prestation d'hospitalisation pour la réorientation des patients par les services et unités d'accueil et de traitement des urgences. Il ne vous aura pas échappé que la discussion de cet article à l'Assemblée a donné lieu à de nombreuses références à la préconisation n°1 du récent rapport de notre commission sur les urgences hospitalières. Il me semble pourtant que la rédaction de cet article n'est pas conforme à l'esprit qui animait notre proposition ; c'est pourquoi je vous proposerai de le supprimer.

L'article 29 sexies, ensuite, ouvre la possibilité d'une récupération d'indus pour les activités exercées par les hôpitaux sans satisfaire à leurs conditions d'autorisation. Dans la mesure où il s'agit de mettre en place un nouvel outil permettant de garantir que certaines interventions chirurgicales délicates, dans le domaine de la cancérologie principalement, sont effectuées dans des services effectuant une activité minimale - ce qui garantit la sécurité des patients -, je vous propose de ne pas nous y opposer. Cet article me paraît cependant poser autant de questions qu'il en résout, s'agissant notamment des contrôles effectués sur le terrain : j'interrogerai la ministre en séance sur ce point.

Un autre volet du texte concerne la structuration des soins de ville et l'accès aux soins dans les territoires. L'article 30 propose une mesure de simplification ponctuelle pour rendre plus attractif les remplacements par des médecins salariés ou des étudiants non thésés : ce type d'exercice mixte pourrait renforcer la présence médicale dans les zones sous-dotées. Il en est de même des pratiques avancées dont le déploiement au sein des maisons de santé est favorisé (article 31). En outre, l'article 29 quater introduit par le Gouvernement traduit des mesures phares du plan « Ma Santé 2022 », renvoyées à la négociation conventionnelle : le soutien au recrutement d'assistants médicaux et le développement de l'exercice coordonné. Le Gouvernement a annoncé le recrutement de 4 000 assistants, chargés d'apporter un appui à la fois administratif et paramédical aux médecins mais dont les missions et les profils ne sont pas encore bien cernés ; il a également annoncé le déploiement de 1 000 Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dans l'objectif de faire, demain, de l'exercice coordonné en ville la norme, via des aides au fonctionnement et la modulation des rémunérations des professionnels de santé. Cela devra se faire avec souplesse. Je vous proposerai d'adopter ces dispositions pour laisser les discussions s'engager sans tarder entre la CNAM et les professionnels de santé.

J'en termine par le volet relatif à la régulation des produits de santé, traitée par les articles 42 à 43 bis. Certaines des mesures proposées vont dans le bon sens : je pense notamment à l'ouverture des Autorisations temporaires d'utilisation (ATU) aux extensions d'indication, conformément à la proposition formulée avec mes collègues Véronique Guillotin et Yves Daudigny dans notre rapport sur l'accès précoce aux médicaments, ou à la mise en place d'un accès direct en post-ATU. Ces deux mesures permettront de renforcer l'accès des patients aux innovations thérapeutiques. La mise en place de ces avancées s'accompagne cependant de dispositifs financiers et d'encadrement d'une complexité invraisemblable, qu'il est de notre devoir de dénoncer au nom de la clarté et de la qualité des débats parlementaires. L'article 42 propose ainsi un ensemble très disparate de mesures, qui vont de l'accès précoce aux dernières générations d'anticancéreux à l'évaluation de l'homéopathie par la HAS. Je relève plus généralement, dans les derniers PLFSS, une tendance à la complexification des dispositions portant sur les produits de santé qui me paraît inquiétante ; car il n'en va pas seulement de l'intelligibilité de la loi, mais également de l'attractivité de notre pays pour une production pharmaceutique de plus en plus mondialisée - et donc de l'accès effectif des patients à l'ensemble de l'arsenal thérapeutique disponible.

Je regrette également la poursuite d'une tendance à la centralisation, à rebours de la primauté du dialogue conventionnel à laquelle notre commission est attachée. Je pense notamment à l'introduction, à l'article 42, d'une compensation unilatéralement fixée par les administrations de sécurité sociale pour la prise en charge des extensions d'indication. Si l'on peut comprendre la tentation d'un recours accru à une régulation unilatérale face au risque majeur que font peser certaines avancées thérapeutiques sur la maîtrise des dépenses de santé, il est à craindre qu'une telle méthode, en contribuant à la crispation des différents acteurs de la santé, ne nuise à l'efficacité de l'action déployée par les pouvoirs publics. Je vous proposerai un amendement répondant à cette préoccupation.

Je suis enfin opposée à certaines des mesures proposées s'agissant des produits de santé. La restriction du recours à la mention « non substituable » aux situations médicalement justifiées, tout d'abord, ne me paraît pas aller dans le bon sens pour continuer d'inciter au développement du médicament générique : je vous présenterai une proposition alternative. En second lieu, si je ne suis pas opposée par principe au régime d'encadrement proposé pour les médicaments hybrides, la méthode proposée ne me paraît pas la bonne : le sujet n'a pas fait l'objet de mesures particulières dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Il me semble nécessaire de poursuivre les travaux préalables en y associant l'ensemble des acteurs, afin que nous puissions apprécier les dispositions proposées en toute connaissance de cause.

Sous réserve de ces observations et des amendements que je vous présenterai, je vous propose d'adopter la branche maladie de ce projet de loi de financement.

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