Intervention de René-Paul Savary

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 novembre 2018 à 9h05
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Examen du rapport

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse :

Ce PLFSS présente une trajectoire fortement corrigée de la branche vieillesse sur la période 2017-2022 par rapport à la loi de financement pour 2018.

Cette correction tient essentiellement à deux facteurs : pour les années 2017 et 2018, l'amélioration du solde des régimes de base d'assurance vieillesse et du FSV s'explique par une réévaluation des hypothèses économiques associées à ce PLFSS en particulier les prévisions de croissance économique et de masse salariale qui ont gonflé les recettes. De plus, pour les années 2019 à 2022, elle est la conséquence directe de la mesure proposée à l'article 44 sous-revalorisant les prestations sociales en 2019 et 2020, de 0,3 % seulement, alors qu'elles devraient l'être de 1,5 % en 2019 et d'au moins 1,3 % en 2020. Cet article s'inscrit dans la continuité de la loi de financement pour 2018 qui avait augmenté la CSG sans compensation pour les retraités et décidé - déjà ! - d'une année 2018 sans revalorisation des pensions. La politique du Gouvernement en matière de retraite a donc le mérite de la cohérence : faire peser sur les seuls retraités la charge d'ajustement de nos finances publiques. (Exclamations et marques d'ironie de plusieurs commissaires)

Ce puissant coup de rabot sur les prestations sociales, au premier rang desquelles les pensions de retraite, est en effet l'une des seules mesures d'économie substantielle proposées par le Gouvernement pour respecter nos engagements européens. Sur le seul champ de la retraite, 2 milliards seront ainsi pris aux retraités en 2019 et 3,8 milliards en 2020. En 2018, la hausse de la CSG a déjà représenté un prélèvement de 4,7 milliards supplémentaires sur les retraités. Pour un Gouvernement qui a engagé depuis un an une réforme systémique des retraites en jurant qu'il ne s'agira pas d'une réforme financière et que le niveau des pensions ne diminuerait pas, la combinaison de ces trois mesures (CSG, absence de revalorisation en 2018 et sous-revalorisation en 2019 et 2020) n'offre pas les meilleures garanties que ces engagements seront tenus... Nous le rappellerons, bien entendu.

Au-delà des bonnes intentions du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye rappelées récemment encore devant notre commission, la politique du Gouvernement pose trois questions au regard des objectifs que fixe la loi au système de retraite.

Tout d'abord, la sous-revalorisation menace-t-elle l'objectif d'assurer un niveau de vie satisfaisant aux retraités ? Un chiffre est souvent mis en avant : le niveau de vie moyen des retraités en France s'établit à 105,6 % de l'ensemble de la population et la pauvreté y est moins répandue avec un taux de pauvreté de 6,8 % contre 14 % en moyenne au niveau national. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) montre depuis plusieurs années que cet indicateur de niveau de vie va diminuer très fortement dans les prochaines années allant jusqu'à perdre 10 points à l'horizon 2030-2035, hors réforme systémique. Les mesures prises cette année vont donc contribuer à accélérer cette tendance. Les évaluations des effets de la politique fiscale et sociale menée par le Gouvernement depuis un an soulignent toutes que les retraités en sont les grands perdants à l'exception des 550 000 bénéficiaires du minimum vieillesse - cette prestation étant fortement revalorisé jusqu'en 2020 - et du « 1 % » des retraités les plus riches qui bénéficient pleinement du prélèvement forfaitaire unique. En revanche, pour l'immense majorité des retraités, les mesures prises depuis un an vont leur faire perdre jusqu'à 3 % de leur revenu disponible, c'est-à-dire de leur pouvoir d'achat.

En second lieu, la sous-revalorisation des pensions menace-t-elle l'objectif d'équité ? Cette question s'éclaire sous un nouveau jour si l'on considère l'écart qui se réduit entre le minimum vieillesse et le montant d'une pension obtenue après une carrière au Smic. Entre 1990 et 2017, le minimum vieillesse pour une personne seule a augmenté à un rythme deux fois plus élevé que les pensions de retraite indexées sur l'inflation. La nouvelle revalorisation décidée l'année dernière qui portera le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) pour une personne seule à 903 euros par mois en 2020 va accentuer ce décrochage puisque dans le même temps les pensions vont stagner. En 2020, l'écart entre le minimum vieillesse et une pension liquidée après une carrière passée au Smic (environ 970 euros par mois) ne sera donc plus que de 70 euros. Le Haut-commissaire s'est dit sensible à la réduction de cet écart mais je constate que les mesures prises par le Gouvernement vont contribuer à le réduire encore plus. Or, c'est la logique même du caractère contributif des retraites qui est menacée.

Dernière question : la sous-revalorisation des retraites augure-t-elle la volonté du Gouvernement d'agir exclusivement sur le levier des pensions pour respecter l'objectif d'équilibre financier ? Comme nous le rappelions avec le rapporteur général en juillet dernier après nos déplacements en Europe sur la réforme des retraites, les réformes menées en France depuis 1993 ont permis de maîtriser l'évolution des dépenses de retraite à l'avenir. Pour autant, le système des retraites demeurerait déséquilibré tout au long de la décennie 2020 et se dégraderait sur le long terme si le taux de croissance de la productivité du travail devait être inférieur à 1,5 %, ce qui risque d'être le cas. À court terme, la mesure de sous-revalorisation permettrait de combler le déficit projeté du système de retraites qui se serait élevé en 2022 à 0,2 % du PIB, soit 4,3 milliards. Loin de nous l'idée de critiquer la volonté du Gouvernement d'équilibrer le système de retraite. Notre commission a suffisamment regretté que le Gouvernement précédent n'ait pas eu le courage d'agir plus fortement. En revanche, nous critiquons une politique consistant, depuis un an, à agir exclusivement sur les retraités pour y parvenir. Or, les expériences étrangères de même que la réforme des régimes complémentaires Agirc-Arrco par les partenaires sociaux en 2015 le montrent : pour être efficace et socialement accepté, le pilotage d'un système de retraite doit être équilibré et reposer « en même temps » sur ses trois leviers : les cotisations, la durée d'activité et le montant des pensions.

Le Gouvernement précédent a augmenté de plus d'un point en cinq ans les cotisations d'assurance vieillesse et il a timidement accru la durée d'assurance requise pour l'obtention du taux plein à 43 ans pour les générations nées après 1973. Le Gouvernement Fillon avait décidé également des hausses de taux dans la fonction publique et avait surtout décalé de deux ans l'âge minimum de départ à la retraite, qui représente aujourd'hui encore la réforme la plus importante en matière de finances publiques.

Nous considérons donc que la mesure de sous-revalorisation des pensions dans un contexte de reprise de l'inflation, après une année blanche et une hausse significative de la CSG, ne correspond pas au pilotage équilibré que nous appelons de nos voeux. C'est pourquoi, je proposerai un amendement à l'article 44 rejetant la sous-indexation proposée pour indexer l'ensemble des prestations sociales sur l'inflation estimée pour 2019 afin de protéger le pouvoir d'achat des retraités. Pour équilibrer financièrement ce PLFSS, je proposerai un amendement prévoyant le recul progressif de l'âge minimum légal à 63 ans au 1er mai 2020, comme l'a déjà voté notre commission. Des mesures affectant les recettes vous seront également proposées par le rapporteur général. Malheureusement, ces mesures n'ont que peu de chance de demeurer dans la future loi de financement, mais je suis convaincu que le Sénat et sa majorité sont dans leur rôle en rappelant que les retraités ne peuvent être et ne pourront être à l'avenir la seule variable d'ajustement financière du système de retraite et que le recul progressif de l'âge minimum légal est la seule solution crédible pour équilibrer durablement le système de retraite et protéger les salariés contre un départ précoce qui se traduirait par une pension trop faible.

Tel est le sens des amendements proposés par vos rapporteurs et que je vous demande d'adopter afin de pouvoir voter ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

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